Vous ne croyez pas que la France doit « alléger » son modèle de présidentiel? Aux États-Unis, par exemple, la constitution prévoit plus de contre-pouvoirs…
Le modèle présidentiel est l’essence même de la Ve République et l’héritage légué par le général de Gaulle avec le référendum de 1962. Il trouve sa légitimité dans un moment unique: la rencontre directe d’un homme avec les Français, exprimée lors de l’élection présidentielle. Ce présidentialisme s’explique d’une part par le suffrage universel direct – uninominal à deux tours – mais aussi par le rôle du Président de la République dans nos institutions. La réforme constitutionnelle de 2000 à l’occasion du référendum sur le quinquennat a, en ce sens, renforcé le pouvoir du Président de la République en juxtaposant les élections législatives et les élections présidentielles. Certes, cette mesure a permis d’éviter des épisodes de cohabitation, mais elle a aussi considérablement renforcé le pouvoir du Président de la République qui, une fois élu, est assuré d’obtenir la majorité à l’Assemblée Nationale. Le Président de la République voit donc en contrepartie moins d’utilité à son pouvoir de dissolution. Cependant, il serait beaucoup trop réducteur de ne pas reconnaître que nous sommes toujours dans un régime semi-présidentiel ou semi-parlementaire. Le Président de la République possède un droit de regard sur la politique intérieure du pays mais il nomme un Gouvernement qui lui-même rend des comptes devant l’Assemblée nationale qui a le pouvoir de le faire tomber. Le Parlement est le principal contre-pouvoir, il doit en prendre pleine conscience afin de peser davantage dans la gestion des dossiers du pays. Qui plus est, les médias sont libres en France, les citoyens sont libres de s’organiser comme ils le souhaitent, les contre-pouvoirs existent au sein même de la société. L’affaire Benalla en est un parfait exemple – même si, selon moi, cette affaire a fait beaucoup de bruit pour pas grand-chose – les médias ont été libres de communiquer, les citoyens ont été libres de se faire un avis, et les deux Chambres ont constitué une commission d’enquête afin d’éclaircir ces évènements en parallèle d’une Justice parfaitement indépendante. Cette affaire a permis de montrer que les contre-pouvoirs existent et fonctionnent en France. Afin d’alléger ce présidentialisme, la révision constitutionnelle, la loi organique et ordinaire qui devraient être remis à l’ordre du jour au mois de janvier 2019 permettront de renforcer le rôle du Parlement. Couplée à une dose de proportionnelle conséquente, la révision de nos institutions permettra à la fois une meilleure représentativité des sensibilités politiques à l’Assemblée nationale mais aussi un renforcement de sa légitimité.
« Le Parlement est le principal contre-pouvoir, il doit en prendre pleine conscience afin de peser davantage dans la gestion des dossiers du pays. Qui plus est, les médias sont libres en France, les citoyens sont libres de s’organiser comme ils le souhaitent, les contre-pouvoirs existent au sein même de la société »
Cela vaut aussi au niveau des administrations périphériques ?
Avant de répondre sur le fond, j’en profite pour relever rapidement le terme « d’administrations périphériques » – qui est le terme consacré, mais qui dénote même au sein de la sémantique la manière dont les territoires sont considérés par l’État central. L’État est trop centralisé, nous avons ce problème en France, héritage des Jacobins, de ne pas voir la France comme un ensemble de territoires avec des spécificités économiques, culturelles et sociales différentes mais comme un ensemble dans lequel le pouvoir doit être contenu. L’État français a longtemps eu peur de la différence de nos territoires. La construction de notre nation a rencontré des difficultés qui peuvent en partie expliquer les politiques d’uniformisation, notamment lors de la IIIe République. Or, je pense que les mentalités doivent changer, il est temps d’accepter que les problématiques soient différentes en fonction des territoires, de la population et des cultures locales. La prochaine révision constitutionnelle apporte une avancée essentielle à la vie de ces administrations périphériques : « le droit à la différenciation » qui permettra aux collectivités territoriales de s’emparer de compétences en harmonie avec les problématiques concrètes de ces territoires. Le pouvoir commencera à se décentraliser et sera moins rigide. Un autre point de cette différenciation permettra aussi et surtout de valoriser des solutions qui viennent du terrain, du territoire, des Français. La différenciation est un pas de géant pour cette logique du haut vers le bas, c’est un projet que je soutiendrai à 100%.
« La prochaine révision constitutionnelle apporte une avancée essentielle à la vie de ces administrations périphériques : « le droit à la différenciation » qui permettra aux collectivités territoriales de s’emparer de compétences en harmonie avec les problématiques concrètes de ces territoires »
Les propositions du président Macron pour limiter l’impact de l’augmentation des carburants ont été mal perçues par l’opinion publique. Pourquoi selon vous?
