Véronique Willemin au coeur des secrets sulfureux de La Mondaine

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Partagez l'article !« L’énigme du Sphinx, Les reines de la nuit du roi René, Le premier supermarché du sexe, Arnaques au désir »… autant de chapitres aux titres alléchants que l’on trouve dans « La Mondaine, histoire et archives de la Police des Mœurs » paru chez Hoëbeke : un gros bouquin passionnant de plus […]

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« L’énigme du Sphinx, Les reines de la nuit du roi René, Le premier supermarché du sexe, Arnaques au désir »… autant de chapitres aux titres alléchants que l’on trouve dans « La Mondaine, histoire et archives de la Police des Mœurs » paru chez Hoëbeke : un gros bouquin passionnant de plus de 300 pages qui retrace — témoignages, fac-similés et photos inédites à l’appui — l’histoire de cette brigade singulière, qui épie depuis plus d’un siècle le monde sulfureux de la nuit. Telle une journaliste d’investigation, Véronique Willemin a passé 15 mois en totale immersion. Compte-rendu :

Pourquoi la Mondaine ?

Après la parution de mon premier livre — « L’envers des sens » (éditions Alternatives, 2001), il restait beaucoup d’images érotiques non utilisées. D’où l’envie d’un second — « Eros secret » (éditions Humus, 2006). Pendant la phase de préparation, je suis allée pour la première fois à la BRP (Brigade de Répression et du Proxénétisme) et au musée de la Police, où j’ai fait connaissance d’un inspecteur qui faisait la visite. Un an plus tard, travaillant sur un autre ouvrage — « L’œil de la police » (éditions Alternatives, 2007) — consacré au quotidien éponyme publié en 1900, je me suis interrogée sur l’œil dessiné en couverture. De retour au musée de la Police en quête d’explications, j’ai découvert, avec l’aide du même inspecteur, qu’il s’agissait, en fait, de celui porté en pin’s au siècle dernier par les inspecteurs de la Mondaine, au revers de leur veston. De fil en aiguille, je me suis donc retrouvée à proposer aux éditions Hoëbeke de retracer l’histoire de la Mondaine de 1901 à 1975, sans me douter que ce service des mœurs existe, en réalité, depuis le Moyen Âge !

A vous lire, on a l’impression qu’en France, la prostitution oscille sans cesse entre périodes d’acceptation et de répression…
Le meilleur exemple en est St Louis, malade, qui promet de guider son peuple vers des valeurs morales et de le rapprocher de Dieu — interdiction de jeu, blasphème ou prostitution —, s’il revient vivant des Croisades. A son retour, il expulse les prostituées du royaume, fait détruire leurs meubles, brûler leurs vêtements. Mais la prostitution étant un mal nécessaire, l’église, même, pousse le roi à changer son ordonnance pour mettre fin aux viols qui se multiplient. Trois ans plus tard, St Louis donne une autre ordonnance avec des lieux précis pour installer des bordels — littéralement « lieux sur le bord », devenu péjoratif au fil du temps.

D’où vient l’appellation de « Mondaine » ?
A la Belle Epoque — et jusqu’en 1946 —, c’est l’âge d’or des maisons closes. En 1804, le préfet Dubois accepte les maisons de tolérance et dès lors, le tout Paris fortuné s’y rend, comme dans un lieu de divertissement. Cette police d’observation et de renseignement surveille donc les gens du monde. Les policiers fréquentent les lieux et échangent des services avec la mère maquerelle, moyennant sa protection. Ils sont surtout intéressés par des informations concernant des gens de pouvoir, proches du pouvoir ou qui peuvent avoir une influence dans la société. Autre raison : à cette période, les prostituées sont appelées des demi-mondaines.

On lit votre livre avec d’autant plus de plaisir, qu’il se compose de témoignages…
Effectivement, même la partie historique est étayée d’entretiens avec des spécialistes. Pour la partie contemporaine, je suis allée recueillir les témoignages des anciens patrons de la Mondaine — Entre autres, Mr Ottavioli, qui a organisé l’évacuation de la Sorbonne en 1968, Patrick Riou, Michel Boucher… —, et d’anciens inspecteurs quand j’ai pu les retrouver. Comme ce sont des sujets sensibles, il n’était pas question que je puisse mal comprendre ou trahir leurs pensées, donc chacun des interviews a été relu, validé et co-signé par son auteur.

