Avec la fermeture des restaurants suite à la crise sanitaire, quelle est la situation de votre côté au Mazerand ?
Je vis difficilement comme tous mes confrères restaurateurs la fermeture de nos restaurants. Cela fera au moins 6 mois de fermeture qui nous aurons été imposés. Nous n’avons aucune visibilité, on espérait pouvoir rouvrir le 20 janvier mais le gouvernement vient d’annoncer le report de cette date. Les aides de l’état sont plus importantes que pour le premier confinement mais elles ne sont quand même pas suffisantes. On perd de l’argent, la trésorerie est mise en péril. C’est surtout le manque de visibilité qui est difficile à gérer, nous nous accrochons à des rumeurs, certains disent telle date, d’autres une autre date mais rien d’officiel n’est annoncé pour le moment. Bref, notre ascenseur émotionnel est mis à rude épreuve et notre moral aussi.
« C’est surtout le manque de visibilité qui est difficile à gérer, nous nous accrochons à des rumeurs, certains disent telle date, d’autres une autre date mais rien d’officiel n’est annoncé pour le moment »
Avez-vous adopté une stratégie particulière pour continuer à proposer votre cuisine ?
Oui, j’ai fait dans un premier temps de la vente à emporter avec une mini-carte pendant le couvre-feu mis en place fin octobre pendant lequel on ne pouvait ouvrir que le midi.
Puis, pour les fêtes de fin d’année, j’ai proposé un menu à 6 plats du 24 décembre au 01 janvier. J’ai été agréablement surpris car il a très bien marché. Cela m’a permis de retrouver le contact avec mes clients. Nous avons créé le Mazerand avec mon frère Christian en 1989. Certains clients viennent au Mazerand pour les repas des fêtes depuis plus de trente ans. Ils ont apprécié qu’on leur propose un menu à emporter pour cette période.
Comment appréhendez-vous la réouverture du restaurant ?
Je souhaite pouvoir rouvrir le plus tôt possible mais il faut voir dans quelles conditions. Durant l’été, nous avions strictement respecté les protocoles sanitaires qui nous avaient été imposés. Cela nous avait donné beaucoup plus de travail, un investissement important et bien sûr nous devions accueillir beaucoup moins de personnes du fait d’espacement obligatoire entre les tables.
Mais nous étions contents de pouvoir réexercer notre métier à nouveau, de pouvoir rassurer notre équipe mais aussi et surtout les clients qui ont pu voir tout ce que nous avions mis en œuvre : registre des clients, carte, menus et carte des vins accessible par un QR code, gel hydroalcoolique individuel comme le sel le poivre …
« Je souhaite pouvoir rouvrir le plus tôt possible mais il faut voir dans quelles conditions »
Jacques Mazerand vous êtes un pur produit de la région Occitanie. Pourquoi vous êtes-vous installés à Lattes en périphérie de Montpellier et ne pas avoir choisi une grande ville pour ouvrir votre établissement ?
En effet je suis originaire d’Aspiran un petit village entre Pézenas et Clermont l’Hérault à 50 km de Lattes. Après l’école hôtelière de Saint Chèly d’Apcher (Lozère) j’ai travaillé dans la région mais aussi à Avignon, à Lausanne, j’ai été également en Angleterre puis j’ai eu envie de revenir m’installer dans notre belle région. Avec mon frère et surtout les conseils de mon père qui était entrepreneur en maçonnerie, nous avons trouvé une belle maison de maître aux portes de Montpellier à Lattes qui était à l’abandon et après plus de 6 mois de gros travaux nous avons ouvert en mars 1989. Puis nous avons continuellement amélioré notre outil de travail.
J’ai choisi de revenir m’installer dans cette région car en plus du climat qui est très agréable, il y a une véritable richesse et une grande diversité dans la cuisine dite « Méditerranéenne »
« Ce n’est pas un devoir mais une évidence, du plaisir quand on est passionné même si on est à longueur d’année en ébullition, en train de faire des essais, à la recherche de nouvelles idées, de nouveaux accords afin de surprendre nos clients »
Vous bénéficiez d’une belle notoriété et de la reconnaissance de plusieurs guides gastronomiques. Comment s’entretient cette reconnaissance au fil des années ?
Reconnaissance des guides, notoriété rien n’est acquis. Il faut chaque jour se remettre en question, pour nous restaurateurs c’est même 2 fois par jour, au service du midi et celui du soir. Moi qui suis passionné de sport et qui le pratique souvent, je compare volontiers la cuisine gastronomique au sport de haut niveau : on s’entraîne au quotidien pour jouer 2 matchs par jour. J’ai même un coach sportif qui vient 2 fois par semaine pour me maintenir en forme.
