11 morceaux suffisent à aiguiser notre curiosité et à soulever notre admiration tant le son limpide de son jeu est réjouissant. Yngvil Vatn Guttu passe son temps entre l’Alaska, Oslo et New-York où elle se produit, l’artiste a mille influences et des horizons musicaux très larges qui se fondent dans son jeu de fort belle manière dans cet album que l’on vous recommande vivement. L’artiste a pris le temps entre deux avions de nous répondre et de nous parler de son parcours si singulier.
On peut lire que vous êtes multi instrumentiste. Quelle est votre histoire avec la musique ?
Tout ce qui compte c’est l’exposition. J’ai grandi baignée dans la musique, classique en particulier. Ma mère était pianiste interprète puis elle est devenue professeur. Mon père réalise des dictionnaires, mais s’il pouvait vivre des vies parallèles, je pense qu’il serait musicien ou musicologue. Il sait beaucoup de choses sur la musique classique. Si vous aimez le son d’un instrument ou de plusieurs instruments – vous êtes motivé à reproduire ce son. Ensuite, c’est juste une question de savoir comment pratiquer et avec le temps, vous apprendrez à jouer – J’ai procédé ainsi à plusieurs reprises avec de nombreux instruments. La trompette et la guitare sont clairement mes deux instruments principaux, mais je pense aussi que le piano est l’un de mes instruments préférés, bien que je n’ai jamais vraiment pris de leçons … je jouais tout le temps. Nous avions deux pianos. J’ai appris à jouer de la trompette sur la vieille trompette d’argent de mon père très jeune – j’avais 3 ou 4 ans peut-être. Je ne me souviens pas comment je suis parvenue à tenir l’instrument … c’est aussi à ce moment que j’ai appris à lire grâce à mon père. Je voulais également une guitare et j’en ai eu une quand je suis entrée à l’école maternelle. Mais je ne pouvais pas en jouer car j’était trop petite.. ou peut-être que l’instrument était bien trop grand pour moi … Elle était dans un coin de ma chambre pendant des années, et je jouais avec les cordes. J’écoutais le son du corps creux, rêvant du moment où j’allais pouvoir la tenir et jouer correctement. J’ai appris pas à pas jusqu’à mes 11 ans, j’ai pris des cours de guitare après l’école et je n’ai jamais regardé en arrière. J’avais quelques capacités concernant la trompette vers l’âge de 11-12 ans et j’en pratiquais plusieurs heures par jour. Mais ensuite j’ai eu un appareil dentaire pendant plus de 3 ans. J’ai donc dû prendre une longue pause. Quand j’ai pu rejouer, j’étais consternée d’avoir perdu mon jeu. Je pensais que la trompette c’était fini. Au même moment, j’apprenais à jouer de la guitare, et j’y jouais tout le temps. Et j’ai combiné avec l’harmonica, à la Bob Dylan. Plus tard, j’ai pris des cours de guitare classique. A 16 ans, j’étais à un concert avec de la Willow Flûte, un instrument folklorique norvégien. Le son est si mystérieux, et la mélodie n’est pas tempérée – Et il n’y a aucun trou pour les doigts. Il faut donc, comme avec la trompette, beaucoup travailler pour maîtriser le flux d’air avec la position de la langue … J’ai toujours beaucoup joué de cet instrument – Mon frère m’a dit une fois que je chantais mal, alors pendant longtemps, je ne pensais pas que je pouvais chanter, mais maintenant je sais que je peux, alors je chante un peu … j’aime vraiment cela – je pense que tout le monde est chanteur quelque part.
En tant que norvégienne et musicienne, pouvez-vous nous parler du rapport qu’entretient la Norvège avec la musique ?
J’ai grandi en Norvège, mais je suis partie à Londres quand j’avais 21 ans et j’y suis restée durant de nombreuses années avant d’aller aux USA. J’étais proche de la nature et de Oslo, les rues, les briques des murs, la lumière, la mer, tout autour de moi. Je sentais que la musique folklorique norvégienne, ainsi que le classique et le jazz qui y sont intimement liés, est vraiment ma voie. C’est s’asseoir là dehors, c’est ce que je sais exprimer. Le simple, claire et mélancolique ton d’un côté, contrasté avec beaucoup de grégarisme et de sens de l’humour – c’est notre identité culturelle, avec mineur harmonique et une gamme lydienne comme tonalités dominantes. Les Norvégiens ne se prennent pas trop au sérieux – bien que notre musique populaire semble souvent triste …
Comment s’est passée votre rencontre avec la trompette ?
Je me souviens que mon père m’a soulevée pour que je me tienne sur le couvercle de notre panier à linge dans le couloir – j’avais 3 ans, je crois. Il a approché la trompette jusqu’à mes lèvres et m’a montré comment souffler. Le son qui sortait était formidable. Fort, clair, je me sentais bien – tout mon corps vibrait ! Ma mère est sortie de la cuisine (elle n’était pas toujours dans la cuisine, soit dit en passant) et m’a félicitée pour le grand bruit … Ce fut un grand moment ! Je savais que je pouvais jouer de la trompette! Puis mon père – qui aimait apprendre à mon frère et moi tout ce qu’il savait – dessinait des notes de musique sur du papier à musique, et nous apprenait les doigtés et les longueurs des notes entre autre choses. Et nous avons eu deux disques de trompette, un avec Maurice Andre qui jouer le Concerto pour trompette de Haydn et un avec Louis Armstrong et Ella Fitzgerald.
Si vous deviez présenter cet instrument à quelqu’un totalement étranger à la musique, que lui diriez-vous ?
Je ne pense pas que j’en dirais beaucoup, je jouerais pour qu’ils puissent entendre le son de celui-ci – Il a un son auquel je me suis identifiée tout au long de ma vie.
