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Sandrine Barciet fait monter trois siècles de théâtre montpelliérain sur les planches

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Par Julie Cadilhac bscnews.fr / Sandrine Barciet est metteur en scène, auteur et comédienne. Sa pratique de la danse, classique et contemporaine, et de l’écriture ainsi que ses études d’arts plastiques et de cinéma, l’amèneront à rencontrer notamment le chorégraphe Mark Tompkins qui pratique la danse contact.

propos recueillis par

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Elle en gardera une sensation de libération vis à vis de tous les postulats académiques qui expliquera sa manière de travailler ensuite , en laissant place à tous les possibles, autant pour la question du temps, de l’espace, du corps et de l’improvisation. L’artiste intégrera ensuite à Paris plusieurs groupes artistiques dans les milieux indépendants et underground pour explorer la danse, la scénographie, le théâtre, le cabaret et l’écriture scénique. Puis naîtra Grognon Frères qui, comme son nom l’indique, établit un projet artistique en rébellion face une réalité subie ou imposée et a pour particularité de faire valider ses spectacles par une assemblée d’une soixantaine de personnes, tant artistes que non- artistes.
Eh bien dansons maintenant est né suite à une exposition montpelliéraine concernant le théâtre et l’opéra à Montpellier entre 1755 et 2005 à laquelle Grognon Frères avait été associé. A partir de cette Histoire-Matériau, constituée d’archives administratives essentiellement et de quelques oeuvres dramatiques oubliées, Sandrine Barciet, en collaboration avec la plasticienne et scénographe Valérie Julien, imagine un spectacle où elle souhaite montrer que  » les archives, c’est vivant et que ça nous raconte  » et que « pour que ça raconte, il faut simplement que les mots sortent du papier ». Une production qui nous parlera donc de l’essence de la matière théâtre, fera ressurgir ses fantômes et rappellera que le théâtre est une nécessité. Un beau projet créé cette saison au théâtre Jean Vilar à Montpellier.

Cette pièce est née suite à une exposition concernant le théâtre et l’opéra à Montpellier de 1755 à 2005: qu’est-ce qui vous a d’abord passionné dans ce matériau documentaire historique?
Les fragments d’histoire(s), de vie, de relations qui laissent apparaître la vie, le passé et le présent dans un même temps ; la dislocation du rapport du présent ; la remontée dans le temps comme un miroir à peine déformé de notre présent.

Parmi ces rapports d’architecte, construction de bâtiments, rapports des représentations, lettres internes à la Ville, lettres d’administrés, réactions du public, requêtes, pétitions, etc….Pourriez-vous nous parler d’un document qui vous a particulièrement intéressée ( ou touchée) et que vous avez utilisé ( ou pas) dans le spectacle?
En fait, la plupart me touchent énormément, je ne sais pas en sortir un en particulier, chacun a une vraie place, en ce sens qu’ils sont tous porteurs à la fois d’une réalité (documentaire d’un temps donné) d’un individu, d’une énergie, et qu’ils se tissent et s’éclairent entre eux. c’est ça aussi qui fait leur beauté et leur force à chacun.

Plusieurs résidences ont été nécessaires pour monter « Eh bien dansons maintenant »: quels souvenirs de ce travail de recherche?
Merveilleux ; on a travaillé au Théâtre Jacques Coeur à Lattes, qui ne nous demandait rien en échange ; on était super tranquille et détendu ; on a pu prendre le temps de travailler, de chercher, de s’égarer ; les acteurs avec qui je travaillais savaient qu’ils ne feraient pas forcément partie du spectacle, car je n’étais fixée sur rien à ce moment, du coup, tout se faisait dans la joie, la légèreté, il y avait une immense liberté dans les propositions, car l’enjeu était le travail et pas le résultat.

Vous évoquez trois axes de construction pour l’écriture et la composition, c’est à dire?
Suite aux différentes recherches, je me suis retrouvée avec 3 sortes de matériel : les documents d’archives, très administratifs, les oeuvres dramatiques, et le matériel trouvé en improvisation, que j’ai appelé le magma. Ces trois matériaux se répondaient les uns les autres, et dessinaient une construction en écho qui donnait plus à sentir et percevoir que voir, ce que je trouvais passionnant. Cela dit, maintenant que les répétitions ont commencé et que tout mûrit et se compose, les frontières entre les trois axes sont moins apparents, je ne sais pas si, au final , on saura les distinguer.

