Il a suivi des cours à l’Art Center College of Design, à Pasadena en Californie, et c’est là qu’il a « vraiment appris correctement » à dessiner. Alex Gross affirme avoir eu la chance de recevoir l’enseignement d’excellents professeurs comme Burne Hogarth, Richard Bunkall, Paul Souza ou encore Robert Rodriguez. Grâce à eux, il s’est initié à la peinture et au design. Aujourd’hui il vit toujours en Californie, depuis plus de 25 ans maintenant. Son oeuvre, pop-surréaliste, feu d’artifice de couleurs, dénonce notamment la société de consommation, le désordre humain, la sur-consommation et l’envahissement de notre monde par la publicité. Il a accepté que nous apposions sur le visuel d’une de ses toiles un slogan en hommage à Charlie-Hebdo parce que « les artistes du monde entier sont tristes et inquiets eux-aussi à propos de ce drame ». Nous l’en remercions encore vivement et vous laissons découvrir un peintre américain de talent qui ouvre avec nous cette nouvelle année sous le signe de la nécessité d’un réveil salvateur de nos consciences. Un interview de circonstances!
Vos toiles sont engagées : elles dénoncent une société consumériste, nombriliste…Est-ce un simple constat amusé sur l’évolution du monde ou une réelle inquiétude de votre part?
Je ne sais pas qui pourrait interpréter ces images qui dénoncent la société de consommation comme de simples constatations amusantes… mais, au cas où mon travail ne serait pas clair, c’est une véritable préoccupation pour moi et pour des millions d’autres à travers le monde. La plupart des gens se sentent très impuissants : comment faire quelque chose de significatif pour changer tout ça? Le contrôle massif des médias et le niveau élevé d’intégration de la publicité dans tous les aspects de la vie quotidienne a engourdi le cerveau de beaucoup de gens car ils sont sous nos yeux des centaines et des milliers de fois par jour. Je trouve cela très perturbant.
Puisqu’on est en janvier, le mois des bonnes résolutions, lesquelles souhaiteriez-vous que les dirigeants du monde prennent pour changer le monde?
Ce serait une perte de temps de parler aux dirigeants du monde à propos de quelque chose de significatif. Chacun d’entre eux tient ses positions de pouvoir parce qu’il a été acheté par les corporations dominantes dans sa nation. Dans mon pays, les politiciens reçoivent tous d’énormes quantités d’argent provenant de l’industrie pétrolière et autres sociétés horribles qui sont seulement intéressés par le fait d’augmenter leur richesse. Aucun de ces politiciens ne se soucie de ce que vous ou moi pensons, et toutes leurs décisions sont basées sur qui les rémunère. Tant que tout ce système ne sera pas modifié de sorte que les entreprises ne puissent pas influer sur le gouvernement, rien ne changera. Dans la plupart des pays du First World, le système est similaire, malheureusement. Puis, dans certains endroits, comme en Russie, il n’y a même pas l’illusion d’un système démocratique. Poutine contrôle tout simplement à son avantage et tout le monde le sait.
Beaucoup de moutons dans vos toiles… pour les raisons qu’on imagine?
Oui, je crois que le symbole des moutons est universel….
Le téléphone est également un accessoire récurrent…quelle est votre rapport personnel et artistique avec cet objet usuel?
J’ai une relation de haine-amour avec les smartphones, comme beaucoup d’entre nous. Quelqu’un qui a le regard plongé sur un téléphone est, pour moi, la meilleure image visuelle symbolique pour représenter cette époque. Il y a seulement 15 ans, j’étais au Japon et je regardais les gens dans la rue plongés dans leurs téléphones cellulaires. Ce n’était pas encore une chose courante ici aux Etats- Unis, mais au Japon, ils ont toujours généralement ce genre de choses technologiques avant nous, donc ils étaient déjà concentrés sur leurs téléphones à envoyer des messages. Ils marchaient dans la ville de Tokyo en ébullition, ou se déplaçaient sur un vélo, en regardant vers le bas sur leur téléphone au lieu de regarder devant eux. Je pensais que c’était la chose la plus stupide que j’avais jamais vu. Bien sûr, rapidement, quelques années plus tard, tout le monde ici est en train de faire la même chose. Je trouve ça incroyablement exaspérant de voir un idiot traverser une intersection bondée de voitures et de gens en regardant son téléphone. ici, à Los Angeles, beaucoup trop de conducteurs pianotent sur leurs téléphones. Des trucs comme ça me rendent très en colère. D’un autre côté, le téléphone portable a profondément changé de nombreux aspects de la vie en positif. Ma mère m’est un rappel constant de l’ancienne façon de faire les choses. Un jour qu’elle était venue me rendre visite ici à Los Angeles (elle vit à New York), elle voulait savoir si j’avais une carte de la ville qu’elle pourrait m’emprunter pour se repérer. J’ai réalisé à quel point cette idée était devenue archaïque. Non, je n’utilise pas une carte! J’ai un téléphone cellulaire. Et donc ma mère a fait pareil. Il suffit d’utiliser ton téléphone, je lui ai dit. Il y a tellement de choses pour lesquelles le téléphone est utile que certains objets , comme des cartes, deviennent presque obsolètes. J’apprécie donc tous les avantages que la technologie a apportés à nos vies mais j’ai un problème quand les gens deviennent trop obsédés par ces appareils. Combien de fois ai-je vu quelqu’un qui attend à une intersection, et juste le temps de ces 20 secondes, pendant qu’il attend que le feu passe au vert, il a besoin de prendre son téléphone. Pourquoi ? Il semble que personne ne puisse être simplement là. Personne ne peut se tenir debout ou s’asseoir encore pendant 20 secondes sans regarder quelque chose sur son téléphone. Pour moi, cette obsession de soi et ce remplissage constant d’espace vide est de mauvaise augure pour la façon dont les gens vont être dans un proche avenir.
