Stefan Zweig joue les martyrs en exil
Par Florence Gopikian Yérémian – bscnews.fr/ Londres 1934. Une nuit d’orage dans le bureau de Zweig. En exil volontaire dans la capitale britannique, le célèbre écrivain a quitté Salzbourg pour contrer – à sa façon – la montée du nazisme. Poursuivant ses écrits, il vient de se lancer dans une biographie sur Marie Stuart et cherche une secrétaire afin de l’assister. Charlotte Altman tombe à point nommé. La demoiselle est discrète, courtoise et aussi bien réglée que sa machine à taper. Gavée de littérature romantique, elle possède cette fraicheur naïve et séduisante propre aux jeunes filles en fleurs. Son silence convient parfaitement au Maître qui prétend ne pas aimer les femmes ayant trop d’opinion. Petit, moustachu, engoncé dans son gilet, Zweig déborde quant à lui de frustrations et d’un pessimisme accablant.
Au fil des jours, la collaboration unilatérale entre la docile secrétaire et le biographe autoritaire se mue pourtant en dialogue. Prenant appui sur le personnage de Marie Stuart, ils se mettent inconsciemment à discuter sur la destinée de cette souveraine et voient leurs conversations timides évoluer en échanges savants autour d’Erasme ou de Luther. Emportés par le fil de leurs conciliabules, ils finissent par s’enivrer et se passionner l’un pour l’autre. Zweig retire alors son gilet. Charlotte se pare d’une belle robe rouge. Zweig devient tout simplement « Stefan » et Charlotte se transforme en « Lotte »…
Parenthèse amoureuse ? Dénonciation du non-engagement de Zweig face au totalitarisme ? Réflexion sur les angoisses et les appréhensions d’un intellectuel ? Quelle que soit l’intention de cette pièce, sa mise en scène séduit par l’intelligence des dialogues et la justesse des comédiens. Bien que le contexte soit tragique, elle déborde de saillies sarcastiques et bien ciselées qui fusent dans tous les sens. L’écriture est subtile et dynamique, notamment par la lecture à plusieurs niveaux qu’elle nous propose : même si le texte met en avant la vie de Zweig, il révèle en filigranes celles d’Erasme et de Marie Stuart. A l’exemple de cette grande reine d’Ecosse exécutée, Zweig s’est senti trahi par les siens. Se posant en héritier spirituel du pacifiste Erasme, il n’a, comme lui, rallié aucun parti et fait le choix de s’exiler à Londres.
Ces trois destins entremêlés laissent apparaitre Stefan Zweig comme un martyr de son temps. Mais, à bien y réfléchir, n’était-ce pas, finalement, l’image qu’il cherchait à se donner en quittant silencieusement sa patrie ? Comme le dit son épouse Fridericke (superbement interprétée par la gracieuse et autoritaire Corinne Jaber) : « Zweig se complait à jouer les victimes en exil ! ». Partir pour Londres est, en effet, une réponse dérisoire et bien trop facile face à la montée fanatique des Allemands ! Une telle neutralité n’est-elle pas plutôt à interpréter comme la fuite d’un homme face à ses responsabilités politiques et conjugales ? « Qui ne dit mot, consent », n’est-ce pas ?…
Une pièce intimiste qui met en lumière un épisode de la vie de Zweig bien moins connu que son exil suicidaire au Brésil.
La femme silencieuse
Une pièce de Monique Esther Rotenberg
Mise en scène de Pascal Elso et Sonia Sariel
Avec Pierre-Arnaud Juin, Corinne Jaber et Olivia Algazi
Théâtre du petit Hebertot
78 bis Boulevard des Batignolles – Paris 17e
Jusqu’au 23 février 2014
Du mercredi au samedi 20h – dimanche 15h
Réservation: 0142931304
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