Reconnaissantes, quatorze personnalités ont accepté de se confier sur un sujet tabou : la mort, mais aussi l’absence, l’énigme, le réconfort, les croyances et le goût de la vie. Soucieuse de respecter leurs mots, Catherine Ceylac a recueilli leurs témoignages sous forme de conversation. Et l’on se sent proche de chacun puisqu’ils parlent vrai et que leurs blessures, leurs interrogations sont aussi les nôtres.
Avant chaque récit, Catherine Ceylac nous raconte avec tendresse sa rencontre. Parmi ces récits, celui de Jean-Louis Trintignant est le plus émouvant, mais à travers tous se dégage une grande force, un désir de revenir aux rituels, de se souvenir et d’échanger avec ceux qui restent. Ce dimanche, Catherine est venue à pied de chez elle pour prendre le thé dans mon salon. En buvant une tasse d’Earl Grey, je l’ai invitée à parler d’elle. Elle se livre avec beaucoup d’émotion, de justesse et de simplicité. Son souhait ? Que la parole se libère, que l’on puisse dire son chagrin et ne plus occulter la mort qui fait partie de la vie.
Quelle a été votre première confrontation à la mort ?
Un ami mort du Sida. J’ignorais qu’il était atteint de ce virus, lui aussi. Il avait 25 ans. Il est mort dans mes bras. Ce fut un choc : j’ai alors compris que la mort pouvait survenir à tout âge. A l’origine de ce livre, il y a la mort de mes parents. Ils avaient plus de 90 ans, mais ils sont morts à trois mois d’intervalle et leur disparition a suscité chez moi de grandes interrogations sur le sens de l’existence et sur ma propre mort.
Comment avez-vous choisi les personnalités dans ce livre ?
J’ai voulu recueillir des récits de vie de personnes pour qui j’ai de l’estime et qui sont considérées par le grand public. J’aimerais que les lecteurs puissent y retrouver un peu de ce qu’ils ont vécu, se replonger dans leurs propres souvenirs. Des témoignages bruts, sous forme de conversation dans lesquels la vie est le fil conducteur.
Avez-vous eu des réponses qui vous ont éclairée ?
J’en ai trouvé chez chacun. Il y a de la force chez tous. Michel Onfray parle avec émotion de la mort de Marie-Claude, sa compagne atteinte d’un cancer. Après l’avoir soutenue pendant sa maladie, il demande au médecin qu’elle soit placée dans un service de soins palliatifs et il est sidéré d’apprendre qu’elle y est déjà. Face à ses souffrances, il fait alors appel à un médecin ami pour qu’il puisse intervenir et qu’elle meurt le soir où il le décidera. Ce soir-là, elle lui fait un petit signe, il lui répond et il sort de sa chambre sachant qu’il ne la reverra pas. C’est lui qui a pris la responsabilité que cette femme tant aimée en finisse avec la vie. Prendre en charge la mort d’un être qu’on aime afin de lui épargner une fin douloureuse est à mon sens un acte courageux. Line Renaud est membre de l’association « Mourir dans la dignité » ; elle va donner des consignes pour pouvoir mourir en Suisse, en ayant recours au suicide assisté. Ce n’est pas la mort qui fait peur, c’est la douleur des derniers moments. On peut apporter une réponse à la souffrance. Ces témoignages m’ont fait du bien. Pour ma propre fin, si je suis consciente, j’aimerais prendre la décision moi-même. Sinon, que mes proches le fassent pour moi. La plupart de ceux que j’ai écouté ne croient pas en une vie après la mort.
A part Gaël Faye…
Il croit en la spiritualité, il a fait baptiser ses enfants, mais, à l’inverse de sa famille, il ne pardonne pas à l’Eglise et aux prêtres d’avoir été complices du génocide commis au Rwanda, le pays de sa mère. Line Renaud aussi croit en un dieu, en une puissance suprême.
Et vous-même ?
Moi, je suis agnostique, et je le regrette car je pense que c’est beaucoup plus facile de passer de vie à trépas en ayant la foi.
