Henri Barbusse : l’indicible guerre

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Par Félix Brun – bscnews.fr/ Nos grands-pères et arrières grands-pères n’aimaient pas parler de leur guerre des tranchées : était-ce par pudicité, par culpabilité, par honte ? « T’auras beau raconter, (…) ,on t’croira pas . » Grâce au livre d’Henri Barbusse, nous pouvons comprendre cette retenue et le silence plein d’émotions de ces fantassins rescapés de 14/18 .

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La vie de l’escouade dont il raconte le destin pendant les deux premières années du conflit est fusionnelle : « Et puis , ici, attachés ensemble par un destin irrémédiable, emportés malgré nous sur le même rang, par l’immense aventure, on est bien forcés, avec les semaines et les nuits, d’aller se ressemblant. L’étroitesse terrible de la vie commune nous serre, nous adapte, nous efface les uns les autres. C’est une espèce de contagion fatale . » Il y a Becune , Farfadet, Barque, Blaire, Pépin, Volpotte, Mesnil, Bertrand et les autres, et aussi Fouillade au fond d’un boyau qui « songe les yeux clos sous ses paupières bleutées. Il revoit . C’est un de ces moments où le pays dont on est séparé prend, dans le lointain, des douceurs de créature. L’Hérault parfumé et coloré, les rues de Cette. Il voit si bien, de si près,qu’il entend le bruit des péniches du canal du Midi et des déchargements des docks.(……)c’est là qu’il est né, qu’il a grandi, heureux, libre. Il jouait sur la terre dorée et rousse, et même il jouait au soldat.(…..) Retournera-t-il près de tout cela ? » Les conditions de vie sont terribles pour ces jeunes soldats déjà vieillis dont « Les têtes sont hâves, charbonneuses, les yeux grandis et fiévreux. La poussière et la saleté ajoutent des rides aux figures. » Et puis Henri Barbusse évoque aussi ceux qui sont restés à l’abri, dans les lignes arrières ; « Vois-tu, y’a eu trop d’gens riches et à relation qui ont crié : Sauvons la France ! -et commençons par nous sauver ! A la déclaration de la guerre, il y a eu un grand mouvement pour essayer de se défiler (…..) c’étaient surtout ceux qui gueulaient le plus, avant, au patriotisme… » Mais il narre aussi l’inconscience des civils à propos de l’état de souffrance physique et morale de ces forçats de la boue : « Et là où il n’y a pas de morts, la terre elle-même est cadavéreuse. »
La brigade se délite au fil des charges et des bombardements, sur les champs de bataille et dans les tranchées où, « Une atmosphère écoeurante rôde avec le vent autour de ces morts et de l’amoncellement de dépouilles qui les avoisine : toiles de tentes ou vêtements en espèce d’étoffe maculée, raidie par le sang séché, charbonnée par la brûlure de l’obus, durcie, terreuse et déjà pourrie, où grouille et fouille une couche vivante. » Paterloo ne retrouve plus rien de son village écrasé, lacéré et disparu sous les bombes ; « plus rien n’a de forme : il n’y a même pas un pan de mur, de grille, de portail, qui soit dressé,(…).C’est quand y’a plus rien, qu’on comprend bien qu’on était heureux. «  Le vaguemestre,de son côté, distribue les courriers tant attendus et conservés comme des reliques : « J’les garde. Quelquefois j’les relis. Quand on a froid et qu’on a mal j’les relis. Ca vous réchauffe pas, mais ça fait semblant. » La mort s’incruste partout dans ces terres autrefois fertiles : « Cette plaine, qui m’avait donné l’impression d’être toute de niveaux et qui en réalité, se penche, est un extraordinaire charnier. Les cadavres y foisonnent. C’est comme un cimetière dont on aurait enlevé le dessus. » La pluie, le gel ,la vase, la terre des tranchées collent aux soldats : « La main éprouve le contact, froid, gluant ,sépulcral, de la paroi d’argile. Cette terre vous pèse de tous côtés, vous enlinceule dans une lugubre solitude, et vous touche la figure de son souffle aveugle et moisi. »

Le feu est un récit émouvant à vous tirer les larmes dans lequel l’humour, parfois, côtoie l’horrible omniprésent . Henri Barbusse obtint le prix Goncourt en 1916 pour le Feu : le réalisme de l’ouvrage provoqua la protestation et l’indignation de ceux qui sont restés à l’arrière mais les combattants en furent très enthousiastes et reconnaissants. Ce roman est très certainement le témoignage le plus vrai et le plus pathétique des poilus des premières lignes du front, et un réquisitoire acerbe et opiniâtre contre la guerre. En 1914 ,alors agé de 41 ans et malgré des problèmes pulmonaires, Henri Barbusse s’engage volontairement dans l’infanterie et participe aux combats jusqu’en 1916 : il fut surnommé « le Zola des tranchées » . Un roman incontournable de cette année anniversaire du centenaire de la Grande Guerre.

Titre : Le Feu
Auteur : Henri Barbusse
Editions : Folio

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