Valentin Musso : l’alchimie parfaite entre le talent, la finesse et le suspens

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Propos recueillis par Nicolas Vidal – BSCNEWS.FR / Valentin Musso est aussi talentueux que son frère est connu. C’est avec une certaine délectation que je me suis plongé dans le dernier livre de ce jeune auteur que nous avions déjà reçu pour la Ronde des Innocents dans les pages du BSC NEWS. Je savais l’homme habile et doué pour hypnotiser le lecteur. Et Valentin Musso ne déçoit pas pour ce nouveau roman à mi-chemin entre le thriller historique, le polar et le maelström familial.

Son roman «Les cendres froides» est l’alchimie parfaite entre le talent, la finesse et le suspens. Valentin Musso ne choisit pas la facilité avec cette histoire à tiroirs où le cadre historique de la Seconde Guerre Mondiale n’est finalement qu’un alibi bien maîtrisé pour nous immerger dans une histoire qu’il me paraît difficile d’abandonner avant la fin.

Ce roman sera un allié de poids pendant ces vacances pour passer un délicieux moment de lecture. Alors sur la plage, lisez du Musso, du Valentin Musso.

Qu’est ce qui vous a poussé à choisir comme cadre de votre roman l’existence d’un lebensborn pendant la seconde guerre mondiale ? Quand j’étais au lycée, j’ai été profondément marqué par Nuit et Brouillard d’Alain Resnais et les extraits de Shoah de Claude Lanzmann que nous avait diffusés notre prof d’histoire. Mais je n’aurais pas cru écrire un jour sur cette période. Pourtant, il y a environ deux ans, je suis tombé sur un article de l’Express qui parlait des lebensborn et j’ai découvert ces maternités nazies que je ne connaissais que de nom. Les journalistes enquêtaient sur les maternités qui avaient été ouvertes dans les pays occupés, notamment en France. Le sujet s’est vraiment imposé à moi et j’ai immédiatement su que je voulais traiter ce thème sur le mode du thriller en l’intégrant dans une enquête familiale.

On imagine que le travail de recherches a été conséquent. Qu’en est-il ? Quelles ont été vos principales sources d’informations ? Le travail de recherches a été effectivement plus important que pour mon premier livre. Je me suis d’abord plongé dans des ouvrages sur l’Occupation pour m’imprégner de l’époque et dresser la toile de fond de l’intrigue. Les livres ne manquaient évidemment pas ! En revanche, les lebensborn ont très peu passionné les historiens, alors qu’ils sont un élément essentiel pour comprendre l’entreprise eugéniste du IIIe Reich. Il existe un ouvrage de référence, Au nom de la race, un livre passionnant et remarquable écrit par le journaliste Marc Hillel dans les années 70. Ce livre a été un best-seller avant d’être un peu oublié puisqu’il n’est même plus édité. Je me suis ensuite appuyé sur la correspondance entre les lebensborn et la centrale de Munich qui est conservée au SIR de Bad Arolsen en Allemagne. J’ai lu aussi l’essentiel des témoignages d’hommes et de femmes qui étaient nés dans des lebensborn, des témoignages précieux et très touchants. Pour le reste, ce fut un travail de fourmi. J’ai grappillé ça et là des informations dans des travaux universitaires pour comprendre le fonctionnement du seul lebensborn ouvert en France à Lamorlaye, dans l’Oise. La difficulté résidait ensuite dans le fait de se détacher de toute cette documentation pour écrire un vrai policier et ne pas écraser le lecteur sous des détails inutiles.

Vous avez opté pour une construction à étage avec plusieurs histoires qui se rejoignent progressivement.. Comment organisez-vous la construction de votre récit et proposez-vous en même temps une cohérence et une trame passionnante de bout en bout ? En effet, comme pour la Ronde des innocents, j’ai construit ce roman sur une intrigue double, à laquelle s’ajoutent des flash-back. Intellectuellement, c’est très excitant d’élaborer des intrigues parallèles qui doivent finir par se rejoindre. Comme la plupart des auteurs de policiers, j’élabore un canevas assez précis, le squelette de l’histoire, mais je commence assez tôt à me lancer dans l’écriture pour établir un lien concret avec les lieux et les personnages. Au fil de l’écriture, la disposition des chapitres peut être modifiée si je perçois un problème de rythme ou si je crains de perdre le lecteur dans un émiettement excessif. Ce type de modification peut même arriver dans la dernière ligne droite.

