Comment passe-t-on d’enseignante-chercheuse à candidate à l’élection présidentielle ?
Comme toute personne qui a des convictions politiques, souhaite faire le maximum pour les défendre, mais ne souhaite pas faire carrière en politique. La situation est la même pour tout candidat apartisan qui souhaite utiliser la présidentielle pour promouvoir des idées et doit composer avec une profession qui lui prend du temps.
Il y a toutefois un lien fort entre mon travail quotidien et cette candidature qui réside dans la volonté de faire connaître le RIC Constituant, son fonctionnement et ses effets au plus grand nombre.
Cela a commencé avec la création d’un petit mouvement politique sur ces questions (le Mouvement pour le Dauphiné démocratique), puis la rédaction d’un livre et la participation à une liste tirée au sort aux européennes défendant le RIC. Soutenir le projet d’Espoir RIC s’inscrit dans la continuité de ces engagements.
S’ajoute à cela le fait que mon travail quotidien consiste à prendre la parole devant différents types de publics (étudiants, médias, citoyens intéressés par ces enjeux, mais aussi personnes âgées, détenues…), travailler la qualité de son argumentaire, être questionnée, critiquée, rechercher des informations sur les caractéristiques des différents systèmes politiques, mais aussi chercher quels systèmes politiques donnent le plus de pouvoir aux citoyens… Autant de compétences qui peuvent être utiles lors d’une présidentielle. C’est d’ailleurs en partie pour cela sans doute que les membres fondateurs d’Espoir RIC m’ont choisie pour porter le projet.
Le revers de ce choix, c’est qu’il renforce la tendance de notre système politique à donner le pouvoir aux diplômés et à en retirer à ceux qui n’en ont pas. Pour éviter cet écueil, nous avons décidé de jouer le jeu électoral avec ses règles, mais avec comme objectif de donner du pouvoir aux personnes qui bénéficient de moins de ressources et de diplômes.
Quelle est la genèse d’Espoir RIC 2022 ? Et comment le caractérisez-vous? Mouvement ? Parti politique ?
Espoir RIC n’a aucun statut légal : ce n’est pas un parti (il n’a pas le statut d’association à but politique), ni une association, ni une société ou une entreprise. Le terme qui le définit le mieux, selon moi, est celui de collectif. Espoir RIC est né d’activistes de la première heure autour du référendum d’initiative citoyenne, militant dans des associations diverses (RIC-France, Clic-RIC, Article 3, MIC, Culture-RIC ou Démocratie d’abord). L’idée initiale a été discutée dans un groupe de 6 personnes, dont je faisais partie. Nous avons d’abord fixé des axes stratégiques et idéologiques du collectif afin de choisir un candidat.
De nombreuses questions se sont posées au départ : doit-on participer à des élections aussi fermées et difficiles que la présidentielle ? Doit-on s’engager sur un programme de gouvernement ? Quel type de RIC souhaitons-nous promouvoir et par quels moyens l’obtenir ? Une fois ces bases clarifiées, on m’a proposé de porter ce projet en décembre 2020.
« De nombreuses questions se sont posées au départ : doit-on participer à des élections aussi fermées et difficiles que la présidentielle ? Doit-on s’engager sur un programme de gouvernement ? Quel type de RIC souhaitons-nous promouvoir et par quels moyens l’obtenir ? Une fois ces bases clarifiées, on m’a proposé de porter ce projet en décembre 2020 »
J’ai été d’abord réticente, puis ai accepté par volonté de tout tenter pour promouvoir les convictions politiques auxquelles je crois. C’est parce que d’autres personnes ont pris ce risque par le passé que nous avons bénéficié de droits politiques plus importants.
Espoir RIC a été lancé officiellement en mars 2021 et ne cesse de grandir depuis. Nous sommes aujourd’hui plus d’une centaine et fonctionnons de façon très décentralisée — chaque groupe (parrainages, communication, site internet…) s’auto-organise et rapporte ses actions chaque semaine à une équipe de campagne d’une dizaine de personnes ouverte aux plus actifs.
Le référendum d’initiative citoyenne (RIC) semble être le fil rouge de votre projet politique. Comment pourriez-vous le définir brièvement ?
Il ne semble pas seulement l’être, il l’est véritablement. Notre projet se centre de façon plus précise sur le RIC Constituant (RICC). Le RICC repose sur une idée simple mais radicale : il consiste à permettre à chaque citoyen de proposer une modification constitutionnelle et de la soumettre en votation populaire dès qu’elle recueille le soutien de 700 000 autres personnes. On assortit à cette revendication le référendum obligatoire, c’est-à-dire l’obligation de convoquer un référendum pour chaque changement constitutionnel.
