Lettre ouverte à Éric Dupond-Moretti, Ministre de la Justice
Lettre ouverte de Me Fabrice Di Vizio, avocat spécialiste des professionnels de santé, à Éric Dupond-Moretti, Ministre de la Justice
« La citation directe permet d’avoir un procès, Et le prévenu ne répond pas devant trois juges, mais devant la France entière et toutes les victimes. » Tels étaient vos propos, Monsieur le Garde des Sceaux, il y a quelques mois à peine, lorsque vous évoquiez le procès de l’Amiante, que la justice avait volé aux victimes dont vous étiez l’avocat.
Vous choisissiez, pour faire entendre la voix des sans voix, de faire délivrer des citations contre les prévenus devant le Tribunal correctionnel vous substituant à une institution qui avait réduit les victimes d’un énorme scandale sanitaire au silence.
Aujourd’hui, ce sont d’autres victimes qui sont réduites au silence : 9 plaintes ont été retenues par la commission des requêtes près la Cour de Justice de la République et une information judiciaire va avoir lieu contre 3 ministres.
Les prévenus ont été identifiés, les violences sont connues, et la justice a décidé d’instruire l’affaire qui désormais sera connue comme celle du « scandale du covid ».
Mais les soignants, victimes, sauront rien, ne seront rien, et ne sont, à dire vrai déjà plus rien !
Les ministres, eux, bénéficient de tous les nobles droits qu’à force de plaidoiries, seuls contre tous, nous leur avons obtenus, comme à tous les prévenus de France : le droit à la présomption d’innocence. Et surtout le droit d’être défendu par un confrère qu’ils auront choisi avec soin.
Mais les victimes, elles, ne bénéficient d’aucun droit ! elles ne valent pourtant pas moins que Théo, ou que les victimes de l’amiante !
Elles ne demandent rien de plus que vos désormais anciens clients : pouvoir être reconnues comme telles, pouvoir savoir pourquoi on les a obligées à mener une guerre sans munitions ? Pourquoi elles ont dû se résoudre à voir leurs patients mourir, faute d’être protégées, faute de pouvoir tous les soigner à cause d’un manque cruel de moyens.
Elles veulent pouvoir avoir accès au dossier, pouvoir exercer les droits que la démocratie leur nie puissamment.
Les excuses sont nombreuses, et les tenanciers de la « république des juges » comme vous vous plaisiez à qualifier le système judiciaire dont vous êtes désormais le gardien, ne manqueront pas de raisons et d’arguments pour vous empêcher de porter haut et fort la voix des victimes, mais la vérité, et vous le savez, est qu’ils ont peur !
Ils ont peur de la contradiction, peur de devoir se justifier face à ceux qui ont tout perdu, peur d’affronter le regard de ceux à qui on a menti.
Les victimes interpellent la conscience d’une institution qui proclame l’égalité de tous face à la justice, mais oublie ses nobles principes quand elle doit juger des ministres !
On vous dira que c’est du populisme, traitant en danger public les soignants et leurs familles, et il est vrai que, d’une certaine façon, chercher la vérité est dangereux quand on veut la cacher derrière les dorures des palais de la République et sous les tapis des privilèges de quelques-uns !
Imaginez votre colère si l’on vous disait, en votre qualité de victime précisément, que vous étiez indigne de pouvoir comparaître face à ceux qui ont violé votre intimité, que vous ne saurez rien de ce que la justice fera, renouant avec un secret que l’on pensait abandonné depuis longtemps, et ce au nom d’une certaine idée de l’État !
Cette colère, Monsieur le Garde des Sceaux est celle des soignants de ce pays qui doivent subir une triple humiliation sans précédent : celle de savoir que Monsieur Castex, réformateur de l’hôpital pour en faire une entreprise comme une autre est nommé chef du gouvernement. Celle de devoir accepter que Monsieur Véran soit maintenu dans ses fonctions, comme si de rien n’était, comme s’il n’était pas mis en cause pour leur avoir menti au cœur de la pandémie. Et celle de se résoudre à ce qu’ils ne pourront jamais avoir accès à tout ce que celui-ci et son prédécesseur leur ont caché durant des mois.
Je ne parle même pas de la provocation que constitue la nomination de Roselyne Bachelot au gouvernement : il semble que cracher sur les victimes soit décidément payant !
Mes clients sont médecins et ont été gravement blessés par un système de santé qu’il fallait réformer d’urgence. Ils ne peuvent imaginer être, en plus, victimes d’un système judiciaire qui a maintenant à sa tête, un illustre défenseur du procès équitable.
La Cour de Justice doit être réformée sans attendre : nous devons avoir accès au dossier, nous devons disposer des droits que vous vous êtes battu pour faire reconnaître aux victimes.
La pandémie était historique, le procès doit l’être !
La Cour européenne des droits de l’homme, condamnant la France pour l’inadmissible atteinte à la liberté d’expression d’un avocat, rappelait :
« Un avocat doit pouvoir attirer l’attention du public concernant d’éventuels dysfonctionnements judiciaires. »
Un avocat devenu ministre, Monsieur le Garde des Sceaux, doit pouvoir mettre fin à ces dysfonctionnements et la violation du droit des victimes devant la Cour de Justice de la République est le plus grand d’entre tous !
Enfin, votre prédécesseur proposait de recevoir la famille Traoré, en sa qualité de victime.
Vous ne pourrez faire moins que recevoir les soignants, tristes victimes dont la vie ne vaut pas moins que celle d’Adama Traoré, ou encore Théo qui mérita, en son temps, la visite du Président de la République.
En 2018, vous déclariez : « J’ai davantage confiance dans la cuisine de mon pays que dans sa justice ! »
Pour ma part, je n’ai pas confiance non plus en la justice, encore moins celle d’exception, mais j’ai confiance en vous !