Quant aux personnages, vous êtes parvenus à les faire évoluer dans ce rythme entraînant tout en respectant les rebondissements de la trame. Comment travaillez-vous vos personnages ? Est-ce que vous dressez un portrait avant l’écriture ou l’écriture est-elle au contraire l’épanouissement de leur profondeur et de leur évolution tout au long du récit ? Je lisais récemment Les carnets secrets d’Agatha Christie dans lesquels on apprend que la romancière ne connaissait pas forcément le coupable pendant l’écriture de ses romans. C’est une technique étonnante qui montre son talent incroyable. Je serais incapable d’une telle chose ! J’élabore mes personnages en même temps que l’intrigue, je ne peux pas dissocier les deux. Je sais dès le départ où je vais mener les personnages et il est rare que je modifie leur caractère ou les actions qu’ils vont accomplir. Mais il ne faut pas se leurrer, ils ne peuvent vraiment commencer à exister que dans l’écriture. La psychologie d’un personnage ne peut pas apparaître finement dans une fiche d’identité ou une mini-biographie, sous peine de tomber dans des stéréotypes. D’autant que le genre policier a surtout recours au portrait en action.

Pouvez-vous nous éclairer sur la citation de Donna Tartt en début de roman ? Est-ce l’une des clés du roman ? Le maître des illusions de Donna Tartt est l’un de mes livres de chevet. C’est sans doute le livre que j’ai le plus conseillé dans ma vie. Ce n’est pas un chef-d’œuvre du policier, c’est un chef-d’œuvre tout court. La phrase de Donna Tartt que j’ai mise en exergue m’a inspiré pour le titre mais elle reflète aussi une idée phare du roman : je crois que certaines choses sont trop pénibles pour être immédiatement appréhendées et que ce n’est que lorsque « les cendres sont froides » qu’on peut les comprendre. En même temps, je dis dans le roman que la force destructrice des secrets réside dans la dissimulation, plus que dans le contenu dissimulé. Les personnages du roman sont donc soumis à un tiraillement entre le désir d’être honnêtes envers leurs proches et celui de les épargner en leur mentant. Cette idée se retrouve dans une autre phrase de Pat Conroy que je cite dans le livre et qui dit que « l’amour des parents peut se révéler la plus mortellement dangereuse de leurs qualités ». Ceux qui ont lu le livre comprendront…

L’histoire des Lebensborn pendant la seconde guerre mondiale n’est elle pas l’alibi parfait pour réfléchir sur le poids de la tradition et de l’hérédité ? En somme, de la famille. Vous avez raison, j’ai immédiatement vu dans l’histoire de ces lebensborn un prétexte pour aborder les relations familiales et le poids des secrets. Ce sont d’ailleurs des thèmes qui étaient déjà au cœur de mon premier roman. La plupart des enfants nés dans ces maternités ignorent d’où ils viennent. Si vous ajoutez le fait qu’ils étaient censés être des « enfants parfaits » dans le délire eugéniste nazi, on comprend que la découverte de leur origine puisse détruire leur vie. Il est vrai aussi que le genre policier oriente souvent vers cette thématique du passé caché et des découvertes faites à la mort d’un proche.

Plusieurs termes pourraient se concurrencer pour tenter de définir le genre des Cendres Froides : introspection, radioscopie, parcours initiatique… Quel est le terme qui vous convient le mieux, Valentin ? J’aime bien le premier mot. Même si le livre reste un thriller, l’histoire permet en effet au narrateur de se livrer à une introspection. Je crois que toute enquête policière est avant tout une enquête sur soi. C’est vrai pour l’auteur qui se confronte à ses peurs et à ses obsessions. Ça l’est aussi pour les personnages. C’est ce que j’avais déjà tenté dans La Ronde des innocents où Vincent, l’ex-flic reconverti en photographe, reprenait du service pour tenter d’élucider la mort de son frère et comprendre pourquoi il n’avait pu l’empêcher.

