Amalia? Respirez… Soufflez…Vous êtes en terre communiste !
Par Florence Gopikian Yeremian – bscnews.fr / La voici sur scène droite comme une image, les mains croisées dans le dos et arborant fièrement sa cravate de pionnier communiste. C’est Amalia, pur produit du régime roumain, petite fille du peuple à laquelle on demande d’obéir sans trop avoir à réfléchir.
Avec ses joues gonflées et sa malice d’enfant, elle ose parler à Dieu et lui demande de bien veiller sur maman et Babouchka qui sont montées au ciel. Elle prie le Seigneur en secret, non pas parce qu’on risque de se moquer d’elle, mais tout simplement parce que c’est interdit de prier le bon dieu! Oui, IN-TER-DIT ! Le parti ne tolère aucune concurrence, pas même celle d’une divinité. Amalia le sait, elle devine ce qui se trame dans son pays et ce que l’on tente d’infliger à son cerveau mais elle ne parvient pas à le faire accepter à son cœur. Comment faire semblant de vivre avec une telle répression? Comment se laisser mener dans ce quotidien absurde et irrespirable ?
Respiration…
Alors Amalia se soumet: elle grandit en psalmodiant des chants soviétiques, se nourrit en faisant les poubelles des luxueuses ambassades et élève un cochon de 200 kg dans son appartement communautaire en espérant que personne ne la dénoncera. Au fur et à mesure que les années passent, la jeune fille commence à perdre le sens des réalités. Elle se prostitue, parle toute seule où s’imagine en mission secrète… Est-elle devenue simplette ou feint-elle la folie ? Critique t’elle réellement le confort du capitalisme ou entre t’elle dans le double jeu national de tous ses chers camarades?
Respiration…
Durant deux heures de propagande théâtrale la fabuleuse interprète Codrina Pricopoaia va vous faire partager les doutes et les fausses joies de sa pauvre Amalia. De sa voix forte et volontaire, elle va retracer le parcours d’une vie déchirée entre le désespoir et la résignation : comme la plupart des enfants de Ceausescu, cette orpheline n’a rien pu comprendre de son existence! On lui a attaché les mains et bloque la respiration en lui faisant croire que rien d’autre n’était possible sur cette terre! Au seuil de sa vie, elle est devenue une vieille âme égarée qui ne comprend rien à la chute du régime soviétique : ou sont passés tous les repères mensongers qui la guidaient dans ses tristes journées?
Respiration…
Malgré une ambiance sourde et une mise en scène minimaliste, ce texte d’Alina Nelega ne laisse pas indifférent. Porté par une comédienne hors pair, il nous séduit autant qu’il nous agace grâce à son cynisme faussement puéril. Amalia peste avec fraîcheur, Amalia milite avec sarcasme, Amalia méprise excessivement le parti autant qu’elle l’adule. Avec son petit accent slave qui adoucit si bien les consonnes, le monologue de Codrina Pricopoaia est un questionnement corrosif et nécessaire sur le sens de la vie dans un pays totalitaire: lorsque la société vous force à fermer les yeux, faut-il les garder clos pour survivre dans un songe ou les ouvrir et respirer profondément afin de chasser toute peur en s’élevant vers une certaine liberté?
Amalia? Tragique et cruel comme 70 ans de dictature.
Un grand « Hourra !!! » pour Codrina!
Amalia, respire profondément
Texte d’Alina Nelega
Mise en scène de Bobi Pricop
Avec Codrina Pricopoaia
Théâtre des Déchargeurs
3, rue des déchargeurs
Paris 1er – M° Chatelet
Du 1er octobre au 23 novembre 2013
19h30 – Du mardi au samedi
Résa : 01 42 36 00 50 – 0892 68 36 22
Au Festival d’Avignon Off 2014 – Théâtre du Bourg-Neuf – 14h
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