Cet été, laissons de la place aux grands hommes

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Par Marc -Emile Baronheid – bscnews.fr / L’été est propice aux livres de plage, légers et court vêtus. Il permet aussi de fréquenter des auteurs plus attachants ou autrement exigeants. Ceci est une invitation à arpenter de ces univers non voués à la littérature kleenex.

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Modiano, ravaudeur de vies
La Bibliothèque de La Pléiade ne s’offre pas comme cela, simplement, au premier venu, même s’il n’est pas, loin s’en faut, le premier venu. Un bon pléiadé est un pléiadé mort. Mais il existe des formules intermédiaires, telle la collection Quarto, réputée pour être l’antidote d’ une initiative concurrente, créée par le premier ex-mari de Françoise Sagan. Il s’appelait Guy Schoeller ; sa dimension grand seigneuriale, éminemment romanesque ne déparerait pas la galerie des personnages de Modiano. Un univers dont Gallimard a demandé à l’écrivain d’extraire dix romans susceptibles de constituer ce que les chanteurs appellent une compilation. De quoi le mettre sur orbite, par le truchement de Quarto, autour de la planète Panthéon Pléiade. En quelque sorte, un sas de compression. On (re)trouvera donc « Villa triste – Livret de famille – Rue des boutiques obscures – Remise de peine – Chien de printemps – Dora Bruder – Accident nocturne – Un pedigree – Dans le café de la jeunesse perdue – L’horizon », autant d’ arcs-boutants d’un édifice dont la construction est encore loin de son terme. Un choix opéré bon gré mal gré ? Voici ce qu’en dit Modiano : « Ces « romans » réunis pour la première fois forment un seul ouvrage et ils sont l’épine dorsale des autres, qui ne figurent pas dans ce volume. Je croyais les avoir écrits de manière discontinue, à coups d’oublis successifs, mais souvent les mêmes visages, les mêmes noms, les mêmes lieux, les mêmes phrases reviennent de l’un à l’autre, comme les motifs d’une tapisserie que l’on aurait tissée dans un demi-sommeil ». Un constat d’autant plus intéressant que le romancier confiait récemment « chaque fois, il y a cette impression désagréable, absurde, qu’une fois fini, le livre vous rejette ». Le volume est agrémenté d’un cahier de photographies, une autre manière pour Modiano de déployer son autobiographie, même si un accès de pudeur la prétend rêvée ou imaginaire.
« Romans », Patrick Modiano, Quarto Gallimard, 23,50 euros

Les fous départs de Cendrars
« Cette violence renouvelée du départ qui arrache à tout ce qui attache, de quelle blessure garde-t-elle la trace ? Est-ce la peur d’être quitté le premier que vient exorciser une rupture préventive ? » interroge Claude Leroy, grand machinateur de l’édition des Œuvres autobiographiques compètes de Blaise Cendrars (1887-1961). Et de rappeler que son tout premier départ manqué fut l’entrée dans la vie, avec pour corollaire indélébile ce « je suis seul, isolé, expatrié au milieu de ma famille et dans ma patrie ». Poète des partances, chasseur de péripéties, Cendrars est devenu un auteur « fabuleux », inspirant à ses pairs des élans variables de sympathie ou d’ironie : Suisse errant (Picabia), Homère du Transsibérien (Dos Passos), boucanier du roman et de la poésie (Simenon). Il sera même moqué par Picasso qui proclamait malignement « Cendrars est revenu de la guerre avec un bras en plus ». Pour Leroy, on peut soutenir sans scandale que Blaise Cendrars aimait sa blessure ; il s’en explique dans une préface qu’il importe de lire – contrairement à tant d’autres – avant de s’engager dans l’œuvre. Le tome I propose « Sous le signe de Villon, L’Homme foudroyé, La Main coupée ». Suivent, dans le tome II, « Bourlinguer, Le Lotissement du ciel, J’ai vu mourir Fernand Léger, Ecrits de jeunesse ( 6 ensembles, avec des dessins de B.C.), des Entretiens et propos rapportés ». Les deux volumes sont flanqués d’un album dont il est inconcevable de les séparer. Choisie et commentée par Laurence Campa, la riche iconographie est prétexte à une autre analyse biographique. L. Campa signe simultanément une biographie d’Apollinaire (Gallimard). Pas étonnant qu’elle associe ici les deux poètes, donnant le ton de leurs rapports – admiration, émulation, rivalité – et rappelant la nuit passée par Cendrars au dépôt, pour avoir volé un livre d’Apollinaire à l’étalage d’une librairie. Le vol d’un ouvrage, aux seules fins de le lire, est un hommage plus pur que bien des critiques prestigieuses …

Quignard, le stylite
Notamment auteur des « Petits Traités » et de « Dernier Royaume », déployés chacun en huit tomes, Pascal Quignard ne dédaigne par les entreprises de longue haleine. Cinquante pages suffisent ici au musicien qu’il est pour évoquer en trois temps avec une extrême densité Paul Celan, dans l’élan de l’amitié Gérard Bobillier, avec la livrée du Parthe l’impériale mesquinerie de M. Gracq. Cinquante pages, oui, mais en disent long. Chez Quignard le ressac de l’émotion est en mouvement perpétuel, amadoué par la pudeur et la jubilation discrète. A Celan, il doit la passion de la traduction. A Bobillier, l’indestructible citadelle de l’amitié, sentiment dont il analyse la puissance – comme un typhon qui sommeille – et la valeur humaine : la famille est une conséquence, l’amitié une décision. Zénon, rappelle-t-il, avait noté que l’ami est un autre je. Rimbaud dira plus tard « Je est un autre. Tant pis pour le bois qui se trouve violon ». Surprise ! Le premier texte de Quignard évoque un bout de bois qui se prit pour un Stradivarius. On est en 1920, les Demoiselles Quignard enseignent la musique dans le village d’Ancenis. Le petit Louis Poirier vient en charrette de Saint-Florent-le-Vieil, prendre sa leçon de solfège, suivie de sa leçon de piano, auprès de Mademoiselle Juliette, dont la baguette de jonc ne sert pas qu’à marquer la mesure …En 1987, Pascal Quignard signe « La leçon de musique », qui lui vaut d’être convoqué par Julien Gracq, alias Louis Poirier, aux fins d’identification, comme on dit dans certains milieux peu suspects de générosité. Oui, Pascal est bien le neveu des grives musiciennes. Gracq publiera sur cet épisode de son enfance, des lignes venimeuses et peu dignes, mais combien révélatrices du personnage. On peut les lire ici, commentées par Quignard, duquel « elles font un peu trembler les lèvres », avec cette sobriété que commandent l’émotion, l’élégance et une certaine sidération. Par l’étude l’âme s’évade, écrit Pascal Q. Par la rancœur l’âme rancit et trouve refuge dans l’orgueil, le mépris glacé, la superbe ankylosée. Le roi est nu. Il n’est point besoin d’un carquois pour l’abattre. N’est pas saint Sébastien qui veut. Une seule flèche suffit. Prima necat. Louis se rengorgeait d’être Julien – qui rime avec hautain – mais Gracq, fonctionnaire métronomique et preneur de poses rostrales, n’a jamais cessé de faire le Poirier.

« Romans », Patrick Modiano, Quarto Gallimard, 23,50 euros
« Œuvres autobiographiques complètes », Blaise Cendrars, La Pléiade Gallimard, 2 volumes, chacun au prix de lancement de 52, 50 euros
« Album Cendrars », iconographie choisie et commentée par Laurence Campa, La Pléiade Gallimard, offert sous conditions

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