« Le RICC consiste à permettre à chaque citoyen de proposer une modification constitutionnelle et de la soumettre en votation populaire dès qu’elle recueille le soutien de 700 000 autres personnes. On assortit à cette revendication le référendum obligatoire, c’est-à-dire l’obligation de convoquer un référendum pour chaque changement constitutionnel »
Prises ensemble, ces deux mesures produisent un changement radical, car ainsi les citoyens ont la main sur les décisions les plus importantes de notre pays, deviennent les donneurs d’ordre des élus et ne subissent plus la politique au quotidien.
Ce projet est différent de tout ce qui est proposé par les partis politiques en lice en 2022. Beaucoup parlent du RIC mais ne veulent pas qu’il porte sur les décisions les plus importantes, d’autres proposent une assemblée constituante mais celle-ci ne donne pas de façon permanente le pouvoir aux citoyens de changer la Constitution quand ils le souhaitent.
Le RICC ne veut pas dire que les élus cesseront d’exister ou que les citoyens passeront leur temps à voter. Il signifie en revanche qu’à tout moment les citoyens peuvent reprendre la main sur leur élus, changer les règles du jeu politique, prendre des grandes décisions sans l’intermédiaire des élus et empêcher que les modifications constitutionnelles dont ils ne veulent pas soient prises.
Quel est votre regard sur le référendum qui est la cheville ouvrière de la souveraineté du peuple français ? N’est-il pas suffisant s’il est utilisé même s’il ne l’est plus de plusieurs années par la classe politique au pouvoir ?
Le référendum à lui seul n’est pas synonyme de souveraineté populaire. Celui qui a la souveraineté est celui qui a le pouvoir d’écrire la loi qui sera soumise à référendum. Dans notre pays, ce pouvoir appartient à une poignée de personnes. Il est choquant de penser qu’un député représentant 80 000 citoyens— s’il est élu dans une élection qui mobilise avec un haut taux de participation, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui — peut proposer une modification constitutionnelle, alors que 80 000 citoyens ne peuvent pas le faire seul.
Chacun de nous doit pouvoir avoir ce droit. Sans ce droit, nous pouvons certes voter, mais sur des questions posées (et souvent manipulées) par d’autres selon leur bon vouloir. C’est pour cela qu’on constate aujourd’hui qu’à mesure que les présidents successifs sont élus avec de moins en moins de soutien de la part des citoyens, le référendum est de moins en moins utilisé. Quand le référendum est convoqué par le président, il l’est pour des raisons de stratégie politique qui ne se posent pas quand les citoyens peuvent initier directement un référendum pour défendre leurs convictions politiques.
Le référendum est plus intéressant quand il est obligatoire, c’est-à-dire que les élus ne peuvent pas prendre certaines décisions — ratifier des traités, engager des dépenses importantes… — sans le soutien de la majorité des citoyens. Sans le pouvoir d’initier des référendums, ni le droit de décider dans des circonstances cruciales, les citoyens deviennent des marionnettes faire-valoir d’un président en quête de gloire.
Pensez-vous qu’un programme autour du RIC pourra agréger de nombreux citoyens déçus de la politique et qui ne participent plus à sa vie démocratique ?
C’est tout le but du projet, fédérer l’ensemble des Françaises et des Français autour du sujet qui nous rassemble tous, le constat de notre impuissance et de nos faibles droits politiques, au-delà de nos différences de point de vue sur des sujets spécifiques.
Il est parfaitement normal, je dirais même salutaire, que les citoyens refusent de participer à un jeu électoral dont nous sentons tous que les règles sont pipées. Participer à la vie électorale ou à la mascarade que sont les dispositifs dits participatifs demande énormément de temps et d’efforts aux citoyens pour des résultats qu’ils ne contrôlent pas et sur lesquels ils n’ont aucun mot à dire. Au final, les élus décident sans les citoyens quand tenir compte de leur avis ne les arrange pas.
L’objectif d’Espoir RIC est de faire la démonstration qu’un autre système politique est possible dans lequel les citoyens pourront avoir le contrôle des règles du jeu politique et des grandes décisions portant sur l’avenir de notre pays et de nos enfants. Nous souhaitons que la question de la démocratie et de nos droits politiques ne soit pas une question annexe de l’échéance électorale de 2022, mais la question centrale qui permettra, une fois réglée, de mener des politiques véritablement différentes. Sans RIC Constituant, on pourra changer les élus mais notre vie quotidienne ne changera pas fondamentalement.