Vous accordez en revanche de l’importance aux rituels, à notre présence près de celui qui s’en va.
Oui, on en a besoin. Dans mon enfance, je me souviens des tentures noires sur les façades. Je vais vous raconter une chose très personnelle. Ma mère était mourante. L’infirmière m’appelle et me dit : « La mort est imminente, venez ». Je prends le train un lundi soir à 19 h, j’arrive à minuit à l’hôpital de Saint Malo et je reste avec ma mère jusqu’à 7 h du matin en lui tenant la main, en lui parlant. Puis, je repars, la mort dans l’âme, parce que j’enregistre trois émissions et qu’une équipe de quarante personnes m’attend. Dans le train, je me dis que je reviendrai le soir-même. A 13 h, le téléphone sonne et on me dit que ma mère est décédée. J’ai donc été privée de la fin de vie de ma mère. J’ai fait le choix de mon métier au lieu de l’accompagner dans ses derniers instants. J’aurais dû rester et je m’en suis voulue.
Vous soulevez le problème de la culpabilité quand on perd un être cher. Ce que vivent Line Renaud et Trintignant.
Line Renaud était épuisée de veiller sa mère jour et nuit. Avant d’aller se reposer, elle demande à l’infirmière et à l’employée de maison de la réveiller. Elles ne l’ont pas fait. D’où son désarroi.
Peut-être que ceux qu’on aime préfèrent partir seuls…
C’est ce que dit Isabelle Autissier. Elle aimerait être accompagnée, mais, les toutes dernières minutes, elle veut être seule. Beaucoup lâchent prise dans la solitude. Cela n’enlève pas la culpabilité : elle est irrationnelle. C’est tellement beau ce que Line Renaud dit à son mari, Loulou, qui se meurt : « Regarde, ta maman est là, elle t’attend, elle te tend les bras, tu vas traverser les mimosas et les lavandes ». Il faut tenter de se faire du bien à travers la mort des autres.
Comment prendre la décision de soulager la douleur d’un être cher ?
Vous savez, le médecin qui suivait ma mère a demandé à mes sœurs si nous avions toutes pu la revoir. Elles ont répondu oui. Je crois qu’il a fait le nécessaire avec un sédatif. En fin de vie, pourquoi s’acharner ? Ce geste me paraît humain, mais il ne faut pas le sacraliser. Ni l’institutionnaliser. La loi Leonetti est suffisante. Ensuite, cela dépend du médecin, de ses croyances, de sa génération. Cette décision ne doit pas faire l’objet d’un bout de papier ; il faut qu’il y ait des échanges avec la famille, une vraie réflexion. Il faut savoir aussi s’il y a un réveil possible ou pas. L’âge de celui qui part compte. Ma mère, très âgée, demandait à partir. C’est terrible de voir ses parents si mal. Nathalie Rykiel dit que sa mère l’appelait maman.
Votre livre réhabilite le temps des retrouvailles familiales et amicales après la mort d’un proche, n’est-ce pas ?
Oui et l’importance d’échanger des souvenirs sur la personne qui vient de partir, bons ou mauvais d’ailleurs. Line Renaud aimerait que ses obsèques soient une fête. Pour elle, le plus bel enterrement fut celui d’Henri Salvador, parce qu’il y avait de la musique. J’aime beaucoup qu’elle dise : « Il faut mourir dans la gloire ».
Avez-vous retravaillé les témoignages ?
A peine : j’ai juste « nettoyé », j’ai voulu garder l’oralité, afin qu’ils ne soient pas littéraires, qu’on entende la voix de chacun. Quand Trintignant dit : « Je suis mort le 1er août 2003 », on l’entend dire cela.
Quel était votre désir avec ce livre ?
