Pourquoi ce choix du dictionnaire ?
Quelle plus belle thématique ? Après avoir prédit leur disparition, les frontières et la géopolitique font un retour marqué dans les relations internationales.
Parler des frontières permet de partir à la découverte d’enclaves, de micro-états, de curiosités en tout genre sur tous les continents. Nous parlons des ambassades, de l’Antarctique, de Kaliningrad, de curiosités géographiques et de traités fondateurs.
Beaucoup d’histoires sont fascinantes : l’île des faisans change de pays tous les 6 mois, sur l’île de Market, les Finlandais ont découvert dans les années 1980 que leur phare était en Suède, une chambre d’hôtel permet de dormir la tête dans un pays et les pieds dans un autre, un désert n’est revendiqué par aucun pays …
Surtout aborder la question des frontières permet d’être en prise avec la géopolitique mondiale et ses évolutions récentes (Crimée, Haut-Karabagh, Palestine, Taïwan, …)
Enfin, il est également question dans notre livre de poésie, des grands voyageurs, de l’Histoire, de la diplomatie ainsi que de celles que l’on nomme les « nouvelles frontières » qui se dessinent, dans l’espace, en mer ou sur internet.
Et pourquoi ce choix de l’organiser en 173 entrées ?
Toute la collection des dictionnaires insolites est construite de la sorte – cela permet de varier les perspectives, les thèmes, les pays tout en donnant du rythme. Le format et l’exercice ne sont pas simples pour les auteurs : il faut être capables de synthétiser de grandes problématiques et de les écrire de manière claires et plaisantes à lire. C’est un exercice d’écriture très intéressant.
En quoi les frontières vont au-delà d’une simple ligne tracée sur une carte ?
Tracer une frontière, c’est déterminer un territoire, c’est-à-dire définir un « nous » et un eux. Elles prennent des formes multiples, à commencer par des lignes mentales, culturelles, philosophiques et métaphysiques. Les frontières ne sont pas que nationales : elles distinguent des religions, des langues, des cultures, des représentations du monde.
Outre des pays, elles peuvent aussi séparer religions, langues ou culture.
Comment les frontières influencent-elles l’imaginaire des individus ?
En délimitant un territoire, les frontières posent des limites. L’Homme est ainsi fait que transgresser cette ligne, regarder ce qu’il y a derrière, est inévitable. Pensons au héros du Rivage des Syrtes de Julien Gracq, Aldo qui ne peut s’empêcher d’aller de l’autre côté de la frontière quel qu’en soit le prix. L’ailleurs attirent les grands aventuriers, les écrivains voyageurs et font rêver tous les enfants. Les frontières alimentent notre imaginaire.
De quelle manière les frontières reflètent-elles des luttes passées ?
Les frontières sont le résultat d’une longue histoire avec des guerres évidemment, mais aussi des ventes (l’Alaska, la Louisiane, …), des mariages (la Bretagne) et des hasards.
Tout cela laisse des traces que l’on peut encore observer aujourd’hui. Par exemple sur l’île française de Saint-Barthélemy dans les Antilles, la principale ville porte le nom de Gustavia – un hommage au souverain suédois avant la vente à la France.
Toute amputation d’un territoire dans l’histoire peut facilement devenir une grande blessure et une cause nationale – l’Alsace-Lorraine après la guerre de 1870, la Bolivie qui a perdu son accès à l’océan à la fin du XIXe siècle, la Hongrie – qui peut donner l’impression de toujours bouder à la suite d’un rétrécissement de son territoire après la première guerre mondiale.
Comment la mondialisation a-t-elle affecté l’existence des frontières ? Les a-telle effacées en quelque sorte ?
Si certains ont effectivement prédit la fin de l’histoire (Fukuyama) et la disparition des frontières, force est de constater que nous assistons plutôt à leur retour.
Cela a été très manifeste lors de la crise du coronavirus avec des fermetures aux quatre coins de la planète. Mais ce retour des frontières était déjà en germe, notamment face aux conséquences d’une mondialisation effrénée. Les grandes puissances cherchent aujourd’hui à se servir des frontières pour protéger leurs concitoyens (avec des normes), leurs économies et leurs emplois (avec notamment des politiques douanière). L’Europe a tout intérêt à se saisir encore davantage de la question dans les grands rapports de force actuels.
Mais on ne peut pas ignorer l’aspect également tragique des frontières, notamment en Méditerranée où chaque jour des migrants perdent la vie pour tenter de poser le pied en Europe.
Comment le livre propose-t-il de repenser les frontières ?
A force d’anecdotes, d’histoires sur leurs tracés, on comprend que les frontières n’ont jamais rien de naturel : elles ne sont que des constructions humaines – parfois logiques, d’autres fois plus surprenantes. Elles interrogent notre identité et notre rapport au monde et sont donc fondamentales pour se définir, protéger ses citoyens et ses entreprises.
Lutter contre leurs effets pervers (exclusion, trafic, migrations subies) est indispensable, mais les effacer n’a tout simplement pas de sens.
Le livre souligne également combien les frontières ne vont jamais de soi, ce qui permet de les relativiser : les identités évoluent en permanence, rien n’est figé.
En mêlant des entrées géopolitiques classiques et des références plus littéraires ou culturelles, le livre interroge également plus en profondeur la frontière : comme la définit-on ? A quoi sert-elle ? Quelles sont ses conséquences ? La frontière n’est pas uniquement un concept géopolitique, mais un phénomène social, culturel et philosophique.
Céline L’Hostis, Benoît Goffin
Dictionnaire insolite des frontières – Editions Cosmopole – 15 euros
Lien pour se procurer l’ouvrage : https://www.editionscosmopole.com/notre-catalogue/dictionnaire-insolite-des-frontieres/