Le ballet royal de Flandres et son Artifact hypnotisant
Par Julie Cadilhac – bscnews.fr / Et un, le rythme est scandé par une maîtresse de ballet aux allures de magicienne. Mise en abyme? Clin d’oeil aux clichés de la danse classique que William Forsythe malmène à plaisir? Voilà un ballet aux allures étranges où l’on rompt avec la tradition classique pour mieux s’y référer ensuite. Pas de synchronisation de l’ensemble des danseurs, au contraire, dans un joyeux mouvement désordonné règne un chaos calculé de bras, de jambes qui s’articulent, se désarticulent à plaisir.
14 danseuses et 12 danseurs investissent le plateau et, plongés dans des jeux de lumière d’une beauté hallucinante, ils se muent en êtres immatériels, aux gestes éthérés. Le premier tableau joue sur des effets d’optique qui soutiennent l’impression d’un rêve éveillé. Voit-on vraiment ces corps qui se dessinent dans la semi-obscurité, tremblotent derrière un rideau de lumière moiré, glissent sur le sol réfléchissant comme un miroir? Une femme-orchestre scande des mots, comme un refrain: « Try not to forget », « You see », « You know » et de ses mots qui l’enferment naissent le mouvement de créatures qui surgissent de l’ombre ou y restent tapies et, avec une rigueur incroyable, exécutent les ordres d’une reine perdue dans la foule de ses inquiétudes et de ses obsessions.
Et deux, le jaune et le blanc investissent les justaucorps brillant comme des soleils sous les feux d’une rampe capricieuse. Se dévoilent plusieurs moments chorégraphiques qui, par des levers de rideaux récurrents, confortent l’impression d’irréalité. On est spectateur de parenthèses hallucinés où des couples, accompagnés du piano ou d’un violon, subjuguent par leur grâce et leur technique tandis que le reste du groupe fait corps. On ne saura trop dire la beauté de ces corps qui deviennent décor fixe ou mouvant. Il y a assurément quelque chose de magique dans la vitesse avec lesquelles les danseurs se déploient dans l’espace; leurs bras savent s’improviser girouettes étourdissantes, leurs pieds être des ressorts efficaces pour des sauts impressionnants. On applaudira également les deux talentueuses solistes qui, tour à tour, guidés par leurs partenaires, présentent sous nos yeux médusés des pas et des attitudes d’une précision et d’une grâce épatantes.
Et trois, un bémol. Un tableau déstabilisant où se met en scène tout le contemporain que l’on déteste. La musique devient inconfortable tant elle colle à l’atmosphère délirante qui hante les interprètes qui gesticulent davantage qu’ils ne dansent. L’ultra-moderne envahit le plateau, on ne comprend pas vraiment le rapport avec les deux premiers tableaux et l’on espère que cela va se finir vite…on se demande une fois de plus qui, le premier, a eu l’idée stupide de faire du mégaphone un objet hyper branché dans les arts vivants! Une symphonie du n’importe quoi qui agresse l’oeil et l’oreille…mais qui s’étouffe très vite, comme pour s’excuser.
Et quatre, le rêve est de retour. La magicienne, dans une forêt de corps, poursuit sa quête. Le monde s’improvise partition, il semble que sur le fond blanc d’une portée, des notes de musique dansent et se balancent. Un ballet d’ombres suit la voix du piano. Tout est beau: les costumes masculins et féminins forment dans une majesté renouvelée de lignes des tableaux harmonieux pour les yeux, les bras semblent des ailes, on dirait que l’on observe le spectacle au travers du filtre des songes.
Cet Artifact est une pièce de génie tant elle sait jongler avec la tradition classique et la réformer en même temps, tant elle joue par des jeux de lumière avec notre perception et nous offre une proposition chorégraphique aussi singulière que talentueuse. Un moment de perfection à vivre assurément!
DATES:
Les 5 et 6 juillet 2011, Montpellier Danse.
Du 24 au 30 novembre 2011, Scène nationale de Chaillot