On trouve aussi des portraits fascinants de personnages du monde de la nuit. Comment êtes-vous entrée en contact avec eux ?

Les rencontrer n’a pas été facile ! Il a fallu gagner leur confiance. Et s’ils ont accepté de se confier, c’est à condition de pouvoir lire tout ce que j’écrivais et d’avoir un droit de regard sur les photos. D’ailleurs, toutes celles qui se trouvent en fin d’ouvrage m’ont été données par les propriétaires des lieux. J’ai parfois passé 4-5 jours avec eux, ça a été un vrai travail d’investigation et de terrain. Je suis allée voir aussi bien des gens de la nuit que ceux qui tiennent les ficelles du monde de la nuit. Il y a notamment un portrait de Miss Sue, un ancien drag queen et de Gur666, un escort spécialisé dans le milieu SM ou Jerry, un gérant de cabaret à Pigalle.

La longue période de légalité des maisons closes (1796-1946) prend fin au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, avec une loi proposée par une femme, Marthe Richard, sorte de Mata Hari…
Désolée de vous décevoir, mais sa légende est très surfaite. Marthe Richard a beaucoup exagéré ce qu’elle était. C’est une prostituée, certes, poursuivie pour trafic de stupéfiant, arrêtée pour avoir participé à des avortements, mais son élection au conseil municipal de Paris a été relativement instrumentalisée. D’ailleurs, quand on l’interroge, vingt ans après, pour savoir si elle est toujours pour la fermeture des maisons closes, elle revient sur ses propos.

On apprend aussi dans votre livre qu’au même titre que la prostitution, l’homosexualité a été longtemps dans le collimateur de la police des mœurs…
Jusqu’en 1981, l’homosexualité est considérée comme un outrage à la pudeur. Dans les années 70, n’ayant aucun lieu pour se retrouver, les homosexuels se rencontrent dans des vespasiennes, des saunas, des arrières de bar. Aujourd’hui, ça paraît aberrant, surtout quand on sait que Paris est la deuxième ville homosexuelle au monde ! Vous voyez, si ce bouquin m’a passionné, c’est qu’il est un reflet de la société : quand les maisons closes ferment en 1946, les filles vont dans les hôtels et, petit à petit, les hôtels de la rue St Denis sont revendus, car les flics ferment les lieux pour combattre le proxénétisme hôtelier. Que font alors les propriétaires des hôtels ? Ils revendent les chambres en studios et la brigade se renomme « police des studios » ! En parallèle, la prostitution évolue aussi avec les avancées technologiques : le minitel rose, puis le téléphone, et aujourd’hui, Internet.

Du coup, les policiers ont toujours un temps de retard…

Vous savez, la technologie va très vite et les lois tombent aussi les unes après les autres. N’oubliez pas que les policiers sont payés pour appliquer la loi, pas pour sanctionner. Ça, c’est le rôle de la Justice. C’est vrai qu’il y a une certaine amertume dans le monde policier, du fait qu’ils mettent parfois des mois à monter une opération pour faire tomber un réseau, et une fois devant le juge, le proxénète s’en tire avec 1000 euros d’amende et deux mois de sursis. A ce propos, je vous renvoie à l’entretien du vice-procureur Véronique Degermann, qui dirige la section C2 chargée de la lutte contre le crime organisé. Il est vrai que la justice n’est pas très virulente. Autant les lois sont excessives — aujourd’hui, un proxénète encourt une peine de 7 ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende voire beaucoup plus en cas de violence ou de trafic de mineures —, autant les peines ne dépassent jamais 2-3 ans avec sursis et quelques milliers d’euros d’amende. Un proxénète a donc tout intérêt à continuer !