« Il est parfaitement normal, je dirais même salutaire, que les citoyens refusent de participer à un jeu électoral dont nous sentons tous que les règles sont pipées »
Comment faire pour intéresser par ailleurs des millions de citoyens qui ne s’intéressent tout simplement pas du tout à la politique et donc à l’avenir du pays ?
Je ne suis pas sûre de partager le constat selon lequel des millions de citoyens ne s’intéressent pas du tout à l’avenir de notre pays. Ils ne s’intéressent pas à la politique politicienne et partisane, mais le mouvement des Gilets Jaunes, les mobilisations autour du passe sanitaire, montrent qu’un très grand nombre de citoyens sont mobilisés et informés sur la question de la démocratie et de la protection des droits et des libertés fondamentales. Aujourd’hui 80 % des Français sont favorables à ce que les citoyens puissent écrire et voter directement les lois.
Le problème est qu’à ce jour aucun projet à la présidentielle ne prend au sérieux et ne représente cette demande claire et forte. Par contre, tous les partis politiques ont bien compris que parler de RIC et de démocratie peut être payant électoralement, car ils le font à tort et à travers sans préciser concrètement ce qu’ils entendent par là.
« Aujourd’hui 80 % des Français sont favorables à ce que les citoyens puissent écrire et voter directement les lois. Le problème est qu’à ce jour aucun projet à la présidentielle ne prend au sérieux et ne représente cette demande claire et forte »
Quelle est votre position sur la souveraineté populaire des Français et plus largement sur l’appartenance à l’Union européenne en tant qu’instance supra-nationale (qui pousse plusieurs années notamment pour des réformes structurelles notamment celle des retraites) ?
La souveraineté nationale – c’est-à-dire l’idée que la France est souveraine sur la scène internationale – ne va pas nécessairement de pair avec la souveraineté populaire – c’est-à-dire que le peuple a le contrôle et le dernier mot sur les décisions les plus importantes de notre pays. Nous en faisons l’expérience depuis longtemps. Sur ces enjeux, je fais primer la souveraineté populaire.
Sur la question de l’appartenance à l’Union européenne, beaucoup de confusion et d’idées fausses circulent – alimentées par les partis politiques eux-mêmes qui ne veulent pas assumer la responsabilité de leurs choix sur l’Union européenne. La Constitution française prime sur toutes les autres normes de droit, y compris européennes. Le droit européen prime uniquement sur les lois ordinaires (non constitutionnelles). Dès lors, en reprenant le contrôle de notre Constitution, nous reprenons aussi le contrôle sur les contraintes issues de l’Union européenne.
Un RIC Constituant suffit pour que nous citoyens puissions décider directement de ce que nous voulons conserver du projet européen et de ce dont nous voulons sortir. Une décision de sortie sera exécutoire, et seule la question de son coût devra être négociée avec les autres membres de l’UE. Mais cela est le cas pour toutes les décisions de l’UE depuis l’origine.
Enfin, en ces temps de crise sanitaire, considérez-vous que la France est toujours une démocratie ?
Ce que nous vivons aujourd’hui n’est pas exceptionnel, c’est l’aboutissement d’une dynamique de concentration oligarchique du pouvoir et de restriction de la démocratie amorcée depuis longtemps. Cette dynamique est faite de petites décisions dont on n’a pas nécessairement mesuré la portée au moment où elles ont été prises. Pensons aux lois sur le financement des partis politiques de 1988 et 1990 qui ont permis aux partis de capter des financements publics sans nécessairement avoir de militants, à la réforme du quinquennat et à l’inversion du calendrier électoral qui font du président la figure centrale de notre système politique, aux lois anti-terroristes…
Toutes ces réformes ont retiré du pouvoir au plus grand nombre pour le donner à une petite élite. La crise sanitaire a précipité cette évolution, et la France est parmi les pays les plus autoritaires d’Europe dans sa réponse à la crise.
C’est pour cela précisément qu’il ne faut pas se tromper de combat en 2022. La présidentielle devrait être le moment où on fait le bilan critique de l’évolution de notre démocratie et du pouvoir des citoyens dans notre système politique.
Accepter de discuter d’autres choses (la sécurité, l’économie, l’immigration…), comme le souhaitent tous les partis en lice à ce jour, c’est accepter de se faire dépouiller de nos droits politiques sans rien dire.
Pour aller plus loin, le site de www.espoir-ric.fr