Bernard Kron, membre de l’Académie Nationale de Chirurgie et vice-président de l’Association des anciens Internes des Hôpitaux de Paris,s’évertue à tirer depuis de nombreuses années la sonnette d’alarme concernant l’effondrement de l’hôpital public et sur la détérioration des soins qui mènent dans bien des cas à des drames. Dans ce long entretien, le docteur Kron revient également sur la gestion de la crise sanitaire, sur la suspension des soignants et le harcèlement que subissent certains de ses confrères qui ont pris des positions discordantes par rapport à la doxa officielle.
Comment expliquer cette submersion dans les services pédiatriques à cause de l’épidémie de bronchiolites ?
La submersion des services pédiatriques n’est pas une surprise. Tous les ans les services sont submergés en hiver par les problèmes respiratoires aigus comme la grippe et la bronchiolite. Dans mon livre « Blouses blanches et colère noire » que j’avais commencé à écrire à cette époque, j’en expliquais les raisons. Elles sont doubles: d’abord la pénurie de personnel car le numerus clausus n’a pas été supprimé ainsi 25% des Français n’ont pas de pédiatres dans un rayon de moins de 100 km. Ensuite il y a eu la politique de la T2A l’hôpital à flux tendu de Mr Castex et à cela s’ajoute le personnel non vacciné toujours suspendu et la baisse des précautions sanitaires à la sortie de la pandémie comme le fait de ne pas s’approcher des bébés sans s’être lavé les mains, éviter les bisous et remettre les masques. D’une manière générale, ces problèmes dépassent la pédiatrie.
« Les personnels suspendus ne reviendront pas. La plupart ont trouvé une autre orientation ou sont partis dans des pays voisins plus attractifs »
Peut-on dire que l’hôpital public est-il en train de s’effondrer ?
Oui on peut le dire car rien n’a été fait pour l’empêcher. Le Ségur et la loi Ma santé 2022 ne règlent rien. Les personnels suspendus ne reviendront pas.
La plupart ont trouvé une autre orientation ou sont partis dans des pays voisins plus attractifs. Les écoles de soignants n’attirent plus, un tiers des écoles d’infirmières est vide. La durée moyenne d’une carrière à l’AP-HP pour une infirmière ne dépasse pas 5 ans. Le surnombre des strates administratives avec toutes les agences les ARS, les GHT (groupements hospitaliers) s’empilent. Avec la multiplication des postes administratifs (34% en France contre 22% en Allemagne) cela représente un budget équivalent à 100 000 postes de soignants. Le pire étant à l’Assistance Publique de Paris car avec un salaire de 2000€/mois ni les internes ni les infirmières ne peuvent se loger dans la capitale.
Quels sont, selon vous, les problèmes structurels de l’hôpital ? Et quelles seraient les mesures d’urgence à apporter pour tenter de le sauver ?
L’hôpital se meurt de son organisation. On a tué les grands Mandarins avec les réformes car ils déplaisent au pouvoir par leur résistance, des petites mandarines administratives les ont remplacés. Elles se sont multipliées en créant de plus en plus de structures.
Les hôpitaux doivent retrouver leur autonomie avec des accords complémentaires entre établissements. Un hôpital doit être centré sur le soin. Un PH avec l’enseignement, la recherche et l’administration ne consacre que 50% de son temps pour les soins. L’internat doit être refondé avec une formation à l’urgence lors du 2ème cycle. Ainsi les urgences hospitalières pourraient être mieux prises en charge
Il faut des lits et du personnel disponible pour éviter l’attente aux urgences qui peut atteindre de 12 à 24 heures. Le tri par le « 15 » mis en place par le nouveau ministre, François Braun, ne fera que déplacer le problème car trier par téléphone nécessite un personnel formé donc des médecins régulateur alors que l’on manque de soignants.
« On a tué les grands Mandarins avec les réformes car ils déplaisent au pouvoir par leur résistance, des petites mandarines administratives les ont remplacés. Elles se sont multipliées en créant de plus en plus de structures »
On lit de plus en plus que des gens décèderaient aux urgences faute d’un délai de prise en charge suffisant. Est-ce plausible ? Et si oui, pourquoi ?
Cette question de l’attente aux urgences me fait rebondir sur le sujet car c’est un cercle vicieux. Le manque de médecins disponibles en ville incitent les patients à aller aux urgences car ils savent qu’ils seront pris et soignés avec un examen biologique et un scanner.
Malheureusement des malades meurent sur des brancards car les urgences graves se mélangent avec la bobologie. Avec la pénurie de chirurgiens, les retards s’accumulent. Une simple appendicite devient une péritonite et une occlusion se perfore, faute d’être opérée à temps.
J’ai cité dans mon livre le rapport de l’Académie de chirurgie, « 45% des urgences chirurgicales sont prises en charge avec retard ».
Il faut réformer l’accueil aux urgences en partageant l’accueil avec les urgentistes et les internes à condition de les former.
« Des malades meurent sur des brancards car les urgences graves se mélangent avec la bobologie. Avec la pénurie de chirurgiens, les retards s’accumulent. Une simple appendicite devient une péritonite et une occlusion se perfore, faute d’être opérée à temps »
Comment comprenez-vous les déclarations de François Braun, ministre de la Santé, qui refuse de réintégrer les soignants suspendus ?
Il suit les décisions de la HAS (Haute autorité de santé) et de l’Académie de Médecine. Jamais les autorités ne veulent se contredire
C’est d’autant plus incompréhensible, et je l’avais écrit dans « Blouses Blanches et Colère noire » que les vaccinés sont transmetteurs et beaucoup attrapent la Covid.
Comment réagissez-vous aux sanctions qui pleuvent sur les soignants qui ont osé avancer un discours contraires à la parole gouvernementale pendant le Covid ?
Ces soignants ont été catalogués antivax, on s’acharne donc contre eux! Seule une prise en charge précoce des Covid permet de déceler l’anoxie car les troubles respiratoires sont discrets à la phase 1 virale. La pose d’un oxymètre et le traitement par oxygénothérapie anticoagulants et cortisone auraient évité dans la moitié des cas la réanimation avec une forte mortalité. Sur ce sujet, je donne raison aux Professeurs Perronne et Raoult sans savoir si les traitements précoces dont ils soutiennent l’usage sont réellement efficaces
Avec du recul, est-ce que l’interdiction qui a été faite aux médecins de prescrire au début du covid n’est-il pas le signe d’un recul magistral de notre rapport à la santé et aux soignants ?
La santé, sauf dans les technologies de pointe recule dans tous les domaines car le dogmatisme et l’administration ont pris tous les pouvoirs
Les tutelles ont décidé au début de la pandémie de dire aux médecins ce qu’ils avaient à faire tant pour les traitements précoces que pour les masques.
Coiffer les médecins par un conseil scientifique était une erreur. Le Professeur Delfraissy reconnaît que les vaccins « ne sont pas de bons vaccins » (sic).
Faire une étude randomisée (comparative) en période pandémique a été une erreur. Ces essais ont été improductifs et ont condamné le traitement précoce sans preuves. Mais plus largement, comment redonner le pouvoir aux soignants et former mieux et plus vite les médecins et les internes pour faire refleurir les déserts médicaux ? En un mot, c’est une vaste réforme des études de médecine. Supprimer les concours et ouvrir à un recrutement diversifié ont été des erreurs car ces jeunes médecins travaillent moins et visent le salariat. En soit ce n’est pas critiquable mais il faudrait alors doubler le nombre d’étudiants pour le 2éme cycle.
« Blouses blanches et colère noire » Editions Max Milo – Bernard Kron