Gregory Manchess, tout autant attiré par les beaux-arts que la science-fiction, révèle de surcroît dans son travail son goût pour l’Histoire. L’objectif fondamental de ce peintre autodidacte est de transmettre une émotion à travers une technique personnelle qu’il nomme « alla prima » et il essaie sans cesse de repousser les limites imposées par son pinceau pour se renouveler. Rencontre avec un artiste américain exigeant.
« Chacune de ses peintures débute par la recherche du point d’appui le plus fort, duquel découlera l’ensemble de l’image » : pourriez-vous nous expliquer plus en détail les mérites de cette technique que vous nommez » Alla prima », c’est bien ça?
Alla Prima signifie que tout est peint en même temps (NdT : sans laisser sécher chaque couche, cela permet aux couleurs de se mélanger. Il peut s’agir de travailler l’ensemble de l’image en une seule fois, ou alors par zone sur l’illustration, l’intérêt étant de travailler sur des couches encore fraiches). Pour ce qui est de la composition, tout découle des croquis initiaux. Une fois qu’un croquis fonctionne bien, il devient un véritable guide, et, comme en architecture, il suffit ensuite de suivre le plan. Une fois que le crayonné est terminé, je le fixe avec une couche d’enduit acrylique. Si je fais une erreur, cette couche d’enduit me permet d’enlever facilement la peinture à l’huile et de rendre à nouveau visible le crayonné.Pour vos couleurs, vous effectuez des séries de photos pour capturer les effets de lumière… vous êtes donc également un expert en photographie?!
Je ne dirais pas ça comme ça, mais j’ai dû apprendre à prendre des photos assez bonnes pour pouvoir être utilisées comme références. Mais un artiste ne peut pas se contenter de faire confiance à ses talents de photographe car une peinture n’est pas la représentation d’une photo, mais plutôt une représentation d’une réalité. Je sers beaucoup de modèle pour mes peintures, et en plus, je suis facile à diriger ! Pour des projets plus spécifiques, je fais appel à un ou plusieurs modèles.Vous enseignez dans des séminaires sur la peinture, donnez des cours sur Internet et des conférences dans des universités américaines et vous organisez des ateliers de peinture au Musée Norman Rockwell de Stockbridge : est-il quelques principes que vous avez tendance à répéter et qui vous semblent indispensables en tant que pédagogue?
Je dis toujours “aucune question n’est tabou”, car je souhaite que les étudiants soient curieux à propos de tout et qu’ils n’aient jamais peur de demander des précisions. C’est important pour eux de commencer à avoir confiance en eux, c’est une bonne partie de mon travail. Je leur apprend à tout utiliser pour pouvoir exprimer l’image qu’ils ont en tête, comme par exemple la photo, le calque, etc. Au final, tout vient de leurs compétences en dessin, et cela prend énormément de temps. Ils prennent confiance au fur et à mesure, ce qui leur permet de bien peindre plutôt que de simplement se reposer sur leur talent.D’ailleurs enseignez-vous plutôt la technique ou l’histoire de l’art pictural? Quels grands noms sont des exemples incontournables pour Greg Manchess et pourquoi?
Technique et histoire des arts sont entremêlés et doivent donc être étudiés en même temps, c’est inévitable au vu de toute la richesse de l’histoire de la peinture. Ce que j’enseigne comme technique concerne plus la composition plutôt que l’utilisation des outils, mais les étudiants posent beaucoup de questions sur le trait, les mélanges, la couleur et la lumière, ce qui génère de très longs débats. La peinture exige beaucoup de travail, tout comme la musique ou l’écriture. La liste des peintres indispensables est, à mon avis, extrêmement longue, c’est pourquoi je vais me permettre de la résumer pour le moment à Dean Cornwell, Mead Schaeffer, Bernie Fuchs, Norman Rockwell, Edwin Dickinson, Mucha, NC Wyeth, Heinrich Kley, Richard Schmid… Je dirais en raison de leur talent graphique et de la manière dont ils utilisent la peinture.Peinture et illustration, quelles différences faites-vous personnellement?
Personnellement, je n’ai jamais ressenti de différence entre les deux, même si je la comprends. Dans le milieu artistique, la différence concerne majoritairement l’aspect financier. En effet, les illustrateurs négocient leurs tarifs dès le début avant de se lancer à corps perdu, alors que les peintres fonctionnent de manière inverse. Au final, les deux doivent quand même penser à l’aspect financier à un moment ou à un autre.Qu’exposerez-vous à la Galerie Maghen ? Il y aura aussi des œuvres créées exprès pour l’exposition : avez-vous choisi un thème particulier ?
Ces œuvres proviennent toutes de visions personnelles, pour lesquelles j’ai longuement réfléchi. Les idées pour certaines d’entre elles remontent à plusieurs décennies mais je n’avais pas eu l’opportunité de les réaliser pour une exposition… jusqu’à maintenant. J’aime profondément les histoires sur lesquelles quelques unes de ces peintures sont basées, comme par exemple 20.000 lieues sous les mers. Beaucoup d’autres proviennent de mes propres scénarios que j’ai commencé à imaginer, et j’apprécie bien entendu tout particulièrement la narration graphique. J’aimerais pouvoir publier et partager plusieurs de ces histoires à travers les peintures à venir…Cette exposition est également pour moi une opportunité d’explorer des idées et de découvrir si les thèmes sur lesquels j’aime travailler trouvent un écho au sein du public, afin de m’en inspirer pour de futurs travaux.Crédits photo : Irene GALLO
– Exposition Greg Manchess du 15 au 31 octobre 2014 à la Galerie Daniel Maghen ( 47 quai des Grands Augustins,75006 Paris)
www.danielmaghen.com
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