Comment avez-vous distribué les rôles dans ce que vous nommez moins pièce que composition musicale?
il n’y a pas véritablement des rôles, mais des personnes ou des corps qui deviennent soit acteur ou chanteur, soit ombre, soit personnage ; la répartition des textes se fait en fonction de la tessiture des voix, et de la façon de parler des comédiens, de dire les mots, de les respirer. il y a des textes qui conviennent à certains et pas à d’autres, qui semblent convenus chez certains, et totalement inattendus chez d’autres ; j’essaie de composer l’ensemble de façon à ce qu’on puisse les savourer autant dans le sens que dans le rythme.

Parmi les ingrédients qui vous semblent indispensables dans une représentation, vous citez des acteurs, un texte, une scène, un rideau, des chaises….et du danger? La prise de risque est essentielle sur un plateau? Ainsi que pour le metteur en scène? Pas d’Art sans prise de risque est votre credo?…Devrait être le credo de tout artiste responsable?
je ne sais pas vraiment ce qu’est un artiste responsable. Responsable de quoi ? Chaque artiste creuse à mon avis un sillon personnel, à un endroit qui lui semble nécessaire, selon un équilibre (ou déséquilibre) entre ses goûts, ses désirs, ses pulsions, ses capacités, son énergie, son intuition, son regard sur les choses… pour moi, et même pour nous, car cette note dont vous parlez est celle de Valérie Julien la scénographe, le danger est très important, car il ouvre des perspectives fortes. Notre époque prévient de tout pour couvrir tous les risques, qu’il ne nous arrive rien de grave, et c’est d’un ennui profond. La vie est dangereuse, et nous avons passé l’âge des histoires noeud-noeud, ou du moins nous n’en avons plus envie. il y a un grand désir dans ce qui a du souffle, qui surprend, qui retourne, qui fait palpiter. Dans la vie, il est parfois difficile ou malvenu, ou épuisant, de rechercher les situations dangereuses, mais au théâtre, il me semble que c’est là qu’on peut respirer, et donc appréhender autrement la vie et la société

« Eh bien dansons maintenant » embrasse non seulement l’Histoire du théâtre, mais aussi et surtout l’Histoire tout court…?
hou… c’est peut-être un peu fort. ce n’est pas un spectacle d’érudit du tout, c’est un jeu : chaque document d’archive (donc d’histoire) nous a renvoyé des questions ou des réactions, des positionnements, et ça se joue dans un va-et-vient entre l’histoire du document, l’histoire que l’on connaît ou croit connaître, et l’imaginaire des comédiens

C’est un spectacle qui souhaite faire réfléchir les spectateurs sur l’essence du théâtre, sur son devenir ?
C’est un spectacle qui est à partager, comme on partage une fête ; il interroge la place du théâtre dans la société, et donc celle des spectateurs, des artistes, et de toute une société, à travers le prisme des trois siècles précédents le nôtre ; et forcément on s’est reposé les questions de l’origine et du devenir du théâtre, mais on n’a pas les réponses, ce qui nous a poussés, c’étaient les questions, ce que cela ouvrait comme réflexions, comme réactions, et ce face à quoi ça nous mettait, notamment nos engagements, l’endroit où on est, ce qu’on désire, ce qui nous bousille, ce qui nous grandit, ce qui nous manque, ce qui nous renverse. Comment continuer, comment avancer, où chercher l’air pour vivre. Le théâtre permet de se reposer ces questions-là ensemble, et donc d’avancer aussi ensemble.

Vous dîtes être inquiète du devenir de l’art et de la culture et vous expliquez notamment que « l’organisation planifiée après-guerre afin de reconstruire le pays, avec entre autres l’accès à tous au théâtre » pourrait  » finalement broyer toute pensée, tout élan, tout sursaut capable de nous retourner le vrai miroir de notre condition humaine »…l’égalitarisme à tout prix a donc tué la spontanéité – ô combien nécessaire à l’Art?
Ce n’est pas tant l’égalitarisme que l’institutionnalisation, la recherche systématique d’établir la bonne direction, et de croire ou faire croire qu’elle est valable pour tous. Or rien n’est plus faux, surtout en ce qui concerne l’art. Il y a des codes, il y a des traditions, une histoire à connaître ou à comprendre peut-être, mais la grande nécessité est la liberté. Et à mon grand effroi, je n’ai pas l’impression que ce soit ce moteur qui nous rassemble dans notre société, je ressens une prise de pouvoir par une intelligentsia limitée, et que l’effort de chacun tend à s’aligner sur ce dictat sans une remise en cause fondamentale nécessaire quand il est question d’art. Alors on est dans la redite, l’exécution, puis la mode, de là on tombe dans la démagogie, la tromperie, et on se retrouve dans la manipulation, alors que le point de départ était le contraire pour la plupart. Le danger n’est pas de perdre sa spontanéité, mais sa propre gouverne.

