Benoit Viallon: « J’ai été surpris par l’admiration qui existe en Biélorussie pour la France. Le monde slave et le Bélarus nous admirent »

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En 2020, un voyage spontané en Biélorussie a donné naissance à un projet unique : « Immersion Bélarus ». Poussé par la curiosité et un désir d’évasion en ces temps troublés de Covid-19, le photographe Benoit Viallon a découvert un pays loin des préjugés médiatiques, riche d’une chaleur humaine inattendue et d’une profonde admiration pour la France. A travers ses mots et ses photos, plongez au cœur de cette aventure humaine et artistique, où la voiture devient symbole de liberté et l’appareil photo un pont entre deux cultures.

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Pouvez-vous nous expliquer comment est né le projet « Immersion Bélarus » et ce qui vous a poussé à vous rendre en Biélorussie en 2020 ?
Ce projet a commencé sans en être un. C’est ma curiosité certainement renforcée par la situation du moment qui m’a guidé dans mes premières visites du Belarus en 2020. A ce moment il y a eu un enchaînement de crises. Je dois dire que c’est particulièrement le contexte covid qui m’a fait chercher un nouvel espace de liberté et d’aventure. Cela a été le Belarus pour moi. Dès le premier contact, le Belarus est loin en fait de certaines descriptions médiatiques d’un pays fermé. J’y ai trouvé uniquement des gens très accueillant et d’une amitié très touchante.

Pour tout vous dire j’ai été surpris par l’admiration qui existe là-bas pour la France. On ne perçoit pas cela assez depuis Paris. Pourtant le monde slave et donc le Belarus nous admirent. Je dirais même qu’il nous aime profondément parce que nous sommes français, pour notre histoire, pour notre culture, pour notre approche des choses. Je me suis senti quelque part redevable de ce regard. Cela m’a poussé à prolonger mes voyages qui ont façonné pas à pas ce projet « Immersion : Belarus ».

 

 

Pouvez-vous partager quelques-uns des moments les plus mémorables de votre voyage en voiture à travers la Biélorussie et comment cela a influencé votre travail de photographe ?
D’abord il faut dire que ce voyage est difficile. En tout cas il l’est devenu avec la fin des liaisons aérienne directes entre l’Europe et Minsk depuis 2021. Avant cela il était très simple de rejoindre Minsk depuis Paris en 2h30. Désormais avec les sanctions il faut compter environ 24h de route depuis Paris en voiture. Mais c’est justement cette situation qui m’a paradoxalement ouvert des opportunités pour voyager plus librement : en voiture.

 

Cette situation est évidemment regrettable, car si à titre personnel cette contrainte m’a permis d’en faire un projet d’exposition, partir en voiture n’est pas une option facile ni même possible pour la majorité des gens qui ont simplement de la famille, des amis, parfois du travail au-delà de cette frontière. En tout cas cette mesure a été pour moi le déclencheur d’une véritable aventure. Partir en voiture avec plus de matériel et finalement être plus libre de mes déplacements une fois arrivé sur place.

 

 

Ce mode de locomotion est le véritable moteur de mes explorations, il conditionne les déplacements et démontre une certaine volonté pour quand même voyager malgré les distances. S’il n’y a pas d’avion, il y a la voiture. Allons-y.
Pour y aller on traverse littéralement l’Europe. En conduisant on se rend compte véritablement du retour des blocs est-ouest dans plein de situations : par les chars qu’on peut croiser sur l’autoroute, par les drapeaux symbole de camps qui s’affrontent… il y a les artefacts de cette tension qui sont clairsemés sur ce chemin jusqu’à la frontière qui se traverse finalement encore relativement facilement en Lituanie.

