Jean-Christophe Spinosi : la volonté de s’extraire des conventions
Par Nicolas Vidal – bscnews.fr/ Jean-Christophe Spinosi revient après de longues années d’absence avec l’ensemble Matheus pour un nouvel album singulier et poétique à bien des égards. Miroirs est le fruit de collaborations et d’une volonté de s’extraire des conventions, de créer en liberté et de lier les genres tout en prouvant que le talent est un genre à part entière. Jean-Christophe Spinosi nous donne les clés de ce nouvel album.
Qu’est-ce qui vous a amené à vouloir » décloisonner » la musique ?
Il ne s’agit pas réellement d’une question de décloisonnement. Quand on veut relier une œuvre à toutes les sources qui l’ont influencé, on trouve des héritages variés : des compositeurs antérieurs, mais aussi de la musique populaire, des musiques traditionnelles. En tant qu’interprète, on peut nourrir son inspiration de répertoires savants, mais aussi de la fréquentation d’autres types de musiques : populaires, extra-européennes, jazz, rock… Tout cela fait partie de notre environnement quotidien. En tant qu’homme du XXIème siècle, j’imagine que pour les rendre vivantes, on doit nourrir nos interprétations de référents contemporains et pas seulement de sources historiques certifiées et homologuées !
On lit sur le site de l’ensemble Matheus à propos de votre adoption géographique par la Bretagne que « l’attachement est pour vous primordial ». Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
Nous avons créé l’Ensemble Matheus là où nous vivions et où nous vivons toujours ! Le fait d’avoir pu travailler à Brest pendant des années nous a permis de construire un laboratoire d’idées un peu folles et de construire nos interprétations en toute liberté.
Quelle est la genèse de l’Ensemble Matheus ?
Nous avons commencé par former un quatuor à cordes avec des instruments anciens ou modernes selon le répertoire interprété. Nous nous sommes très vite agrandis pour constituer un orchestre. L’idée d’avoir notre propre groupe était d’aller au-delà des conventions en toute liberté pour construire des interprétations vraiment personnelles !
Après plusieurs années d’absence, quelle a été l’idée de départ pour ce nouveau disque ?
Quand j’ai découvert le lamento de JC Bach il y a un peu plus de dix ans, j’ai trouvé que cette musique était extrêmement intemporelle et même très moderne. J’ai alors eu l’idée de demander à Nicolas Bacri de composer une œuvre qui puisse reprendre les matériaux de base de celle de J-C Bach : même intrumentarium, le même type de voix, le même texte et la même durée. Tout en demandant à Nicolas de bien composer ce qu’il souhaitait avec sa sensibilité d’homme du XXIème siècle. Nous avons créé cette œuvre dans une petite chapelle en Bretagne avec un contre-ténor alors peu connu : Philippe Jarousky. Le résultat de la confrontation de ces deux œuvres était si beau que j’ai toujours gardé comme idée de les garder comme s’il était la base d’un enregistrement de deux œuvres qui se complémenteraient en Miroirs. Nous avons également utilisé d’autres œuvres pour créer un miroir aux multiples facettes.
Comment présenteriez-vous en quelques mots cet album à des non-initiés à la musique classique ?
Au-delà de cette idée de Miroirs, ce sont des musiques qui nous parlent aujourd’hui. L’Adagio de Barber a été utilisé de nombreuses fois au cinéma (Elephant Man, Platoon). Chostakovitch a aussi écrit pour le cinéma, tandis que les deux Bach sont des purs joyaux du Baroque. Celle de Bacri pourrait également être une magnifique musique de film. Tout cela peut facilement être relié à la culture populaire.
On peut lire sur vous que vous avez été attiré très jeune par la direction d’orchestre. Comment expliquez-vous cela ?
J’adore faire de la musique en groupe. Je suis d’une famille nombreuse. Je suis violoniste et j’ai toujours joué dans toutes les situations : en soliste, en orchestre et en musique de chambre… La direction d’orchestre était à la fois pour moi l’idée d’apporter mes propres interprétations et de continuer de jouer en groupe. Je ne suis pas pour autant solitaire, bien au contraire !
L’Ensemble Matheus n’est-il pas quelque part une alchimie savamment dosée entre audace et talent ? Autrement dit, Miroirs n’est-il pas un disque idéal pour l’Ensemble Matheus ?
Merci pour le compliment de la première partie de la question. En tout cas, Miroirs représente vraiment les caractéristiques de cet Ensemble : la variété des répertoires interprétés et le lien possible entre tous ces différents genres…
Où pourra-t-on vous voir en concert dans les semaines à venir ?
Nous avons une saison 13/14 particulièrement chargée. Après une tournée avec l’Orlando d’Haendel qui se terminera mi-novembre à l’Opéra Royal de Versailles, nous retrouverons le Théâtre du Châtelet pour la reprise de « La Pietra del Paragone » de Rossini en janvier. 2014 sera aussi marquée par notre nouvelle collaboration avec Cecilia Bartoli puisque nous la retrouverons au Théâtre des Champs-Élysées dans l’Otello de Rossini, dans La Cenerentola à Salzourg à Pâques et cet été et dans L’italienne à Alger et à Dortmund.
Miroirs
Jean-Christophe Spinosi
Ensemble Matheus – Malena Ernman
Deutsche Grammophon
Crédit photo: Jean-Baptiste Millot
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