A force de trop d’égalité, on en perd sa liberté et sa singularité?Sandrine BarcietL’égalité en art n’existe pas plus pour moi que la justice. L’art, ou le théâtre demandent un véritable travail d’investigations, observations, études, essais, lectures, entraînement, recherches, réflexions diverses dans toutes sortes de directions qui permettent de trouver la voie juste par rapport à soi-même, en considérant son désir, ses convictions, ses capacités, ses ressources, sa disponibilité dans une équipe, le tout s’équilibrant différemment en fonction de chaque cas particulier. C’est un véritable engagement de soi-même dans la vie et la société, c’est un travail passionnant, mais également difficile, complexe, parfois douloureux, vertigineux. On peut rarement faire semblant sans être pathétique ou ridicule. C’est là que la quête de la liberté est nécessaire, et c’est un travail de tous les jours, et même de toutes les heures, de toutes les secondes, c’est un travail solitaire qui met face à sa conscience et à son inconscient. Le résultat pour chacun ne sera pas au même endroit, et c’est cela aussi qui est passionnant. Mais si on ne fait pas ce travail, si on le passe en circonvolutions de réseaux, de représentations, d’idées reçues ou attendues, c’est juste du bluff, et on se perd véritablement, aux autres et à soi-même.

Vous dîtes aussi que les comédiens ne sont pas des « chiens savants »: aujourd’hui on fait son numéro pour survivre? La crise a-t-elle selon vous étouffé la plupart des formes de résistance?
Tout se passe bien avant la crise, et bien avant 2003. L’art de l’acteur se systématise par reproduction ou l’imitation, je n’ai pas saisi vraiment quand, j’ai une sensation des années 80, mais peut-être seulement parce que j’en ai fait parti. Je trouve qu’il y a en France des écoles référantes qui prennent la place de Big Brother, et tout ce qui ne ressemble pas à une direction institutionnelle se retrouve non seulement dans la marge, mais quasi éradiqué du paysage. On assiste progressivement à une émergence de l’acteur « standard » – certains parlent d’acteurs « kleenex » – interchangeables, qui traitent tout de la même façon, à qui on ne donne pas – et qui ne se donnent pas non plus – la possibilité d’exploser dans leur folie, et de fabriquer avec cette folie, alors que là se trouve pour moi exactement le théâtre. Et cette unique direction établie, avec tous les codes d’un tapage tape-à-l’oeil, non seulement est affligeante d’ennui, mais elle révèle à mon sens un appauvrissement terrifiant de la liberté de pensée et donc d’être. Et là, c’est une vraie remise en cause de notre civilisation et des valeurs que nous port(i)ons collectivement. D’où inquiétude. Grosse inquiétude. Sinon, je ne suis pas inquiète de cette crise. Elle n’arrive pas par hasard, et va peut-être nous aider à nous repositionner.

Vous évoquez le passé comme un terreau fertile et une terre sur laquelle il est bon de flâner….Chez quel auteur, dans quel siècle allez-vous souvent vous promener ?
Villon et Apollinaire. Tom Waits, Dada, le cinéma de Godard – (je n’y comprends rien, mais il m’émeut profondément). Je reviens aussi très régulièrement vers les Surréalistes, les Russes (Dostoïevski, Tchekhov, Maïakovski, Bounine, Bougalkov), les Clash, les Sex Pistols, les Rollings Stones, le Velvet Underground, les Messes et les Requiem.

Dates des représentations:

– Du 17 au 19 octobre 2012 au Théâtre Jean Vilar à Montpellier

– Le 20 octobre 2012 au Théâtre Albarède à Ganges ( 21h)

– Le 26 octobre 2012 au Théâtre Na Loba à Pennautier (20h45)

– Le 26 mars 2013 au Chai du Terral à Saint-Jean de Védas

– Le 14 mai 2013 à l’ATP d’Uzès

– Le 6 septembre 2013 à 20h45 à Claret (34) ( Résa: bouilloncube.fr / 0467713542)

– Le 7 septembre 2013 à 20h45 à Viols en Laval ( 34) ( Résa: bouilloncube.fr / 0467713542)

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