Rentrée littéraire : l’illusion collective

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Par Sophie Sendra – bscnews.fr / Tout le monde éprouve à son échelle l’idée de « rentrée ». La fin de quelque chose et le début d’autre chose. Une habitude qui se répète chaque année. Une rentrée, c’est pénétrer à nouveau dans un endroit, c’est revoir un lieu connu. C’est la différence entre faire son « entrée » et faire sa « rentrée ». Dans cet ultime terme, il y a cette profonde sensation de « refaire ». On prend les mêmes et on recommence.
La rentrée littéraire n’échappe pas à cette analyse. Exception française (encore et toujours) qui ne semble plus correspondre à grand chose. Pourquoi ?
La nostalgie voudrait que nous nous passionnions autant que dans ces temps lointains où les grandes figures de la littérature faisaient grand bruit à l’annonce de leurs nouveautés, de leurs styles qui bousculaient la tradition de l’écriture. Les jeunes écrivains jetaient un pavé dans la marre de l’académisme, suivis de près par les prix littéraires.

Que dire ?
Justement, cette question est au cœur du problème. En faisant quelques recherches, on s’aperçoit que les mêmes noms ressortent des listes sélectionnées par les magazines. Amélie Nothomb, Michel Houellebecq, Virginie Despentes, Thomas Pynchon etc.
Les valeurs sûres sont de cette rentrée, les ventes sont assurées, les passages audiovisuels également. Les plus de 700 ouvrages sont déjà indigestes. Comment font mes collègues pour lire et faire la sélection entre tous ces livres. Ont-ils lu ? Parcouru ? Le titre, la couverture sont-ils un choix en soi ?
Tous les journaux vous feront – à peu de choses près – la même liste. Quelques nouveautés en plus, comme on ajoute une pincée de sel pour relever un plat trop fade. Qui va donner le « bon cheval » ? Qui sera LE critique qui dénichera les bons « numéros ». A chacun son prix.
Les prix littéraires pour les uns, le prix de la sélection pour les autres. La rentrée littéraire française est calée sur le Fémina, le Renaudot, l’ Interallié, Le Goncourt, le Médicis.
C’est de cette avalanche de prix qu’est née la « rentrée littéraire ». C’est également l’illusion collective de penser que les écrivains rendent leurs copies à la même date, au même moment, qu’ils ont l’inspiration programmable, qu’ils se font concurrence au même instant, le mois de septembre. A la rentrée des uns (scolaire, travail), les autres attendent leur nomination, la promotion de leur livre, les chiffres des ventes.

Comment le dire ?
Il faut sans doute lever le voile. Ce serait mentir que de dire que les critiques littéraires lisent toutes les nouveautés. Soit ce sont des « liseurs » exceptionnels (700 livres en quelques semaines) soit ce sont de bons parieurs. Une autre piste est exploitable dans notre recherche de vérité : celle qui consiste à faire de l’information. En d’autres termes, on informe le lecteur que tel ou tel écrivain sort un nouvel ouvrage, et que voici telle ou telle nouveauté qui semble à première vue se démarquer des autres.

Alors que dire et comment le dire ?
La diplomatie voudrait que je fasse comme tout le monde, comme les années précédentes : une liste, un commentaire, un conseil. Je ne ferai pas cela parce qu’il me semble qu’un seul conseil soit utile cette année : déplacez-vous chez votre libraire.
Au cœur de cette nuée infranchissable de livres, il sera le seul à vous conseiller correctement. Faites-le tout au long de l’année car les écrivains ne choisissent pas le moment de l’écriture. S’ils le font c’est qu’ils ne sont pas fréquentables. Le « calcul » en littérature n’a pas sa place quand on veut lire de bons auteurs. Mais il faut faire vivre les éditeurs, alors on prend date pour ce moment très spécial, ce que je comprends.
Le monde de la littérature a changé, il faut compter sur la télévision et la concurrence des chaînes. Il faut penser à elles, venir se montrer. L’écrivain de l’ombre n’est plus, il doit être dans la lumière.

Que lire ?
De cette question, je retirerais sans doute le fait de vous faire confiance. Ne regardez pas forcément l’éditeur, regardez le thème, la quatrième de couverture, prenez la première page et lisez. Si le style vous convient jetez-vous à l’eau. La philosophie en matière de lecture est celle qui est dirigée par le même principe que celui de l’écrivain lui-même : l’inspiration. Ce principe est celui de la respiration du monde. L’auteur s’inspire du monde et vous vous inspirez de l’écrivain en le lisant. La boucle est bouclée.
Je ne résiste pas à vous donner tout de même quelques titres sans pour autant vous donner des commentaires inutiles, il faudra que vous touchiez l’objet livre afin de voir s’il vous inspire : Jean-Jacques Rousseau, En 78 lettres, un parcours intellectuel et humain, Présentation de Raymond Trousson (Éd. Sulliver) ; Mots d’excuse, Les parents écrivent aux enseignants de Patrice Romain (François Bourin Éditeur) ; Le livre noir de l’accueil de la petite enfance sous la direction de Patrick Ben Soussan (Éd. Eres) ; La carte et le territoire de Michel Houellebecq (Flammarion) ; Vice Caché de Thomas Pynchon (Éd. Le Seuil) ; Tout piller, Tout brûler de Wells Tower (Albin Michel) ; Demain j’aurai vingt ans deAlain Mabanckou (Gallimard).

S’il fallait conclure

Il faut déterminer un sentiment pour conclure sur cette rentrée littéraire : « en attente de chef-d’œuvre » pourrait être celui-là. Dans cette quantité d’ouvrages, la place faite à ceux qui aimeraient publier, ces nouveaux « galériens » de la littérature et de l’essai, sont nombreux. L’édition devrait faire le ménage et redonner un nouveau souffle à cette rentrée qui devient scolaire : on est content d’acheter son nouveau cartable, on aime l’idée de revoir les copains, mais on est déçu quand on rentre en classe…

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