Tout crime mérite-t-il un châtiment ? Une adaptation magistrale du roman de Dostoïevski
Par Florence Gopikian Yérémian – bscnews.fr / La salle de l’Atalante est petite comme un mouchoir de poche mais la compagnie Nonante-Trois est si talentueuse qu’elle va vous faire voyager jusqu’aux confins de la Grande Russie.
En choisissant d’interpréter Crime et châtiment, ces cinq comédiens réussissent le double exploit de mettre en scène l’un des plus grands chefs d’œuvre du roman russe tout en nous invitant à une excellente analyse de la conscience humaine face au crime.
A première vue, l’histoire de Crime et châtiment peut paraître simple mais elle est porteuse de mille et une réflexions : Raskolnikov est un pauvre étudiant. Sa mère n’ayant aucune pension, il se voit obligé de mettre en gage le peu d’objets qu’il possède auprès d’une certaine Aliona Ivanovna. Le visage fermé comme la serrure de sa cachette, cette usurière sans scrupule le dépouille de sa montre, de son étui à cigarettes et l’entraine pas à pas vers une misère inéluctable. Une seule solution s’impose alors aux yeux du malheureux : tuer cette vieille strige afin de débarrasser la terre de sa présence pestilentielle. Muni de sa hache, Raskolnikov passe à l’acte purificateur mais il se voit surpris par la sœur de l’usurière. Contraint d’assassiner une innocente, il va pas à pas sombrer dans la folie et finir par confesser son crime.
La mise en scène de ce spectacle est minimaliste mais d’une dynamique et d’une qualité impressionnantes. Toute la pièce se construit sur un socle compartimenté pivotant au rythme du récit. Grace à cette structure mobile comme un manège infernal, apparaissent tour à tour les lieux évoqués dans le roman de Dostoïevski : la maison de l’usurière, le métro, la chambre misérable de Raskolnikov, le commissariat… Ce flux incessant nous garde en haleine permanente et nous donne l’impression de tourner les pages du roman de Dostoïevski tout en voyant le texte et les personnages prendre vie devant nous.
Le jeune acteur interprétant Raskolnikov (Franck Michaud) est simplement fantastique : le visage émacié, la lèvre aussi tremblante que la voix, l’œil humide de haine et de désespoir, il est littéralement possédé par la fièvre et la névrose de son terrible personnage. Face à lui, l’actrice Dominique Jacquet campe avec acuité une usurière rigide et autoritaire. De son côté, Romain Lagarde personnifie magistralement le crasseux juge Porphyre en nous mitraillant de son rire castrateur et de son cynisme. Un grand bravo également à Mathieu Loth et à Loredana Von Allmen qui incarne avec une très grande sensibilité Sonia, la prostituée chrétienne parée de son respectable crucifix.
Sur fond d’accordéon et de vodka, cette talentueuse troupe lausannoise nous fait chavirer dans les abimes de l’âme humaine autant que dans l’agonie morale de Raskolnikov. On assiste impuissant à sa chute. On compatit à sa souffrance. Et l’on se révolte contre l’iniquité de la société : pourquoi un être humain devrait-il accepter sa condition de misérable dans un monde exempt de toute morale ? Pour quelles raison un honnête homme sans le sou aurait-il l’obligation de se plier au bon vouloir d’une riche crapule ? Après tout, Raskolnikov n’avait-il vraiment pas le droit de tuer si son crime était salutaire pour l’humanité ? Une question qui demeure d’actualité …
Crime et châtiment
D’après Fiodor Dostoïevski
Adaptation et mise en scène de Benjamin Knobil
Avec : Dominique Jacquet, Loredana Von Allmen, Romain Lagarde, Mathieu Loth et Franck Michaux
A L’Atalante ( 10, place Charles Dullin – Paris 18e / M° Anvers, Pigalle, Abbesses)
Jusqu’au 9 février 2014 ( Lundi, mercredi et vendredi à 20h30 /Jeudi et samedi à 19h – Dimanche à 17h)
Location : 0146061190 www.theatre-latalante.com
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