On lit que vous voyagez beaucoup et que vous avez travaillé de façon intense à l’étranger. Qu’est ce que cela apporte à votre musique personnelle ?
Je crois que pour vivre dans le monde, il faut être dans le monde. J’adore rencontrer de nouvelles personnes et entendre de nouveaux sons, manger de nouveaux aliments, découvrir de nouvelles odeurs, de nouvelles façons de s’exprimer par et dans la musique. Dans le passé, je voulais intensément étudier la musique du monde entier – j’ai aimé faire les choses en profondeur dans un style ou dans la musique d’un pays. Si vous accrochez avec des gens vous pouvez prendre beaucoup de leurs manières, des rythmes et des phrasés – Comme assis autour d’une table et apprendre de nouvelles blagues ou des histoires, des recettes. J’aime mélanger tout ce que je sais. Il y a certaines choses qui divisent les gens et il y a certaines choses qui nous unissent – En musique, nous disons tous la même chose, mais dans des langues différentes, donc très peu comme les langues avec une structure grammaticale basée sur les réalités culturelles … J’aime jouer avec des polyrythmies, jouer « faux », travailler sur le sentiment plutôt qu’une musicalité «parfaite» (quelle qu’elle soit).
Pouvez-vous nous parler du titre de votre album ?
« On The Crosswalk » est mon 3ème album solo. Le titre vient de l’idée visuelle pour les photos … Je pense … L’album a effectivement eu deux autres titres avant : « Belo » qui était un titre de travail, parce que j’ai écrit la ligne de basse d’abord …. et puis « Skipping Along the Fence », nommé ainsi par les producteurs de l’album que j’ai fait en Afrique du Sud. Mais je l’ai réarrangé et fixé sur « On The Crosswalk » et je l’aime ce titre – On The Crosswalk se réfère à «la vie des piétons à Manhattan à New York – pedestrian life in Manhattan New York ». Vous traversez un grand nombre de rues tout le temps quand vous vivez à New York. Traverser la rue est quelque chose que nous prenons pour acquis, c’est la vie de la ville. Mais nous réalisons effectivement beaucoup d’interactions humaines sur le passage piéton – vous vous déplacez, interagissez avec les autres, et il y a des règles à suivre et d’autres à briser – tout comme dans la musique. Ce titre est un titre frais – Mon batteur a « volé » le titre pour son album solo sorti cette année ! Peut-être que je suis en train de lancer une tendance … Eh bien, Les Beatles ont tout déclenché avec Abbey Road.
Vous vivez aujourd’hui en Alaska. Est-ce que cela vous permet de créer ou et de jouer autrement ?
Je suis allée en Alaska pour une tournée en 2002. Il fallait absolument que j’y reste. C’est un peu étrange, je n’ai jamais été aussi sûre d’une décision dans ma vie entière. Cet endroit a des vibrations, et les gens qui y vivent partagent un amour actif pour cet endroit. Pour une artiste, ce n’était pas un bon déplacement, et il m’a fallut plus de 10 ans pour avoir une « Green Card » ! C’était dur. Mais – dans cet endroit vous pouvez faire ce que vous voulez – il y a beaucoup d’espaces pour être créatif et les gens aiment vraiment les nouvelles idées et tester de nouvelles choses … Partout, en Alaska, il y a de très bons musiciens qui avaient d’abord choisir New York, Los Angeles ou San Francisco. Je tente de les sortir du travail du bois avec leurs compositions et leur talent au moins une fois par an. On a tous choisi d’être ici, cet endroit nous a offert plus qu’une carrière dans un endroit peuplé …
Quel est le lien entre New-York, Oslo et l’Alaska ?
Je dis toujours : Je ne peux que vivre dans les ville avec un O : Oslo – London- Glasgow – Toronto – Anchorage – Homer – New York … Je pense être la seule à lier ces endroits – C’est suivant comment ma vie a tourné – j’ai laissé les choses se faire. Je dessine une ligne dans les airs quand je voyage … Personne ne sait quoi à s’attendre avec moi.
Travaillez-vous sur de nouveaux projets, Yngvil Vatn Guttu ?
Plusieurs. Il y aura plus de trompette bien sûr, mais je travaille aussi sur un album avec des chansons et un projet avec de la Willow Flute. La semaine dernière, j’ai fini un projet où une ville entière faisait de la musique – Ça s’appelle FIVE:THIRTY – an Urban Conflux. C’était pour la célébration de l’anniversaire de « City of Anchorage ». Nous avons eu la musique électronique déclenchée par les transports publics, et l’Anchorage Symphony s’est greffée dessus – Un millier de personnes ont également joué et chanté avec l’orchestre symphonique, puis un groupe Goth, un quatuor a cappella, un groupe celtique et Scrap Percussion. Tout ceci s’est passé pendant un concert surprise ! Nous avons envoyé des musiciens dans la ville qui devaient entrainer les gens à les suivre au concert. Ensuite, nous leur avons dit qu’ils allaient également participer. C’était assez éclectique. Nous y avons travaillé pendant 18 mois. Ce fut un grand succès. Nous faisons maintenant un film à ce sujet. Avec ce projet sont venues de nouvelles idées pour de la musique urbaine et des « data-sonification ». Je suppose que je dois trouver un équilibre entre ma tendance à faire de grandes collaborations locale, et le travail sur des projets en solo que je peux prendre avec moi à travers le monde … je serai à New York à l’automne, pour jouer plusieurs concerts, alors venez !
ON THE CROSSWALK
YNGVIL VATN GUTTU
Kachemak Records
Le site officiel d’Yngvil Vatn Guttu
( Traduction Thomas Dufraine )
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