AUDREY SIOURD

Audrey Siourd : les liseuses dans le métro parisien

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Par Nicolas Vidal – Le métro parisien est le lieu de toutes les coïncidences, de toutes les singularités et des rencontres fortuites.

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Audrey Siourd l’a parcouru avec son appareil photo pour saisir au vol la délicate concentration de lectrices absorbées dans un livre. Une belle et artistique initiative que nous souhaitons vous faire partager en compagnie d’Audrey Siourd.

Audrey, pouvez-vous nous présenter en quelques mots le projet «les liseuses de bonnes aventures» ?
Il s’agit d’une série de portraits de femmes qui lisent dans le métro parisien. Des «liseuses» prises sur le vif au gré de mes trajets en sous-sol. Ces photos s’accompagnent d’une bande-sonore, composée à l’aide de mon amie Céline du Chéné, qui cherche à restituer le brouhaha alentour et l’évasion que procure la lecture.

Comment vous est venue cette idée?
L’idée est née par hasard. Un jour, une femme s’est assise en face de moi, s’est plongée dans son livre. La force de sa concentration m’a épatée, j’ai eu envie de la photographier pour me souvenir de cet instant. Le lendemain, une autre liseuse s’est installée à côté de moi et le surlendemain une autre encore. Faire une série de portraits de femmes absorbées dans leur lecture alors que tout autour n’est que bruits m’est apparue comme une évidence et c’est devenu un peu une obsession.

« Le temps de lire est toujours du temps volé » lit-on dans la présentation de votre projet. Qu’est ce que dit l’art photographique de ce temps volé ?
J’ai envie de penser que ce «temps volé» dont il est question dans cette phrase est du temps volé pour soi. Une parenthèse en quelque sorte que l’on s’offre et qui permet de suivre une histoire, de se transporter ailleurs, de voyager. La photographie permet de suspendre le temps et, pour celui qui regarde l’image, d’en analyser le moindre petit détail. Cela nous permet la contemplation. J’aimerais avoir plus de temps pour contempler mon environnement, les gens, les choses. Grâce à la photo, on s’arrête un peu plus sur ce qui nous entoure.

Ce sont toutes des photos volées prises dans le métro. Comment prépare-t-on un tel sujet ? Est-ce qu’on se tient prêt à photographier à chaque instant dans le métro ou anticipez-vous vos sessions ?
Au fil du temps, c’est devenu une sorte de manie. Mais il n’y a pas vraiment de préparation, je ne pars pas de chez moi pour faire la chasse aux liseuses. Le fait de photographier avec mon portable permet l’improvisation. Lorsque je rentre dans une rame, je suis invariablement attirée par celles qui lisent. Mais ce que je préfère, c’est lorsque je suis assise et qu’une liseuse vient se poser comme une libellule à côté de moi.
Quant au fait que ce soit des images volées, c’est à la fois vrai et pas vrai. Dans un certain sens, elles sont toujours volées car je ne parle jamais aux liseuses avant de les prendre en photo. Le rendu ne serait pas le même, je n’arriverais pas à capter cette intensité dans la concentration. Mais souvent, disons, régulièrement, je vais les voir après et on discute. La RATP, qui a soutenu le projet il y a trois ans, m’a délivré une autorisation pour prendre des photos dans le métro. Je vais donc voir les liseuses avec ce document et je leur explique que je fais un travail photographique sur la lecture dans le métro. 100% des femmes avec qui je me suis entretenue m’ont donné leur consentement. Ceci dit, ce n’est pas toujours possible de causer avec elles : parfois je dois quitter la rame, parfois ce sont elles qui sortent juste après que je viens de les photographier, parfois je n’ai pas l’énergie tout simplement d’entamer une discussion…

Pourquoi avoir voulu présenter un projet artistique multimédia?
Pour rendre compte de ce paradoxe: les liseuses sont absorbées par leur livre et sont plongées dans une bulle de silence alors que c’est le gros bazar autour d’elles. Il fallait quelque chose en plus des photos qui puisse restituer cela.

Comment s’articule t-il ?
L’idéal serait que le visiteur déambule devant les portraits avec un casque audio sur la tête qui diffuse le scénario sonore que nous avons concocté avec Céline. La bande-son est conçue de telle manière qu’on a l’impression d’être dans la tête d’une femme qui lit. On entend donc des lectures de texte par-dessus laquelle se superposent des sons évoquent l’évasion que procure la lecture (des grillons, un Lion qui rugit…), d’autres sons qui évoquent le brouhaha alentour, une musique légère qui résonne au loin…

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Qu’est ce projet dit de la place et du rôle de la lecture dans notre société ?
Il dit que le livre fait prendre la clef des champs ! Et qu’une femme qui lit est forcément belle.

Pourquoi avoir choisi le métro? Et pas les cafés, les bancs publics ou tout autre endroit dévolu généralement à la lecture ?
Je n’ai pas vraiment choisi, ça s’est fait comme ça.

Pourquoi avoir choisi spécifiquement les femmes pour votre travail ?
Au début, j’ai aussi pris des hommes en photo, mais les clichés ne me parlaient moins. À les regarder, je ne ressentais pas la même émotion, je n’y voyais pas cette douceur, cette sensibilité, cette sensualité que je trouve dans toutes les photos de liseuses.

Pourquoi avoir fait le choix de photographier le fait de lire un livre et pas une tablette ?
C’est bien et c’est pratique une tablette. Mais qu’est ce que c’est moins beau qu’un livre !

Vous exposez ainsi ces clichés. Où peut-on voir cette exposition et jusqu’à quand ?
L’exposition à la galerie de la Ville A des Arts dans le 18e à Paris s’est terminée dimanche 5 mars. En attendant qu’elle «tourne» ailleurs (avis aux amateurs), on peut suivre les liseuses via mon compte Instagram @audreysiourd (sans avoir besoin de s’abonner).

Pour finir, que regard portez-vous sur l’univers de la lecture et plus spécifiquement de la littérature, Audrey Siourd ?
Vaste question, Nicolas ! Ce que je retiens surtout c’est la grande diversité des livres lus. Moi qui travaille dans l’édition, je suis plutôt tournée vers l’actualité littéraire qui produit sans cesse de nouveaux titres. C’est un peu comme au cinéma, les nouveaux livres chassent les anciens à une rapidité parfois déconcertante. Or je crois que ceux qu’on appelle «le grand public» sont certes avides de nouveautés, mais adorent tout autant se plonger dans un bon classique. Et prendre leur temps.

(photo Audrey Siourd : Gérard Cambon )

Les liseuses
Une exposition visuelle et sonore
d’Audrey Siourd

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