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Véronique Sousset : le témoignage poignant de l’avocate d’un tueur

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Par Emmanuelle de Boysson – Rencontre avec Véronique Sousset, auteur de Défense légitime (La Brune au Rouergue). Comment défendre un homme que l’opinion appelle un monstre ? Un diable. Bretonne, ancienne avocate, devenue aujourd’hui directrice d’un grand établissement pénitentiaire, Véronique Sousset raconte ce qu’elle a vécu dans ce récit d’une avocate qui accepte de défendre en commis d’office un homme qui a tué son enfant, suite à des coups, des années de martyre.

propos recueillis par

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« J’ai su, dès les premières rencontres, qu’il y avait un homme derrière le monstre » dit-elle. Elle nous fait revivre sa visite à l’assassin, sa défense, la reconstitution de la dernière nuit, le jugement. Un témoignage bouleversant d’une femme de conviction, une femme qui a su se protéger, garder ses distances tout en ne cachant pas ses émotions. Le premier titre d’une collection de récits et documents au sein de la brune.

Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire ce livre, ou plutôt ce témoignage?
J’aime lire et écrire. Deux passions dans ma vie. J’écris depuis que je suis en âge de tenir un crayon et je savais lire très précocement avant de l’apprendre au cours primaire. Alors écrire m’est assez naturel. Ce livre s’est imposé à moi. D’abord parce que cette question revenait souvent quand je faisais part de mon expérience : pourquoi défendre un monstre ? Qu’est ce que signifie défendre quand tout accable ? Je me suis rendue compte que je ne pouvais répondre à cette question en quelques mots et à moins de monopoliser la parole, j’étais contrainte de faire des réponses courtes, parcellaires et donc insatisfaisantes pour moi qui suis avide d’exactitude et de démonstration ! Un événement aussi m’a déterminé. Deux ans après le procès qui m’a inspirée sur le port de Naples, bondé et assailli par la foule du mois d’août en Italie, j’entends une voix qui fend la foule compacte et qui me hèle. Cette voix est celle de ce visage que j’avais gardé en mémoire, celui de la femme, présidente d’une association de protection de l’enfance, partie civile au procès. Elle me dit garder un souvenir ému de ce procès et de mon intervention…. Je suis très sensible aux rencontres fortuites, je crois un peu au signe … quelque chose qui transcende et qui m’a convaincue que cette rencontre improbable, inattendue avait un sens.
Je suis rentrée quelques semaines après et je me suis mise à écrire ce livre, témoignage mais aussi avec une part de fiction et de conviction !

Pourquoi avez-vous accepté d’être commis d’office dans ce terrible fait divers où vous défendez un homme qui a tué son enfant?
Comme je l’écris dans le livre, c’est le goût du défi, du challenge qui a toujours guidé mes choix. Puisque la vie est une expérience alors je la tente !
J’ai donc été désignée d’office mais consentante, avocat d’un homme monstre qu’il a fallu rendre normal. C’est aussi le sens de l’engagement de l’avocat que de défendre, dans son acception multiple. Défendre n’est pas excuser mais faire comprendre l’enchaînement et les responsabilités.
J’ai aussi accepté parce que j’ai voulu croire et j’ai su, dès les premières rencontres, qu’il y avait un homme derrière le monstre et que lui redonner cette part d’humanité dont les faits l’avaient délogé était aussi une manière de respecter la mémoire de la victime.
Il ne s’agissait pas de plaider l’irresponsabilité, la folie ou je ne sais quelles circonstances atténuantes mais de faire de lui un homme responsable de son acte et démontrer néanmoins qu’il ne pouvait s’y réduire.

Pourriez-vous nous faire partager vos émotions au long de ce travail : votre rencontre avec l’homme, l’instruction…
Je crois que c’est l’objet même du livre, non pas le fait divers mais bien l’émotion de cette rencontre. Je donne à ressentir par l’écriture ce qu’a été cette rencontre singulière. Je l’écris dans le livre : il n’a été ni un ami, ni allié, mais une rencontre d’une autre nature, complexe mais passionnante, comme l’est la nature humaine. Un doyen de faculté de droit Jean Carbonnier écrivait dans un ouvrage de sociologie du droit qui m’a marqué : « humain, trop humain quand il lui arrive de ne plus l’être plus du tout.»
Alors, je prends par la main du lecteur, lui qui aura la curiosité de m’accompagner sur ce chemin escarpé, à la lisière des ténèbres.

Avez-vous évolué au fil de votre défense?
Oui , car l’on fore dans les faits, les affects, les mots, des mots bleus, pas ceux de cette chanson sublime mais ceux des coups, des hématomes.
Alors, sans jamais oublier la victime, la défense était comme avancer dans le noir pas à pas, comme une nyctalope, titre de la seconde partie du livre, celle qui voit dans la nuit. Il fallait des ciels moins bas et de possibles chemins moins sombres pour que cet homme avance.

Quels ont été les arguments de votre plaidoirie?
«Un saut dans le vide» et ensuite on est durant la plaidoirie, funambule «sur un fil». Ces deux chapitres donnent à entendre ces arguments et le pari que doit faire l’avocat, d’être entendu, plus qu’écouté.

Comment avez-vous pu vous protéger, vous ressourcer? Avez-vous été tentée d’éprouver de la compassion ?
Non, surtout pas selon moi , il ne peut y avoir de place pour l’affect. Ce serait « dangereux» et improductif. La lecture a toujours été un échappatoire puissant et efficace.
Grâce à L’Ulysse de Joyce que j’évoque dans le livre, je m’échappais dans la lecture d’un texte si foisonnant, exubérant. J’ai aimé me perdre dans les dédales de Dublin avec les antihéros, Stephen et Bloom, dans cette écriture vacillante, à laquelle s’accommodait mon état d’esprit.

Pourquoi avez-vous choisi de vous adresser à cet assassin dans ce texte?
C’est compliqué comme je l’annonce au départ. En effet, comment s’adresse-t-on à un monstre? On dit «tu» on dit «vous» ? J’ai choisi «vous», parce que le vouvoiement me permettait de me tenir à distance et parce que cet homme n’était pas qu’un individu indivisible.
M’adresser à lui est aussi un moyen, comme en photographie, pour que du négatif émerge une part moins obscure. Retrouver un peu de cette humanité partagée, le plus petit dénominateur commun, qui fait qu’il demeure notre semblable, aussi difficile que cela puisse être supportable.

Peut-on voir l’homme, l’enfant qu’il a été, comme vous dites, derrière le monstre?
Oui, je crois y être parvenue.

Pourriez-vous nous parler de votre travail comme directrice d’un établissement pénitentiaire ? Quelles qualités faut-il? Comment s’imposer en tant que femme ?
C’est un métier engageant, donc passionnant. Il faut avoir envie d’exercer en milieu fermé où tout est exacerbé, mais il faut rester humble aussi, la prison est le lieu d’exécution d’une condamnation prononcée par un juge, chacun son rôle, chacun sa place. Je contribue à mon niveau à ce que la prison ne soit pas qu’un lieu de relégation mais un temps utile, pour envisager autrement la trajectoire de vie qui y a conduit. Faire sa peine ce n’est pas laisser s’égrainer les années comme des bâtons alignés que l’on raye sur un mur de cellule, mais s’en emparer.
Être une femme ou un homme, c’est juste un style différent. C’est tout. Dans ce milieu comme dans tous les autres, l’important est à mon sens la compétence. Autant je trouve que l’on gagne à faire valoir la mixité, autant je suis souvent heurtée par «la parité».

Défense légitime
Véronique Sousset
La brune au Rouergue

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