« Chaque homme est, à lui seul, une société secrète ». On a l’étrange mais très agréable impression que c’est sur cette phrase que repose la superbe mécanique de votre roman. Est-ce le cas ? En grande partie oui, puisque le secret est au cœur du roman. Je cite souvent cette phrase d’Aragon qui dit : « La vie est un voyageur qui laisse traîner son manteau derrière lui pour effacer ses traces ». Nous avons tous des secrets à cacher, mais dans certaines familles, ces secrets qui pèsent de façon inconsciente finissent par vous détruire à petit feu. Tous les personnages du roman cachent ou se cachent quelque chose. Le narrateur est aveugle à ce qui se passe autour de lui. Il s’est construit un monde où rien ne peut l’atteindre. La vérité fait d’autant plus mal lorsqu’on a vécu dans le déni toute sa vie.

N’êtes-vous pas finalement un auteur qui aime déposer çà et là des indices au gré du texte à l’attention de vos lecteurs ? Il y a en effet dans le roman un certain nombre de phrases qui peuvent être relues à l’aune des révélations finales et qui prennent dès lors un autre sens. Tout dans le policier est question de point de vue (je ne peux pas m’empêcher de penser à Cinq petits cochons d’Agatha Christie). Il y a par exemple au milieu du roman une lettre qui est interprétée différemment selon les personnages. Ce jeu sur la focalisation permet d’aiguiller le lecteur sur des fausses pistes ou au contraire de lui mettre sous les yeux les éléments de résolution de l’intrigue sans qu’il s’en aperçoive. La difficulté, c’est ensuite de doser les indices pour ne pas être trop prévisible.

Aurélien Cochet, le personnage principal semble être un anti-héros. C’est un personnage complexe qui apparaît décontenancé à mesure que le récit avance. Aurélie Cochet ne représente t-il pas à lui seul tous les mystères de cette histoire ?

C’est un anti-héros par excellence. J’ai voulu créer un personnage assez fragile, attachant par certains côtés mais terriblement agaçant par d’autres. Aurélien a vécu une enfance surprotégée mais sa vie a volé en éclats à la mort de son père avec lequel il entretenait pourtant des liens distants. Il a un vrai problème relationnel avec les autres mais il n’en connaît pas vraiment l’origine. L’enquête policière va être une recherche sur sa propre famille, et donc sur sa propre psychologie. J’avais en tête pendant l’écriture de ce roman les (anti-)héros hitchcockiens : James Stewart dans L’homme qui en savait trop ou Cary Grant dans La mort aux trousses, des types banals qui vont être plongés malgré eux dans des histoires qui ne le sont pas. Mais j’avoue qu’Aurélien est beaucoup moins drôle que ces personnages et qu’il n’a pas vraiment d’humour.

Pour finir, Valentin, quel regard portez-vous sur vos deux derniers livres ? Avez-vous envie de continuer dans cette veine ou changer de genre ?

Aussi différents soient-ils, mes deux romans développent des thèmes assez proches : ceux du poids des secrets, des apparences trompeuses et de l’enfance sacrifiée. La Ronde des innocents était sans doute un roman plus ouvertement sous influences, puisqu’il multipliait entre autres les allusions aux univers de Stephen King et de Jean-Christophe Grangé. J’ai envie de continuer dans le policier. C’est pour moi le genre idéal : pouvoir divertir tout en abordant des thèmes qui nous tiennent à cœur. Il est également jubilatoire de jouer avec les codes d’une littérature de genre. Mon prochain roman sera donc un thriller mais l’histoire n’aura rien à voir avec les deux autres. J’ai envie à chaque livre d’embarquer le lecteur dans un univers nouveau, voire peut-être une autre époque en résonance avec la nôtre.

« Les cendres froides » de Valentin Musso / Editions Les Nouveaux Auteurs / 250 pages, 19,90 €

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