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Fafiole Palassio :  » Parce que le pain, ça se partage ! « 

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Par Julie Cadilhac – bscnews.fr / Dessin: Arnaud Taeron/ Fafiole Palassio est l’une des dix sept personnes de la compagnie Le Petit Théâtre de Pain, fondée en 1994.

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Tous de langues et de cultures différentes, ses membres défendent un théâtre aussi populaire que poétique et c’est au Pays Basque, à Louhossoa, que naissent leurs créations théâtrales engagées. Au sein de cette troupe, qui travaille à partir de mises en commun des propositions et dans une volonté de « réinventer un théâtre vivant et métissé », Fafiole Palassio a choisi de monter un texte de l’auteur Ignacio Del Moral narrant les réactions effarantes de bêtise et profondément racistes qui naissent chez un couple et leur enfant avec l’arrivée impromptue de deux hommes noirs, qui viennent d’échouer sur la plage où les vacanciers étaient en train de pêcher à la coque. Séduits par les mises en scène originales de la compagnie et la manière intelligente dont elle sait toujours parler de sujets délicats sans verser dans le cliché, nous avions envie de rencontrer l’une de ses artistes pour en connaître davantage sur la genèse et la conception de leurs projets.

Si vous deviez en quelques mots définir les grandes lignes de la Troupe du Petit Théâtre de Pain, vous diriez ?
Le Petit Théâtre de Pain c’est avant tout une aventure théâtrale qui dure et grandit depuis 20 ans. Certains diraient une famille. Une famille dont chaque membre serait dépositaire de l’histoire humaine, de l’expérience professionnelle et du travail cumulé. Car c’est ensemble que nous cherchons. Ce qui caractérise notre équipe c’ est le nombre, la mise en commun des propositions dans le travail artistique, mais aussi dans la réalisation de notre outil. C’est encore le changement de metteur en scène selon les créations, le désir de nous transporter, dans et hors les murs, vers des publics habitués ou pas… Bref, autant de raisons qui fondent notre manière de fonctionner et d’ interroger le monde. Quelquefois à travers des textes contemporains déjà existants, d’autres fois par des écrits de nos cent doigts, ou confiées à des mains plus expertes.

D’ailleurs, question naïve: pourquoi ce baptême?
Le nom Petit Théâtre de Pain fait référence à un texte d’Ariane Mnouchkine. Il rend hommage à une femme détenue dans le ghetto de Vilno en Pologne pendant la seconde guerre mondiale. Cette femme pétrissait tous les jours sur sa ration de pain des petites marionnettes afin que ses compagnons et elle-même échappent à leur atroce condition, le temps d’une représentation. C’est aussi un clin d’oeil au génie de Chaplin dans « La Ruée vers l’or »: deux petits pains dansant au bout de fourchettes. Enfin parce que le pain, ça se partage.

Qu’est-ce qui vous a séduit dans cette pièce? Pourriez-vous nous parler de son auteur, de l’écriture et des thèmes abordés?
La pièce a été écrite par l’auteur espagnol Ignacio Del Moral en 93. Une sorte de huis-clos sur une plage. Alors qu’une famille ramasse des coques, deux immigrés clandestins, échouent sur le sable. Ignacio Del Moral ne fait pas le focus sur l’immigration clandestine dont il est évidemment convaincu de la tragédie. Non. Lui charge ses contemporains de l’époque. Leur lâcheté, leur ignorance qui pousse à la bêtise, aux a prioris de comptoir, au repli identitaire, au sentiment d’être du bon côté. Il montre aussi l’attitude indécente de parents devant leurs enfants. La transmission de schémas défectueux. L’écriture est pour le moins outrancière et j’ai eu des retours comme quoi on ne pouvait plus parler du rapport à l’immigration ainsi. Je suis bien d’accord que depuis 93 ces naufrages à répétition ont engendré l’intérêt populaire et fait évoluer l’opinion publique . Pour autant, à l’opposé de ces mobilisations, l’expression d’un racisme primaire ne se cache plus. Un racisme quasi « normalisé », qui se sent autorisé à sortir des foyers, légitimé par un contexte économique, social et politique souffrant … Des poncifs? Hélas . Mais comment ne pas faire le constat de leur persistance? de leur regain? Pourquoi s’interdire alors de les rappeler sur une scène? A l’état brut, bête, et violent?

Vous avez pu dire: « On ne peut ôter à la bêtise ce don génial qu’elle a de nous navrer autant que nous faire rire »: l’envie première était donc de monter une pièce hilarante sur la « connerie humaine » qui n’a parfois ( malheureusement) pas de limite?
La réponse est contenue dans votre question: hilarante ET navrante. Ce pourrait être une satire. L’auteur lui, la qualifie de tragi-comédie. Ce qui nous a plu c’est de renouer avec une forme populaire: dramaturgie simple et courte aux dialogues tendus qui ne s’embarrassent pas de psychologie. Un défi pourtant: donner à entendre la « connerie » tout en essayant de ne ne jamais se placer au-dessus d’elle. Ni se sentir meilleur. Sans quoi on plonge tête en avant dans la caricature. Et c’est un vrai travail de funambule. La connerie est humaine: c’est précisément cette part trouble d’humanité qui nous intéresse et qui, quand on s’y identifie dans la pièce, prête à rire autant qu’à pleurer.

Qu’est-ce qui révulse le plus Fafiole Palassio?
La manipulation . Et d’une certaine façon, les certitudes.

