Mondiale Boucherie : quand la Grande Guerre s’incarne dans « l’art du désossage et de la découpe »
Par Félix Brun –bscnews.fr/ Philippe Pétrain, boucher charcutier de renommée nationale est un esthète de la profession ; alors qu’il envisage à cinquante-huit ans de raccrocher son tablier d’artisan, un évènement vient bousculer son projet : l’invasion des produits de boucherie et de charcuterie allemands. A la demande de Joseph Jouffre, le grand patron de la boucherie française, il va reprendre en main les abattoirs de Verdun afin de sauver l’honneur de la viande française.
Les armes de cette guerre sont « les couteaux à saigner, à trancher, à découper, à dénerver, à désosser, couperets à côtes, feuilles à côtelettes, fendoirs à têtes de bœufs et de porcs, hachoirs, gouge à jambon, seringue à rôti, fusil de boucher, scie, merlin anglais, gratte-os en acier, aiguilles à brider…. ». Tous les moyens sont bons pour gagner cette guerre : « C’est ainsi que bouchers français et allemands vivent désormais en troglodytes avec leurs bêtes, dans une boue immonde composée de sang, d’excréments et d’entrailles qui les souillent jusqu’aux genoux. Cette gadoue visqueuse et puante leur pourrit la vie. On a beau disposer au sol des rondins de bois ou des caillebotis, écoper la fange toutes les heures avec des bassines de plusieurs litres, et placer des conduits d’évacuation ; dès que la pluie tombe, le niveau des eaux usées remonte aussi vite que le moral des hommes replonge. »
La première guerre mondiale est revisitée, reconsidérée dans ce roman sanguinolent, empreint de cynisme et d’humour très noir, dans lequel le plan d’attaque « l’Assaut 6 a définitivement tourné en eau de boudin », et malgré les renforts de « la force noire, la main-d’œuvre africaine essentiellement ivoirienne et sénégalaise, courageuse et bon marché. » Ainsi, « Le travail méthodique et acharné de Philippe Pétrain porte ses fruits : la boucherie française reprend des couleurs tandis que la charcuterie allemande s’étiole comme une saucisse molle. On parle déjà de lui comme du grand vainqueur de Verdun sans lequel nos artisans seraient obligés de fabriquer de la vulgaire pâtée pour chiens dans des usines allemandes. » Après la victoire obtenue par une lutte farouche et carnée, Pétrain « reçoit des mains du président Paincaré la plus haute récompense qu’un boucher puisse espérer : un bâton de maréchal. Ce gros boudin noir truffé a une haute valeur symbolique, ce sont les veines de la Patrie reconnaissante qui coulent à l’intérieur […] »
Avec des dialogues spartiates et des répliques de chambrée, Olivier Costes caricature et parodie la biographie de Pétain de 1914 à 1945, du « sauveur des rations au saigneur de la Nation ». L’impudence des généraux et des politiques, la lasciveté de Pétain, les coups de griffes à notre mode de consommation des productions bouchères et charcutières, sont les ingrédients de ce livre surprenant, saignant et cru, véritable boucherie. Une leçon d’histoire pleine d’humour à découvrir!
Mondiale Boucherie
Auteur : Olivier Costes
Edition : Oskar
A lire aussi:
Adolf : roman satirique et hystérique d’Olivier Costes
Je vous écris dans le noir : une fiction remarquable sur la vie de Pauline Dubuisson
Alessia Valli : la « comparse de l’ombre »
Jane Austen et Abigail Reynolds : pour les faaaaans d’Orgueil et Préjugés !
Itinéraire d’une psychanalyse sauvage : un premier roman aussi singulier que déroutant
Nicolas Barreau : les indicibles « instants de l’amour »
Lignes brisées : la « valse cruelle des amours adolescentes »
Dimitri Verhulst : un savoureux hymne aux joies de la démence
Saskia de Rothschild : un 1er roman qui révèle d’agréables dispositions au sarcasme