Toujours essayer d’aller de l’avant, se renouveler, savoir suivre les modes tout en gardant son identité, un fil conducteur afin qu’un client qui revient reconnaisse le style, la pâte, le tour de main… Il faut que l’on change régulièrement notre carte, nos menus pour suivre le rythme des saisons. Ce n’est pas un devoir mais une évidence, du plaisir quand on est passionné même si on est à longueur d’année en ébullition, en train de faire des essais, à la recherche de nouvelles idées, de nouveaux accords afin de surprendre nos clients. Dans ce métier, on a l’obligation de suivre le mouvement, d’évoluer sans cesse de surprendre agréablement le client. Certes c’est usant mais c’est une fatigue que je préfère à celle provoquée par la lassitude.
Aujourd’hui il est indispensable de se démarquer. Je pense que quel que soit le métier que l’on fasse, il faut être passionné pour que ce soit un plaisir avant tout. Au quotidien, j’essaie au Mazerand que mon équipe vienne travailler avec le sourire plutôt que la boule au ventre même si ce n’est pas tous les jours facile.
« Toujours essayer d’aller de l’avant, se renouveler, savoir suivre les modes tout en gardant son identité, un fil conducteur afin qu’un client qui revient reconnaisse le style, la pâte, le tour de main… »
Pourriez-vous nous dire en quelques mots votre rapport à la gastronomie régionale ? Est-ce l’un des fils rouges de votre cuisine, Jacques Mazerand ?
Comme je viens de le dire je suis natif de cette région et j’ai toujours mis en avant l’excellence de notre terroir. Nous avons la grande chance d’avoir tout à portée de main : les produits de la mer, de la montagne, des garrigues, des fruits, des légumes gorgés de soleil. Les produits, les recettes régionales sont en effet le fil rouge de la construction de mes cartes même si je ne m’interdis pas sur certains plats une ouverture sur le monde.
« Nous avons la grande chance d’avoir tout à portée de main : les produits de la mer, de la montagne, des garrigues, des fruits, des légumes gorgés de soleil »
Peut-on dire finalement que votre cuisine a quelque chose d’identitaire ?
Tout à fait. Il y a quelques dizaines d’années à Paris, Bordeaux ou Montpellier on pouvait manger les mêmes plats.
Aujourd’hui, les cuisines régionales sont mises en avant et c’est très bien. A la lecture de mes menus, à l’odeur et au goût, on peut facilement identifier ma cuisine.
Afin d’être en adéquation avec mes convictions, je suis le président des Chefs d’Oc et le délégué régional Occitanie des Maîtres cuisiniers de France. Les chefs d’Oc ont leur propre magazine « magazine Chefs d’Oc » qui nous permet de mettre en avant tous les producteurs, éleveurs, agriculteurs, vignerons de la région qui nous proposent à longueur d’année de magnifiques produits. Nous ne sommes pas des magiciens, pour faire de la bonne cuisine il faut avant tout de beaux produits, à nous à les magnifier.
« Aujourd’hui, les cuisines régionales sont mises en avant et c’est très bien. A la lecture de mes menus, à l’odeur et au goût, on peut facilement identifier ma cuisine »
Vous avez également un penchant pour la cuisine d’hier. Pouvez-vous me dire en quelques mots ?
Oui j’ai l’habitude de dire que je fais une cuisine d’aujourd’hui, tournée vers demain mais soucieuse d’hier.
Et avec la période compliquée que nous vivons, nous assistons à un retour vers ce type de cuisine qui apporte un certain réconfort. Les gens ont besoin de valeurs refuges et les grands classiques de la cuisine en font partie. Il suffit de les adapter à notre époque avec des sauces plus légères, moins de sucre pour les pâtisseries …Le goût d’hier avec les techniques d’aujourd’hui.
Quel est votre pêché mignon de gastronomie ?
Je suis convaincu que pour exercer ce métier il faut être gourmand.
J’aime tout mais j’avoue avoir un petit faible pour le chocolat, je suis capable d’en consommer des quantités déraisonnables. Heureusement, que je fais beaucoup de sport, cela me permet de me donner bonne conscience en me disant que j’élimine mes excès alimentaires.
LE MAZERAND
Mas de Causse CD172
34970 LATTES