Britannicus ou la naissance d’un monstre par Tatiana Stepantchenko
Par Julie Cadilhac – bscnews.fr/Crédit-photo: DR/ Réussir à exprimer toute la teneur tragique de Britannicus ou la Naissance d’un monstre du grand Jean Racine est un pari qui nécessite de s’entourer de comédiens qui sachent donner au vers un rythme aussi intelligible que la prose et saisir à bras-le corps toute la tension enchevêtrée dans chaque personnage. Comment rendre par des effets scénographiques l’atmosphère étouffante et conspiratrice du palais de Néron?
Comment montrer la folie latente d’un empereur déviant, la détresse de deux amoureux purs arrachés à leurs plaisirs simples par caprice, la fureur d’une mère envahissante et délaissée, l’inquiétude discrète d’un fidèle ministre, la traîtrise d’un conseiller oppotuniste? Tatiana Stepantchenko ,ancienne élève de Constantin Stanislavski et assistante de Michael Tchekhov, y réussit avec talent . Elle montre Néron comme un empereur à l’état embryonnaire qui, en quelques heures après l’enlèvement de Junie, incapable de maîtriser ses désirs et d’avoir un jugement autonome, bascule dans la violence et l’arbitraire. Jacques Allaire utilise son corps comme un instrument qui révèle en notes inquiétantes l’état maladif de Néron qui marche en déséquilibre constant: le corps entier exprime les tiraillements qui l’assaillent. Sorte de pantin maléfique, Néron terrifie par son caractère influençable et ses faiblesses nombreuses qui le rendent fébrile et agressif. C’est un rôle que Jacques Allaire interprète avec beaucoup de justesse et de densité dramatique. Agrippine est une génitrice castratrice impitoyable que l’attirance pour le pouvoir aveugle et Claire Mirande l’incarne avec une tension qui ne faiblit pas. Junie est aussi pure que délicieusement interprétée par Marion Delplancke, Britannicus est parfaitement naïf et malléable, Brutus et Narcisse figurent deux conseillers zélés aux intentions opposées. Dans un décor épuré , Tatiana Stepantchenko joue avec des transparences de rideaux derrière lesquels l’on épie et l’on est vu mais aussi avec des effets de lumière et d’ombre qui donnent à la pièce toute sa dimension antique et tragique. La metteur en scène choisit de montrer ainsi une cour inquiétante peuplée de couloirs profonds et de desseins sinistres. L’action se déroule dans un lieu de passage, un endroit où l’on se croise et où les décisions se défont aussi vite qu’elles se sont nouées. Une pièce angoissante donc où naviguent des esprits sournois prêts à nuire et à conspirer et où se meurent doucement les âmes innocentes. Les costumes, d’ailleurs, où ne percent que du noir et blanc, se marient admirablement avec l’intrigue toute de deuil déjà vêtue.
Le monstre est-il celui qui se laisse guider ou celui qui guide? L’esprit ou la main? Narcisse serait-il le seul être vil de cette pièce? Néron est- il victime de son sort? Le texte de Racine et les choix de mise en scène abondent en ce sens et en cela Néron devient un personnage tragique qui ne peut échapper à sa destinée de tyran. Toute la pièce, avec intelligence , montre le poids des hérédités et la puissance inéluctable du destin. Lorsqu’Agrippine est scandalisée d’avoir un fils fratricide, on rit de l’ironie de l’Histoire. Néron n’est qu’une autre Agrippine et son matricide futur est d’ailleurs déjà annoncé par les proférations furieuses de l’intéressée! L’empereur prétendu pyromane par l’Histoire a le sang meurtrier de sa mère ; Britannicus a celui de son père Claude ,doux et confiant, et tous deux ont péri empoisonnés. Dans ce palais où la soif du pouvoir conditionne les actes et les pensées des plus machiavéliques, ce sont les moins calculateurs qui deviennent les victimes. Tatiana Stepantchenko nous offre une noble pièce que l’on conseille vivement à tous les amoureux de la tragédie classique….
Titre: Britannicus
De Jean Racine
Mise en scène: Tatiana Stepantchenko
Avec Claire Mirande, Catherine Mongodin, Jacques Allaire, Mathias Maréchal, Marion Delplancke, Damien Remy, Laurent Letellier.
A Lattes les 2 et 3 mars 2012