Pierre Molinier : le verbe choc d’un homme en talons
Par Julie Cadilhac – bscnews.fr / Bruno Geslin sculpte le paysage scénique, agit tel un peintre pointilleux qui ne supporterait pas d’oublier une faute de ton sur sa toile. Les lumières caressent jusqu’au velours des fauteuils des spectateurs, les images projetées tatouent le décor, lui insufflent une vie propre et s’y fondent. Les corps deviennent de la matière à dire et à ressentir; la voix de Pierre Maillet s’approprie elle aussi l’espace, en fait son complice et nous invite à une rencontre en chair et en os avec un défunt jovial, le sulfureux photographe Pierre Molinier- dont la renommée a largement dépassé les frontières outre-atlantique- ivre de liberté et chatouillant les tabous, fétichiste jusqu’à la pointe du talon et provocateur insatiable.
Sous les feux de la rampe ou dans une obscurité intimiste, l’Androgyne aux membres araignées s’ébat, s’exhibe et s’accessoirise pour devenir un objet de fantasme, un sujet troublant et » monstrueusement » sensuel. Non assurément, comme il le confiait à Pierre Chaveau, l’érotisme exacerbé n’est pas un vice mais bien la passion de Pierre Molinier….dont le rire défouloir, au détour de chaque phrase, laisse percer la fragilité et les douleurs intrinsèques d’un être goguenard…par principe. Pierre Maillet incarne avec un naturel remarquable ce personnage haut en couleurs et réussit à ne pas l’enfermer dans une interprétation figée, univoque ; tantôt subversif, tantôt attendri, joueur ou encore ému, il est riche de mille facettes comme l’est un diamant: quand est évoquée la puissance du charme des bas et des jarretelles , veut-il gommer discrètement les rides d’un visage ou les affres d’un deuil? les offenses de Pierre Molinier étaient-elles carapace? Cette pièce vous laisse seul en juger et la réponse est quelques pieds sous terre. Aux côtés de Pierre Maillet, Nicolas Fayol subjugue par les élucubrations de son corps athlétique; Elise Vigier incarne une Emmanuelle sensuelle dont la présence est à la fois essentielle – car la femme est indispensable et obsessionnelle dans l’univers de Pierre Molinier – mais également affadie par son incapacité à rivaliser avec l’excentricité de l’androgyne. Un dilemne « molinierain »? Jeux de lumière, projections d’images, chorégraphies, jeux, forment une alchimie scénique qui pourrait en outre s’alléger de quelques effets moins réussis – s’il fallait un bémol!
Une pièce….à rencontrer!
Crédit-photo: Richard Volante
Titre: Mes jambes si vous saviez, quelle fumée…
Mise en scène: Bruno Geslin
Durée: 1h10
Avec Pierre Maillet, Elise Vigier, NIcolas Fayol.
Dates des représentations:
Les 2 et 3 octobre 2012 au Théâtre de Nîmes
Du 23 au 25 octobre 2012 au Théâtre des 13 Vents -CDN de Montpellier
Le 14 mai 2013 à Mende/Scènes croisées de Lozère
Du 12 au 30 juin 2013 au Théâtre de la Bastille à Paris
Le 3 décembre 2013 à 20h30 au Théâtre des chalands, Val de Reuil
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