Je ne crois pas que les propositions du Président Emmanuel Macron pour limiter l’impact de l’augmentation des carburants ont été mal perçues par l’opinion publique. Les idées avancées lors de son interview du 6 novembre sur Europe 1, ont eu un certain écho comme celle de dédommager les travailleurs, devant faire plus de 30km pour se rendre sur leur lieu de travail. Le Président de la République a écouté et compris le ras-le-bol de certains Français qui prennent cette augmentation du prix des carburants comme une double peine lorsqu’ils sont déjà en incapacité financière de vivre à proximité de leur entreprise ou de leur branche employeur. L’argument de l’écologie est réel, mais c’est une erreur selon moi de le mettre en avant dans ce contexte. L’écologie paraît punitive et risque de braquer les Français qui n’ont rien contre cette lutte commune que doit être l’écologie. Toute taxation écologique doit venir remplacer une taxe déjà existante. Elle ne doit pas être cumulative.
« L’argument de l’écologie est réel, mais c’est une erreur selon moi de le mettre en avant dans ce contexte. L’écologie paraît punitive et risque de braquer les Français qui n’ont rien contre cette lutte commune que doit être l’écologie »
Quelles mesures propose le MoDem pour alléger la facture du carburant des Français qui résident loin de leur lieu de travail ?
Il faut aborder le problème de manière globale. Cette mesure s’inscrit dans une politique écologique large, facilement compréhensible pour les habitants des métropoles ou ceux qui ont accès à des transports urbains efficaces ou des moyens de transports alternatifs. En revanche, il reste énormément à faire pour les Français qui n’ont pas d’autre choix que d’utiliser leur voiture pour se rendre sur le lieu de travail. L’accompagnement des personnes qui parcourent plus de 30km pour se rendre sur le lieu de travail doit être optimisé par une aide économique comme cela se fait déjà dans certaines régions. Au-delà de cette mesure d’urgence, il y a deux leviers également à actionner dans le temps long. Le premier consiste à faire pression sur les grands groupes pétroliers pour que le prix à la pompe s’adapte en quasi-instantanéité sur le cours du baril – et non pas que la modification prenne plusieurs semaines afin que ces groupes se fassent une marge plus conséquente. Le deuxième est de favoriser la transition de l’acquisition de véhicules propres en renforçant la prime à la conversion afin de sortir de l’énergie fossile le plus rapidement possible. De manière globale, ce débat sur la taxation de l’essence renvoie à deux finalités qui sont bien différentes : la transition écologique avec la fin programmée et urgente de l’énergie fossile et la question territoriale avec la problématique d’associer tous les territoires – qui ne rencontrent pas les mêmes problématiques – à ce projet.
En tant que secrétaire général des jeunes du MoDem, seriez-vous prêt à vous engager par exemple pour faire adopter par ce gouvernement un plan favorisant réellement le développement du télétravail ?
Les jeunes du Mouvement Démocrate sont favorables au développement du télétravail mais il se doit d’être encadré. Le travail doit s’adapter aux outils technologiques qui sont désormais à notre disposition. S’il est tout à fait possible de réaliser ses tâches depuis chez soi, je ne comprends pas pourquoi nous devrions contraindre un salarié à faire des trajets supplémentaires. C’est un non-sens à la fois individuel, économique et écologique. En France, nous sommes bloqués sur le quota d’heures travaillées. Les 35heures, un symbole d’acquis social, montrent que nous réfléchissons en durée passée au travail avant de réfléchir à la production finale. Nous devons sortir de ce modèle pour les nouveaux métiers tout en garantissant ces acquis aux travailleurs les plus exposés à la pénibilité de leur poste. Donner un objectif et responsabiliser le salarié sur son organisation en temps/horaire devrait se généraliser. Cependant, une réflexion globale doit avoir lieu sur le sujet car le travail à la maison comporte des limites notamment d’autodiscipline de la part de l’employé sans contrôle de la part de l’employeur et une disparité entre les différents postes risquant de créer des inégalités de traitement en fonction de son métier. Il faut tout de même rappeler que le travail est à l’origine d’un environnement social motivant et gratifiant. A travers le télétravail, il peut résider un risque de désocialisation. Alors certes, ces dispositions permettraient un meilleur train de vie et plus d’épanouissement pour les salariés avec plus de temps à consacrer à leur famille et leurs loisirs, mais elles peuvent représenter un risque social pour l’employé. C’est pourquoi, le télétravail est, en soi, une disposition très intéressante à laquelle nous sommes favorables, cependant elle doit s’inscrire d’un cadre général, structuré à la vue des risques sociaux qui peuvent en découler.
« En France, nous sommes bloqués sur le quota d’heures travaillées. Les 35 heures, un symbole d’acquis social, montrent que nous réfléchissons en durée passé au travail avant de réfléchir à la production finale »
Pour éviter la désertification culturelle des territoires, quelles mesures mettriez-vous en place ?
