Sophonisbe : l’impossible conciliation entre l’Amour et les intérêts de Rome

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Par Julie Cadilhac – bscnews.fr/ 203 avant JC. Syphax, roi de Cyrthe, annonce à son épouse, Sophonisbe, carthaginoise, qu’il veut accepter la trêve proposée par les romains. Sophonisbe use alors de ses charmes pour le convaincre du contraire, mue par deux raisons bien précises.

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En tant que carthaginoise d’abord, elle refuse toute compromission vis à vis des romains et de son représentant Scipion, consul de Rome. Elle a ensuite été autrefois à Carthage l’amante du prince Massinisse, roi de Numidie; or ce dernier est devenu l’ami des Romains et du lieutenant de Scipion, Lélius et ils sont tout proches de Cyrthe, prêts à l’assiéger. Sophonisbe a tout à craindre des représailles d’un amant bafoué et convainc son mari de ne pas accepter cette trêve. Malheureusement, Syphax est fait prisonnier….
Pierre Corneille a imaginé en 1663 cette tragédie coloniale où il annonce la fin de Carthage et les avancées de la colonisation romaine en Afrique du Nord. C’est un moment où l’Histoire écrase les intérêts de l’individu qui se débat inutilement pour essayer de faire valoir ses valeurs propres : l’amour, le patriotisme etc….l’héroïsme est donc mis à mal : et là où les raisons d’état n’ont plus lieu d’être le premier cheval de bataille, et puisque tout se décide à Rome, les êtres laissent libre cours à leurs passions et désirs, sont malmenés par leur jalousie et leur orgueil mais n’en sont pas plus satisfaits parce que Rome décide même des alliances. Dans Sophonisbe, les femmes sont d’ailleurs étonnamment plus sages que les hommes qui se laissent diriger par leurs désirs amoureux et acceptent les alliances avec l’ennemi pour mieux profiter des attraits du lit conjugal.
Brigitte Jaques-Wajeman offre une tragédie superbe où le texte glisse, intelligible – malgré l’exigence de la langue cornélienne- et dans laquelle tout est à applaudir : la scénographie aux cinq majestueuses portes enténébrées et sa grande table centrale, lieu de rassemblement constant, les jeux de lumière, les accessoires ( nappes à motifs, dentelles, services de verre délicats) , les costumes ( robes soyeuses des femmes qui soulignent leur féminité) , et la justesse du jeu des comédiens constituent un écrin de choix pour cette pièce tardive de Corneille. Une profonde unité régit le plateau et l’on peut ainsi mieux jouir encore des ambivalences et contrastes de cette pièce qui mêle la comédie à la tragédie, humanise ses personnages et fait bouillonner le sang des veines d’une vieille pièce que l’on imagine à tort poussiéreuse et d’un ennui mortifère. Non! Venez vibrer! Sophonisbe y est belle, manipulatrice, entière ; Massinisse brûlant de son désir trop longtemps étouffé et tonitruant de charme et de sensualité royale…Syphax y implose d’amour devant les artifices de la jeunesse et lorsque Lélius, Lépide ou encore Albin foulent la scène, c’est tout Rome conquérante qui s’invite..ou presque! …À voir ABSOLUMENT!!!

Sophonisbe
De Corneille
Mise en scène: Brigitte Jaques-Wajeman
Scénographie et lumière: Yves Collet
Costumes: Laurianne Scimemi
Accessoires: Franck Lagaroje
Avec Yacine Aït Benhassi, Marc Arnaud, Anthony Audoux, Pascal Bekkar, Sophie Daull, Marion Lambert, Pierre-Stéfan Montagnier, Malvina Morisseau, Aurore Paris, Thibault Perrenoud, Bertrand Suarez-Paroz.
Crédit-photo: Cosimo Mirco Magliocca

Dates de représentation:

– Les 24, 28, 30 et 31 janvier 2014 au Théâtre des 13 Vents ( Montpellier)

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