Romain Gary : la valse à mille vies
Par Marc Emile Baronheid – bscnews.fr/ Trente ans de purgatoire : un délai raisonnable ? Beaucoup d’écrivains disparus s’en satisferaient, d’autant qu’ils sont deux à le partager : Romain Gary le ténébreux – Emile Ajar le fulgurant.
Aujourd’hui que ses contemporains critiques ont disparu, va-t-on enfin regarder l’homme Gary avec sérénité et considérer l’œuvre avec détachement ? La France apprécie peu les polytalentueux. Ils sont rétifs aux bâts des étiquettes et exigent de leurs détracteurs un brio peu commun.
Même leurs admirateurs s’y égarent. Aujourd’hui encore, ceux qui lui veulent du bien évoquent un Gary caméléon, illusionniste, dissimulateur, ce qui nourrit l’équivoque.
La passionnante exposition – hommage que lui consacre le Musée des lettres et manuscrits (1) fait justice à cette injustice. Soucieuse de « déchiffrer le mystère de la magie Gary », elle montre et sonde, par un foisonnement de manuscrits de travail, écrits personnels et photographies, une constellation dont les astres majeurs ont pour nom roman, nouvelle, théâtre, reportage, scénario, dont la Femme est l’étoile polaire, avec la France et le respect humain pour valeurs refuges.
Pour beaucoup, Gary est essentiellement l’écrivain aux deux prix Goncourt, l’acrobate du pied de nez, l’auteur du soufflet le plus retentissant jamais donné au microcosme littéraire parisien. A l’époque, l’action Gary est en chute libre à la bourse de Saint-Germain-des-Prés : l’aura du pilote de guerre est délavée, celle du diplomate a disparu et l’écrivain qui confiait à Malraux « Chateaubriand est un con » se sait aussi mal aimé. Il crée un leurre flamboyant : Emile Ajar. On connaît la suite, qui permettra à Gary de dire à ses contempteurs – souvent les chantres d’Ajar – qu’au-delà de cette limite leur ticket critique n’est plus valable.
L’exposition n’élude ni n’oublie rien. Constituée de 160 pièces, elle montre quantité de manuscrits, parmi lesquels celui d’un premier livre écrit à 17 ans, à ne publier sous aucun prétexte prévient l’auteur. Aussi l’original des Enchanteurs, dont des passages ont été retravaillés jusqu’à 50 fois.
Un étonnant procédé propose de suivre l’écriture de quelques phrases et donne au visiteur le sentiment enivrant de tenir la plume. Autre moment intense, la reconstitution d’un mur photographique du bureau de l’écrivain.
Une livraison du magazine Plume(www.plume-mag.com) et le catalogue de l’exposition (2) accompagnent l’hommage attendu à celui dont la mère se persuadait qu’il serait Guynemer, qu’il serait Victor Hugo. Destinée illustre, en vérité. Il lui a infligé le plus éclatant des démentis en devenant Romain Gary et consorts, proclamant avec superbe que Je est plusieurs , à nul autre pareils .
(1) exposition Romain Gary, des Racines du ciel à La vie devant soi – jusqu’au 20 février 2011 au Musée des lettres et manuscrits, 222 bd Saint-Germain, 75007 Paris. www.museedeslettres.fr
(2) Lectures de Romain Gary – Gallimard/Musée des lettres et manuscrits, 288 pages, 160 illustrations, portraits de Gary écrits par 12 auteurs
Romain Gary ( 1972) Photo Jacques Robert – Gallimard & Manuscrit de Claire de Femme – (D.R)