Qu’il fasse du bien. Moi, il m’a fait du bien : j’ai eu l’impression que nous formions une chaîne humaine. Comme la parole se libère pour les femmes, nous devrions aussi libérer la parole sur ce sujet tabou. On a besoin d’évoquer les épreuves qu’on vit. On devrait dédramatiser. Quand un ami perd un proche, au lieu de dire : il est parti, il vient de disparaître, pourquoi ne pas dire : il est mort, j’ai du chagrin. Echanger permet de soulager de ce chagrin. J’aimerais que les mentalités évoluent : en Afrique, les enterrements durent une semaine. On devrait prendre du temps. Il y a l’idée aussi que l’âme doit remonter et que cela ne se fait pas tout de suite.
Vous croyez que nous recevons des signes des morts ?
Je vais vous faire une confidence : ma mère m’est revenue. Une dizaine de jours après son enterrement, en pleine nuit, je me suis réveillée sans raison : j’ai un sommeil très lourd. C’était comme si quelqu’un me réveillait. J’ai vu ma mère. Elle m’a prise dans ses bras. J’ai senti ses mains sur mes épaules. Elle était souriante et belle. Elle est venue m’apaiser, me dire aurevoir : je le sais. Est-ce moi qui ai suscité cette vision ? Toujours est-il qu’elle est venue m’apporter un bienêtre en me disant : « Je ne t’en veux pas, je ne t’en tiens pas rigueur ». Cela a soulagé ma mauvaise conscience. On vit avec les morts. Lorsque Michel Onfray passe devant une vitrine et voit une robe bleue, il pense à sa femme qui aimait cette couleur. Line Renaud fait souvent un compte rendu de ce qu’elle a vécu sur la tombe de Loulou et de sa mère ! (rires)
Qu’est-ce qui vous énerve dans le monde des médias ?
A la télé, il y a trop d’émissions avec des chroniqueurs : elles sont très collégiales, avec du public. Des shows artificiels, une télé spectacle qui n’apporte pas grand-chose.
Que pensez-vous des projets de protection des femmes face au harcèlement ?
Je suis féministe, heureuse que la parole des femmes s’entende et qu’une loi sur le harcèlement sexuel soit en cours, mais il ne faut pas oublier que les femmes sont un peu passives et qu’elles doivent aussi être plus actives dans la drague, dans la séduction. Quand je les entends dire qu’elles doivent être protégées, je ne suis pas d’accord. Une femme doit avoir sa propre identité. Nous avons une force en nous, nous n’avons pas besoin d’être protégées par un homme. Il faut faire attention : on demande aussi beaucoup aux hommes et ils ont leur fragilité, même s’ils sont élevés dans l’idée d’être compétitifs, forts. Il faudrait que les deux genres se régulent, que les hommes montrent leurs blessures, que les femmes soient plus viriles !
Qui allez-vous recevoir à « Thé ou Café » ? Que vous apportent ces rencontres ?
Je reçois Sting et Costa Gavras cette semaine. Même les personnalités internationales viennent dans l’émission : une récompense ! Aujourd’hui, je récolte ce que j’ai semé pendant vingt ans ! Les gens me sollicitent, me font confiance. C’est joyeux ! Comment peut-on être usé par des relations aussi intimes ? Je m’en nourris ! Ma vie est faite des multiples vies des gens que je rencontre. J’en tire des enseignements. Ces rencontres m’ont beaucoup aidée dans ma vie.
Comment ?
Elles m’ont transmis la combativité, l’audace, la singularité et l’idée qu’il faut vivre carpe diem. Quand je me réveille, c’est le mot plaisir qui vient en premier. Il faut en prendre, en donner et construire sa vie. Je pense avoir réussi à construire la mienne sentimentalement, professionnellement. J’ai eu de la chance, mais je crois aussi que le travail joue beaucoup.
Que regardez-vous à la télé ? En presse, que lisez-vous ?
Tous les matins, je lis la presse et j’écoute France Inter ou Europe 1. A la télé, je regarde un peu de tout, mais j’aime beaucoup « The Voice », une émission qui reflète bien la France.
Catherine Ceylac
A la vie à la mort
Editions Flammarion
( Crédit photo Philippe Le Roux / France 2 )