Combien de personnages dans cette histoire? On lit dans la distribution 7 acteurs….pour quels rôles ?
Contrairement à la pratique habituelle du Petit Théâtre de Pain qui fait incarner à chacun des dix comédiens une galerie de personnages par spectacle, ici on compte 6 protagonistes pour 6 acteurs. Dans cette pièce, tous les personnages sont en présence. Une famille moyenne: papa, maman, le fils, la « puce » et deux naufragés clandestins: Ombasi, qui a survécu, et le cadavre de sa camarade d’infortune .

Dans cette pièce, vous avez visiblement travaillé « comme des gosses » sur l’énergie incroyable que peut produire la panique? Comment avez-vous procédé? par improvisation?
Nous avons eu très peu de temps pour le montage de cette pièce: 29 jours. Sans temps de préparation au préalable. C’était le pari de l’été. Alors oui de l’improvisation comme les enfants, des revirements de distribution pour s’enrichir les uns les autres, une recherche ludique concernant les aspects scéniques, un travail choral et d’approche clownesque. Sous l’effet centrifuge des dialogues, un travail rythmique et physique important aussi. Surtout dans le sable. Surtout en extérieur par 30 °C où, s’il n’ y a pas de rigueur dans le dessin des corps et dans l’ effusion verbale, tout échappe. Passée cette première étape, il nous a fallu digérer la forme en tant que cadre, pour laisser venir l’humanité. Vous évoquez la panique par exemple, mais la panique n’est autre que l’ exacerbation de la peur. Nous ne pouvons pas alors, faire l’économie de se connecter avec cet état intérieur. Sans quoi nous restons dans le gag. Ce travail qui consiste à rapprocher les personnages au plus près de ce que nous sommes est infini. On entend souvent l’expression « entrer dans la peau du personnage ». En réalité il ne s’agit que de travailler à partir de la nôtre. Or plus la composition s’affine, plus le personnage en devient troublant, réel. Il vibre par nos canaux. C’est en ça que l’enjeu de cette pièce est difficile. Car nous avons des prétentions de toucher le public là où le texte se fait le plus détestable. Et nous poursuivons ce travail.

Vous avez du avoir de sacrés moments de fous-rires pendant cette création, non? Jouer la bêtise est aussi terrible que jouissif on suppose? Des anecdotes?
Dans les premiers jets oui, c’était jubilatoire de jouer aux cons. De foncer tête baissée dans la méchanceté gratuite. C’est tellement facile! Et tellement libérateur aussi de se l’autoriser! Passée cette première période donc, il n’y suffisait plus car même si ces étapes de « grand n’importe quoi » sont plus que nécessaires, la pression du temps nous suppliait d’être efficace. Ceci dit, même dans les moments laborieux nous avons eu de bons fou-rires. Quand les acteurs lâchaient prise par fatigue et perdaient tout contrôle, accouchant de moments de grâce et de justesse hilarantes. D’ailleurs, ce « lâcher prise-là » est sans doute le plus difficile à reconquérir.

Côté décors: une grande simplicité? juste un peu de sable qui crisse sous la dent? Pour une pièce à emporter partout?
Oui, l’idée était de créer un spectacle populaire ET tout terrain capable d’être monté et joué par l’équipe dans la journée. Basé sur le principe enfantin du « On dirait que ». Avec des inventions techniques et scénographiques malignes faites de trois fois rien . Seule une arène de sable pour le public autour, un triangle de nylon au bout de cannes à pêche pour la mer, des coquillages et du roseau planté dans des parpaings: des matériaux bruts ou de récup façon déchets de plage.

C’est une pièce familiale qui touchera autant les petits que les grands, c’est ça?
Tout à fait. Avec le souhait que les jeunes y prêtent une attention particulière.

Enfin, suite aux premières représentations, avez-vous procédé à des ajustements? Comment a réagi le public?
Quel que soit le spectacle qui naît au Petit Théâtre de Pain, il connaît des ajustements suite à sa création. C’est avec les retours du public qu’il vient à maturité. C’est d’autant plus vrai pour « Le regard de l’Homme Sombre » en raison des délais de montage qui ont été les nôtres. C’est une sorte de grand prématuré en fait. Oui il y a eu , et il y a aura encore des ajustements. L affinage du jeu dont je parlais plus haut étant la priorité. Les réactions peuvent être diamétralement opposées selon où l’on joue. Ce qui n’est pas pour me déplaire. Force est de constater qu’elles sont largement plus débridées dès qu’on s’éloigne des sphères strictement «théâtreuses ».Ce qui n’est pas forcément mauvais signe non plus. De manière générale, on pouffe derrière ses doigts: on rit jaune comme on dit. Il y a bien sûr des endroits dans la pièce, où le public, d’où qu’il soit, se lâche unanimement, en un éclat de rire… D’autres sont bouleversés, d’autres encore jugent utile « d’appeler un chat un chat » même si c’est brut, même si d’autres encore trouveront ça « daté »…Quant à ceux qui n ‘aiment pas du tout ce reflet -là d’une réalité, c’est leur droit. Nous n’avons pas le même miroir et ça n’est pas plus grave que ça !

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Les dates de « Le Regard de l’Homme Sombre »

– Vendredi 11 avril 2014, MJC Berlioz à Pau

– Dimanche 13 avril 2014, Festival Xiru, à Gotein-Libarrenx ( 64)

– Jeudi 22 mai 2014 , Mai du Théâtre, à Hendaye ( 64)

– Samedi 24 mai 2014, Théâtre de Verdure, à Liausson ( 34)

Toutes les dates de la compagnie à découvrir sur leur site www.lepetittheatredepain.com

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