Frottez-vous au théâtre d’Harold Pinter: il va vous décongestionner l’intellect!

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Par Florence Gopikian Yeremian – bscnews.fr/ Le théâtre de Pinter dérange. Par sa gravité ascendante qui fait disparaitre les rires, par le regard désillusionné et trop acide qu’il porte sur le monde et sur ses semblables, et enfin par l’apparente banalité de son vocabulaire qui frôle épisodiquement le vulgaire.


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Il en va ainsi du Gardien, pièce étrange et étouffante où évolue à huis clos un trio d’êtres à la dérive. Parmi ces naufragés urbains, il y a Mick, névrosé et manipulateur, son frère Aston complément égaré dans ses rêves et sa léthargie, et puis il y a Davies. Davies, âme errante et raciste cachée sous son bonnet noir au cœur de la nuit. Davies, pauvre bougre puant ramassé dans la rue par bonté de cœur ou par cruauté. Davies, le clochard, qui au fil des jours passés dans ce refuge transitoire va devenir la victime consentante d’une fratrie malsaine et dissolue.A travers un jeu de pouvoir insidieux, les deux frères vont en effet utiliser Davies selon leurs humeurs. Tour à tour ils vont en faire leur chien, leur gardien ou leur complice, s’amusant du vieil homme comme d’un pantin désarticulé.
 Pourquoi ce jeu? Où veulent-ils en venir? Et pourquoi Davies se laisse- t-il faire? Par delà l’ironie première des dialogues et de la situation, la pièce s’oriente sinueusement vers le drame. La haine monte en puissance, les protagonistes s’affrontent, les esprits échauffés s’insultent et macèrent dans une ambiance écrasante de violence gratuite. On suffoque, on se sent agressé par ces rixes incohérentes mais on ouvre encore plus grand les yeux pour tenter de percer le mystère de cette tragédie humaine.

 A travers son humour noir et grinçant, Pinter dépeint parfaitement la solitude qui mène les hommes à la dérive: dérive des sentiments, dérive dans l’alcool, dérive mentale comme celle d’Aston qui a subi un traitement psychiatrique… L’analyse de Pinter est à double tranchant car il se délecte en nous montrant les failles et la vulnérabilité de chacun mais il nous laisse néanmoins une fissure d’espoir : Davies, le vagabond, a tout perdu et pourtant il s’accroche à la vie, Mick de son côté s’illusionne de ses projets, quand à Aston, il végète dans ses rêves.Où nous mène cette pièce pleine de contradictions ? Vers un néant absurde? Un parti pris humaniste contre la précarité? Une constatation amère de la cruauté humaine? A vous de le découvrir.
 Anne Voutey, elle, a eu le courage de se frotter à cette œuvre difficile et perturbante. Peu de jeunes metteurs en scène auraient pris ce risque de désorienter autant les spectateurs mais il semblerait que ce théâtre du réalisme et de la dénonciation par l’absurde parle plutôt bien à Anne. Afin de nous bousculer d’avantage, elle a d’ailleurs volontairement opté pour une mise en scène confinée et très sobre, laissant ainsi plus de place aux dialogues raboteux d’Harold Pinter : parfaitement craché par la voix rugueuse de Davies – Jacques Roussy – le texte trouve une résonnance particulière qui vient écorcher toutes nos illusions et notre confort quotidien. Du pur Pinter donc : à digérer et méditer.



Le gardien


Texte d’Harold Pinter


Mise en scène: Anne Voutey


Avec Patrick Alaguératéguy, Jean-Philippe Marie, Jacques Roussy



– Au Théâtre des Déchargeurs
 3, Rue des déchargeurs – Paris 1er 
Résa: 0892683622 / 0142360050 

Jusqu’au 4 juillet 2013
 à 19h30 du mardi au samedi

– A l’Akteon Théâtre 11, rue du Général Blaise – Paris 11e Du 28 novembre au 7 février 2015 , Les vendredis et samedis à 19h30 / Réservations: 0143387462

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