On a l’impression d’ailleurs, en vous lisant, que longtemps, la prostitution a profité à l’Etat…

Certes, fut un temps où le plus gros proxénète était l’Etat ! Quand les maisons closes ferment en 1946, c’est catastrophique pour tout le monde et pour l’état en particulier, car tous ces « commerces » paient des taxes. En plus, quand les filles se font arrêtées, c’est aussi de l’argent qui va à l’état. A l’époque, les filles sont encartées et on surveille qu’elles n’aient pas la syphilis : chaque visite médicale est payante ! A la fermeture des maisons closes, c’est aussi tout le nid d’infos des policiers qui s’évapore.

En 1955, « Histoire d’O », le roman de Pauline Réage, jugé trop sulfureux, tombe dans les filets de la police…
Le livre a été saisi pour ce qu’on appelait « outrage aux bonnes mœurs ». Jusqu’en 1992, la police surveille tout ce qui n’est pas politiquement correct. Mais dans le code Pénal, l’article concerné ne mentionne pas le mot « mœurs », et c’est au policier que revient, en son intime conviction, de décider. Or, le Littré lui-même est assez flou sur la question : « ce sont des habitudes considérées par rapport au bien et au mal dans la conduite de la vie », ce qui n’aide pas vraiment à définir la notion ! Du coup, selon les périodes et selon que l’éditeur est dans le collimateur de la Police, certains livres tombent pour outrage aux bonnes mœurs.

Les femmes ne font leur entrée à la Mondaine que dans les années 50. On peut lire à ce propos le témoignage de la secrétaire particulière du directeur de la Police Judiciaire entre 1958 et 1970, qui raconte : « En 58, les femmes de service n’avaient pas le droit de traverser les couloirs pour adresser la parole aux hommes »…
A l’époque, il n’y avait pas de femme, peut-être le personnel administratif et encore. En 1989, Martine Monteil a été nommée à la tête de la brigade, mais depuis aucune. Et aujourd’hui, contrairement à la Crim’ ou aux Stup’, il n’y a que trois femmes sur 52 personnes ! Pour avoir côtoyé ces inspecteurs pendant des mois, je peux vous dire qu’il n’est pas facile d’être une femme dans cette brigade. Il a fallu beaucoup de temps pour instaurer une relation de confiance. D’une part, ils ne supportent pas qu’on mette le nez dans leurs affaires, l’impulsion doit venir d’eux et ça prend du temps. Et d’autre part, le regard, la curiosité d’une femme est difficile à gérer pour eux. Il faut savoir aussi qu’ils sont confrontés à des affaires extrêmement dures. Croyez-moi, la descente aux enfers existe bien. Ils ont, par exemple, des cas de filles originaires de l’Est, à qui l’on impose d’être enceinte parce qu’il y a des amateurs de lait maternel ! Même si je suis un peu blindée par mon métier d’architecte dans les pays en voie de développement, le jour où j’ai appris ça, je n’en menais pas large ! C’est probablement aussi pour ces raisons qu’il n’y a pas de femme. Néanmoins, Guy Parent en a fait entrer deux pendant qu’il était à la BRP, entre 2005 et 2009 — le témoignage de l’une d’elles se trouve dans le livre.

Selon vous, le proxénétisme a-t-il de beaux jours devant lui ?
Sur ce point, je suis très pessimiste, car l’argent est la clef de voûte du système. Et Internet et la situation de crise actuelle ne font qu’aggraver la situation. D’ailleurs, de plus en plus d’étudiantes se prostituent, même de façon occasionnelle. C’est une façon de se faire de l’argent très vite. Dans un réseau bien rodé, une fille peut se faire 1500 euros la nuit ! Je suis d’autant plus pessimiste qu’aujourd’hui, les grands proxénètes sont en majorité des femmes, d’anciennes prostituées, qui ont commencé à 16 ans, et qui, passé la trentaine, sont à la tête d’énormes entreprises de proxénétisme, de 300-400 femmes ! Derrière leurs ordinateurs, elles vendent du désir, comme n’importe quel produit. Ce ne sont plus des gens du Milieu comme à une certaine époque, complètement extérieurs à la prostitution, qu’on pouvait faire tomber.

Propos recueillis par Maïa Brami

La Mondaine – Histoire et archives de la Police des Moeurs

Véronique Willemin

Editions Hoëbeke

ISBN : 9782842303594

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