Pyrame et Thisbé: sous la lueur des bougies, un travail d’orfèvre
Par Julie Cadilhac– bscnews.fr/ Le Théâtre de l’Incrédule rend à Théophile de Viau, auteur épicurien aux écrits libertins, un superbe hommage dans sa représentation de Pyrame et Thisbé à la lueur, fragile et tremblante, des bougies.
Si assurément la pièce est dans une langue exigeante pour nos oreilles contemporaines et si l’on comprend peut-être ici pourquoi William Shakespeare eût plus de succès avec sa réécriture des amants maudits, c’est assurément un plaisir immense que d’entendre vibrer ce vers passionné! Benjamin Lazar et ses comédiens ont accompli un travail pointilleux que l’on ne peut que louer: leur diction, fidèle à celle qu’usaient les acteurs du XVIIème siècle, donne au verbe des couleurs singulières et poétiques; le r roule sans finir, roucoule, rage ou gronde tantôt, les lettres jalouses résonnent toutes sur les lèvres, les accents ne restent pas tapis – ils s’expriment en notes chantantes- et l’on vibre à l’unisson avec cette langue précieuse et grandiloquente. L’utilisation de décors à compartiments ,qui permet de représenter plusieurs lieux en un même espace, donne à la fois une dimension archaïque au plateau et permet des tableaux d’une beauté saisissante. Les costumes d’Alain Blanchot sont de véritables merveilles esthétiques, respectueuses – en plus! – des coupes et des modèles des costumes d’époque. Pourpoints, collerettes, fraises, trousses, coiffures ont été sculptés, limés, ciselés par la main d’un créateur de génie. On applaudira ensuite Benjamin Lazar pour son travail de mise en scène ( même si l’on reprocherait -si l’on osait- une baisse de rythme dans certaines scènes). Sa direction d’acteurs et son souci du détail sont à saluer: chaque geste est mené avec une grâce calculée, chaque déplacement est chargé d’histoire tellement qu’on a l’impression d’avoir fait un voyage dans le temps et assisté à une représentation privilégiée à l’Hôtel de Bourgogne! Il faudra applaudir aussi son interprétation d’un Pyrame enflammé par l’Amour et dont chaque respiration est celle d’un coeur qui se consume dans un destin irrémédiablement funeste. On retiendra notamment les confidences vibrantes, dans le sein d’un mur complice, des deux amoureux séparés et l’on a aimé cette rampe de bougies qui sépare tragiquement une ombre et une clarté! On finira par féliciter aussi Alexandra Rübner qui dégage une énergie incroyable et manie cette diction difficile avec une aisance épatante de naturel, Anne – Guersandre Ledoux dont on admire la performance des « trémolos larmoyants » et puis tout le reste de la troupe – comédiens, scénographe, maquilleuse, lumières! On dira simplement- et sans qu’il faille y voir une nuance négative- que c’est un spectacle dont il faut être sensible à la poésie et au travail rigoureux d’orfèvre et qu’il est en cela sans doute adressé à un public puriste et désireux de préserver tous les reliefs et les singularités de notre si belle langue…
Titre: Les amours tragiques de Pyrame et Thisbé
De Théophile Viau
Mise en scène: Benjamin Lazar
Au Théâtre des 13 Vents ( Montpellier) du 8 au 10 novembre 2011