On croise également souvent Vladimir Poutine et Barack Obama – que vous aveuglez systématiquement… Dîtes-nous en plus…
Je n’ai peint Obama que dans deux tableaux. Poutine l’a été dans trois. J’ai aussi peint d’autres leaders mondiaux, la peinture « Disrespect » montre quatre chefs de file mondiaux. J’essaie simplement de peindre sur des thèmes d’actualité, qui représentent le monde tel qu’il est maintenant, et montrer les choses comme je les vois. Poutine et Obama sont évidemment deux des leaders mondiaux les plus importants. J’ai beaucoup de convictions fortes sur la politique, en particulier en Amérique….mais je ne suis pas particulièrement intéressé par le fait de faire des peintures politiques. Alors je essaie d’être très sélectif quand j’utilise l’imagerie de personnages politiques comme celle du président.
Beaucoup de couleurs dans vos images, beaucoup de détails… l’image en devient presque «agressive »… est-ce volontaire? Votre façon de marquer l’imaginaire des gens?
Je ne sens pas de lien entre le fait qu’il y ait beaucoup de couleurs et de détails et le mot «agressif». Mon approche est très simple: j’essaie et suis prêt à utiliser les couleurs qui me semblent juste pour chaque tableau. J’aime ajouter une grande variété d’éléments dans les tableaux larges mais je fais aussi de plus petites pièces, simples, sans beaucoup de détails. Je pense que la combinaison d’éléments dans un grand travail est idéale pour créer des combinaisons intéressantes et stimulantes. Cela me donne plus de libertés pour atteindre mes objectifs artistiques. Le truc, c’est de ne pas laisser quoi que ce soit hors de contrôle. Les couleurs peuvent être lumineuses, mais pas si brillantes qu’elles en deviennent criardes. La toile peut être riche en détails mais pas au point que l’oeil ne sache pas ce qu’il faut regarder. Contrôler le chaos est la clé.
Avec quels outils, matières et supports travaillez-vous?
J’utilise « Photoshop » pour la plupart de ma préparation et mon travail de composition. Une fois que ceci est fini, je dessine l’image sur la toile et la peins avec de la peinture à l’huile. Je peins sur un panneau ou sur du papier mais j’utilise toujours de la peinture à l’huile.
On peut qualifier vos oeuvres de pop-surréalistes… avez-vous des mentors dans ce domaine?
J’ai exposé en galeries avant que le terme de «pop-surréalisme» ne naisse . Je ne pense même pas que c’est un véritable mouvement. C’est tout simplement un terme qui englobe des artistes « figuratifs» qui ,généralement, travaillent en dehors de la scène de l’art traditionnel…mais de nombreux artistes «pop-surréalistes» ont peu en commun les uns avec les autres.
Deux de vos toiles « Narcissism » et « Distractions » semblent se répondre…pourriez- vous nous en dire davantage sur la genèse de ces oeuvres?
« Distractions»(la couverture du magazine) a été fait en premier. Cette toile montre une variété d’hommes et de femmes, dont la plupart sont en train de consommer, de fumer ou à la recherche de quelque chose. Le concept est assez simple – c’est une représentation transversale de l’humanité et des choses qui la distraient. J’y ai inclus un portrait de moi avec un certain nombre d’autres personnes. Pour « Narcissism »? Un magazine américain voulait faire un article sur mon nouveau travail et une exposition à venir, et m’a demandé de fournir un autoportrait comme ils le font habituellement. J’ai fait une image photographique / numérique qui a une composition très semblable à celle de «Distractions», sauf que tous les personnages sont moi-même. Il m’était venu à l’esprit que quelque chose de semblable pourrait constituer une peinture intéressante aussi. Je n’ai pas l’habitude de me peindre trop souvent, donc c’était une bonne occasion de le faire vraiment une fois… et dans ce cas, en multipliant mon visage, de marquer le coup.
Enfin, quelles actualités pour Alex Gross?
En octobre 2014, j’ai fait une exposition à la galerie Jonathan Levine à New York. Mon quatrième livre d’art a également été publié à l’époque, intitulé « Future Tense ». Ce dernier reprend la plupart de mes peintures à l’huile de 2010 jusqu’à la moitié de l’année 2014. 96 pages qui donnent beaucoup de détails sur mes plus grandes oeuvres. Vous pouvez le trouver en ligne.
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