La culture, particulièrement en France, est un vecteur essentiel de notre identité, de notre civilisation et de nos valeurs. Tous les Français doivent avoir un « droit à la Culture ». La promesse d’Emmanuel Macron d’octroyer un pass culture de 500€ pour les jeunes est une très bonne initiative pour les sensibiliser et les inciter à découvrir le monde culturel… mais ce pass ne sera utilisable si et seulement s’il existe des offres culturelles à proximité. L’extension du Louvre à Lens ou encore l’ouverture d’une antenne en banlieue du Centre Pompidou sont une très bonne démarche qui doit être multipliée dans tous les territoires périphériques français. Ce genre d’initiative doit être généralisée à tous les acteurs de la culture afin de décentraliser la culture et de permettre à tous les Français d’avoir accès à leur patrimoine culturel. Le maillage culturel des territoires passe également par un acteur essentiel : les associations. Le MoDem en a fait une priorité dans son travail législatif afin de permettre un accompagnement optimal du monde associatif. Les associations culturelles : danse, théâtre, musique…. pourront ainsi se multiplier et être accompagnées sur l’ensemble du territoire. Enfin, un élément non négligeable réside dans le développement de l’accès à la culture par le net. Aujourd’hui, il est tout à fait possible de visiter virtuellement le Louvre, le MoMa, le Prado et d’autres. Nous devrions peut-être nous rapprocher des établissements scolaires et périscolaires afin de réaliser ces visites guidées grandeur nature avec de jeunes élèves. Quoi qu’il en soit, la culture doit tous nous préoccuper et un travail de sensibilisation et de promotion doit être fait partout sur le territoire français. Dans des temps où les discours démagogiques et populistes s’élèvent et que des jeunes se radicalisent, nous devons rappeler que la culture nous élève et apporte les réponses aux doutes de nos sociétés.
Selon vous, quelles solutions faut-il apporter pour éliminer la violence dans les écoles ?
Le cas du braquage d’un professeur par un élève met en exergue deux problématiques. La première réside dans la violence directe d’un élève à l’égard de son professeur. Cette violence n’est pas isolée comme en a témoigné le mouvement #PasdeVagues qui a très rapidement pris forme sur les réseaux sociaux. A titre personnel, je suis favorable à la présence des forces de l’ordre dans les établissements scolaires – sous couvert de garde-fous comme le propose le Gouvernement – mais cette mesure n’est pas suffisante. Elle doit être accompagnée par une véritable politique de sensibilisation et de sanctions. L’École n’est plus perçue comme une chance par certains, nous devons faire un travail pédagogique dès le plus jeune âge pour leur faire comprendre que l’école est une chance pour tous, qu’elle permet l’émancipation et l’accès à la connaissance. En matière de sanctions, les comportements violents en milieu scolaire doivent être dénoncés directement à la Justice afin que ces jeunes ne se sentent pas impunis et protégés en milieu scolaire. Bien souvent nous pensons à l’agresseur et à la victime, mais dans le cadre d’un établissement scolaire ou d’une classe, nous oublions trop rapidement les victimes collatérales. Les victimes collatérales, ce sont ces autres élèves venus pour apprendre et étudier qui voient leur année scolaire détruite par le comportement de ces voyous. Ces comportements où s’exercent un rapport social violent de domination à l’égard de ceux qui souhaitent juste suivre des cours et réussir leurs études. Aujourd’hui, l’existence sociale au sein d’un établissement pour des jeunes en difficulté se matérialise à travers leur échec et plus ils échoueront, plus ils perturberont, plus ils existeront. Nous devons casser ce processus. La pression sociale doit changer de camp, la majorité silencieuse souhaitant travailler et s’en sortir doit également prendre la parole : échouer, ce n’est pas être cool et cela ne doit pas apporter une existence sociale. La deuxième problématique est la diffusion sur les réseaux sociaux de cette agression. Les moyens doivent être mis en place afin d’éviter que des élèves puissent filmer ce genre d’évènement et se glorifier à l’extérieur. Nous devons sensibiliser les groupes comme Snapchat, Twitter et Facebook pour qu’ils suppriment immédiatement ces vidéos et en informent immédiatement les forces de l’ordre. Dans un premier temps, l’interdiction proposée par Jean-Michel Blanquer du téléphone dans les écoles est une bonne décision. Le Président de la République a récemment déclaré que la peur devait changer de camp, je partage son avis, toutes les actions nécessaires pour remettre à leur place ces caïds doivent être mise en place afin de ne pas pénaliser la majorité silencieuse qui ne cherche qu’à profiter de la chance d’avoir accès à l’éducation.
« Ces comportements où s’exercent un rapport social violent de domination à l’égard de ceux qui souhaitent juste suivre des cours et réussir leurs études »
Extrait vidéo de l’interview :
https://www.youtube.com/watch?v=YGCn76aht6A&t=5s
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Crédit photo à la une : ©Thiébaud Grudler