Loi de finances 2020 : ne bradons pas la solidarité dont la France a tellement besoin
Putsch publie la tribune d’Isabelle Moret, Directrice générale de l’association « SOS Villages d’Enfants » – qui intervient sur le risque lié à la suppression de la niche fiscale du mécénat d’entreprise, envisagée par le gouvernement. Cette mesure pourrait être contenue dans la loi de finances 2020, actuellement en discussion au parlement.
Depuis plusieurs mois, les associations et ONG alertent les pouvoirs publics avec vigueur sur les risques profonds que font courir à la générosité les coups portés à la fiscalité des dons aux associations et fondations. Dernier en date, le coup de rabot annoncé dans la loi de finances 2020 sur la « niche fiscale » du mécénat d’entreprise. La solidarité des Français n’a pas de prix (et sûrement pas celui de quelques économies fiscales).
Nous, associations et fondations, avons connu en 2018 la pire année de collecte depuis 12 ans avec une baisse de 4%. Cette perte, largement suscitée par les récentes réformes fiscales, est d’autant plus difficile à encaisser par nos organisations qu’elle se conjugue avec le désengagement de l’État de bien des causes. Comment accepter cette double peine ? Rappelons que la hausse de la CSG qui a affecté les revenus des retraités et la transformation de l’ISF en IFI ont entrainé à elles seules en 2018 la perte de dizaines de millions d’€ de collecte.
N’oublions pas que chaque coup porté à la fiscalité caritative est un coup porté à la solidarité dont notre pays a tellement besoin alors qu’il traverse une des plus longues crises de ressources et de confiance de son histoire. C’est pourtant dans de telles circonstances que la force de notre projet national devrait donner toute sa mesure afin de ne pas laisser derrière nous les plus fragiles d’entre nous.
« N’oublions pas que chaque coup porté à la fiscalité caritative est un coup porté à la solidarité dont notre pays a tellement besoin alors qu’il traverse une des plus longues crises de ressources et de confiance de son histoire »
Rappelons donc trois choses pour préserver cette solidarité :
L’avantage fiscal sur le mécénat d’entreprise n’est pas une « niche fiscale ». L’expression « niche fiscale » décrit un système, à proprement parler égoïste, permettant d’échapper à la fiscalité au bénéfice du seul contribuable. Associer générosité et pratiques d’évitement de la fiscalité, c’est envoyer un message particulièrement inopportun et injuste qui ne peut que décourager la générosité. Or, le mécénat d’entreprise permet avant tout d’accompagner les efforts d’entreprises pour soutenir des causes, surtout quand l’État le fait lui-même de moins en moins.
Rappelons que le mécénat d’entreprise fait partie intégrante des stratégies et des identités d’entreprises. En soutenant telle ou telle cause, les entreprises trouvent du sens pour leurs marques, pour leurs clients et pour leurs collaborateurs, bien souvent dans le prolongement des valeurs sur lesquelles elles se sont développées. Le mécénat d’entreprise compte parmi ces projets qui permettent de conjuguer toutes les forces humaines de l’entreprise et tous ses savoir-faire. La contestation voire la suppression de l’avantage fiscal attaché au mécénat d’entreprise déséquilibrerait cette équation au détriment de l’entreprise et de son modèle économique. Nous pouvons témoigner de la force avec laquelle les équipes de nos Partenaires s’engagent à nos côtés pour soutenir des enfants en souffrance dans chacun de nos villages SOS.
« Le mécénat d’entreprise, quelle qu’en soit la forme, est indispensable aux associations et ONG. D’après les seules données de l’administration fiscale, le mécénat d’entreprise représente 1.6 milliards d’€ en 2015 sur une collecte totale de 7,5 milliards d’€ (*) »
Le mécénat d’entreprise, quelle qu’en soit la forme, est indispensable aux associations et ONG. D’après les seules données de l’administration fiscale, le mécénat d’entreprise représente 1.6 milliards d’€ en 2015 sur une collecte totale de 7,5 milliards d’€ (*). Chaque année, SOS Villages d’Enfants perçoit des aides très importantes d’entreprises, en fonds, en produits ou en compétences. Au-delà de l’aide matérielle, le fait de se sentir soutenu par des adultes, et plus largement par la société au travers des entreprises, concourt à la reconstruction des enfants abimés que nous accueillons. Trop souvent trahis par des adultes avant d’être placés, le soutien bienveillant et attentif des représentants des entreprises partenaires qu’ils ont parfois l’occasion de rencontrer est important pour ces enfants. Surtout, les stages, formations voire emplois proposés par les entreprises partenaires aux adolescents et jeunes adultes qui grandissent et ont grandi en village SOS, peuvent être décisifs dans des parcours où toute aide s’arrête nette à 18 ans sous prétexte qu’on n’est plus un enfant aux yeux des pouvoirs publics.
Nous avons plus que jamais besoin du soutien d’entreprises partenaires. Nul doute que SOS Villages d’Enfants ne pourrait pas remplir ses missions sans l’aide du mécénat d’entreprise. Nul doute non plus que la suppression de l’avantage fiscal fragiliserait le mécénat d’entreprise.
Nous avons plus que jamais besoin de solidarité. Les associations et ONG, comme SOS Villages d’Enfants, qui ont tant besoin de fonds resteront extrêmement vigilantes sur toute menace, y compris de nature fiscale, fragilisant l’équilibre de leur collecte. Il en va du soutien que nous apportons aux plus fragiles de nos sociétés à travers une notion hélas également fragile : la solidarité.
Isabelle Moret
Directrice générale SOS Villages d’Enfants
Notes :
(*)source Panorama national des solidarités – Fondation de France – avril 2018
(crédit image à la une : Isabelle Moret – ©Philippe Besnard)