L’homme qui voulait montrer les étoiles contenues dans les livres
Par Julie Cadilhac– PUTSCH.MEDIA/ Crédit-photo: Marie Clauzade/ L’homme qui rit: un enfant mutilé qui ne peut offrir au badaud qu’un visage figé dans une grimace monstrueuse. Une jeune femme aveugle dont chaque battement de coeur est une offrande à celui dont elle voit seule la beauté. Un philosophe plus poilu que son loup de compagnie, plus bourru que l’ours dont il s’est fait un manteau, plus lucide que la lumière elle-même. Gwynplaine, Déa, Ursus et Homo. Quatre êtres infortunés qui sont une représentation bouleversante de la fraternité. Un univers romanesque auquel l’imagination romantique hugolienne offre un écrin philosophique baroque. Un texte sublime que Gérard Guillaumat donne à entendre lors d’une lecture intimiste à l’ombre des pins centenaires du Domaine d’Ô. Là, l’extraordinaire survient: on n’entend pas seulement les mots glisser, fluides, dans notre oreille charmée par une diction mélodique et soucieuse de respecter le souffle des phrases; on voit tout: le naufrage, la mer déchaînée, la découverte du bébé sur le sein gelé de sa défunte mère, la caravane d’Ursus, les représentations des saltimbanques, la chambre des lords, la duchesse vicieuse, le froid, la peur, la tendresse, l’amour, la mort des amants. Le judicieux découpage de ce roman fleuve permet – à l’initié comme au néophyte – de jouïr de cette oeuvre classique sans en ressentir un quelconque inconfort temporel. Gérard Guillaumat aime les textes dont il se met au service, cela transpire dans ses sourires complices, ses rires contenus, ses sages silences aussi. C’est beau de voir la délicatesse avec laquelle ce Lecteur tourne les pages du livre, on y devine une dévotion vieille de plusieurs décennies et une fidélité toute aussi ancienne. Avec modestie, rien qu’avec sa voix chaleureuse et ses mains qui serpentent sur les pages, il nous invite à un voyage où l’imagination est reine, l’amour guérit les plus vilaines blessures, les bannis font résonner leurs cris de désespoir et les téméraires déversent leur rage et osent dire » non content »! Et puis…c’est l’heure pour l’amour pur d’être sacrifié, voilà que Déa meurt d’un battement de lèvres fiévreux mais comblé d’avoir retrouvé celui qui éclairait ses jours, voilà qu’Ursus sanglote et que le visage irradié d’un indicible apaisement, Gwynplaine jette son corps à la mer en un éclaboussement d’étoiles.
L’estomac noué, les yeux pleins de larmes, le coeur serré comme au quai d’une gare, on quitte à regret ce conteur généreux, cet aède qui sait si bien faire danser le verbe sous nos yeux, ce grand monsieur de théâtre qui réussit sans trop le savoir à exaucer son plus cher désir: faire aimer ou re »aimer » l’oeuvre d’un écrivain…un faiseur de miracles littéraires qui fait pousser un livre sur des tables de chevet jusqu’alors profanes tandis qu’il soumet d’autres à un flux migratoire irrésistible qui les mène sur les mêmes lieux. Un magicien.
Titre: L’homme qui rit Auteur: Victor Hugo Lecture de Gérard Guilllaumat
Au Printemps des Comédiens du 10 au 12 juin 2011