Dans un si long trajet il y a beaucoup d’événements qui participent au charme du voyage. Je conduis un petit 4×4 qui ressemble à un jouet. C’est adorable de voir l’étonnement des enfants dans les petits villages qui en vous voyant suivent la voiture. Avec une telle distance de route on regarde aussi la carte de l’Europe différemment. Tout devient un « petit détour » et vous pousse à rechercher encore plus cette liberté. C’est comme cela que je me suis retrouvé à Kaliningrad pour quelques jours en rentrant à Paris. C’est cette liberté de pouvoir changer de route et les rencontres qui ont façonné mon travail au Bélarus et en Russie, qui pour cette dernière m’a poussé toujours en voiture au-delà du cercle polaire. Cette exploration fantastique a aussi donné lieu à une autre exposition IMMERSION PARIS – TERIBERKA avec I-Gallery.Intelligence à la Galerie Moika 104 à Saint-Pétersbourg.

« Avec une telle distance de route on regarde aussi la carte de l’Europe différemment. Tout devient un « petit détour » et vous pousse à rechercher encore plus cette liberté. C’est comme cela que je me suis retrouvé à Kaliningrad pour quelques jours en rentrant à Paris »

 

Je dirais que ce trajet imposé par les circonstances comporte aussi finalement autant d’occasions amicales de m’arrêter : en Pologne, en Lituanie, et partout au Bélarus voir des amis et continuer. Tous ces contacts, tous ces amis sont autant de guides qui m’ont permis de saisir un Bélarus authentique, proche des gens.

 

 

Ce qui frappe à la proximité de la frontière du Bélarus, c’est sur parfois des kilomètres, la file interminable de camions avec leurs chauffeurs. Pour les voitures le passage est plus simple, mais j’ai toujours beaucoup de peine pour ces conducteurs qui doivent souvent attendre parfois des jours sur place. Ce sont des conditions très difficiles.

J’ai souvenir d’une tempête de neige sur une route totalement verglacée dans tout le Belarus. C’était la nuit et la route n’avait pas été traitée. Personne ne roulait. J’avais juste avant ce départ fait l’acquisition de pneus glaces. C’est à ce moment que l’équipement compte et vous permet de vous déplacer sans problème dans des conditions extrêmes.

Et puis il y a surtout des choses simples et belles sur le bord de la route, on y croise des élans, des cigognes. On trouve des petits villages et leurs vendeurs de champignons… la voiture c’est la liberté. Venir en avion et se déplacer en bus ne permet pas de voir le pays dans ses détails. C’est ce que m’a permis la voiture : accéder à ces singularités.

Comment décririez-vous la beauté et l’unicité de la Biélorussie à travers votre objectif ? Qu’est-ce qui distingue ce pays méconnu de l’imaginaire commun ?
La Biélorussie a une beauté authentique. C’est très vert en été. Tout blanc en hiver. Sans montagne. Sans colline. La campagne a le charme des datchas en bois, des lacs immenses, des grandes forêts de pins ou l’on peut même croiser des bisons à la frontière de la Pologne. Une sérénité se dégage de la nature et du pays en général. Cet univers est assez féérique pour moi. Quand on vient de France la physionomie très plate des paysages sait surprendre.

En même temps Minsk est une ville très moderne où la qualité de vie est très bonne avec une jeunesse très vivante. Lors d’une première visite, l’architecture d’inspiration soviétique y est parfois étonnante, elle peut paraître même assez dure. C’est un pays de contrastes que j’essaye de capturer à travers mon appareil.

« La Biélorussie a une beauté authentique. C’est très vert en été. Tout blanc en hiver. Sans montagne. Sans colline. La campagne a le charme des datchas en bois, des lacs immenses, des grandes forêts de pins ou l’on peut même croiser des bisons à la frontière de la Pologne »

 

En tout cas vous avez tout à fait raison de dire que ce pays est méconnu, mais c’est aussi parce que nous avons oublié l’histoire de l’Europe et de la France. Je suis persuadé que si vous demandez dans la rue où se situe la Berezina une bonne majorité des passant ne saura pas vous dire que c’est à l’est de Minsk, ni même au Bélarus. Nous partageons avec cette rivière pourtant si connue en France un grand morceau d’histoire avec le Bélarus. D’ailleurs quand on se rend sur ce lieu historique, dans le champ qui domine la rivière, on se surprend à trouver que c’est beau, tout est calme, même si tant de soldats sont morts ici. Plus de 50 000 je crois. C’est un sentiment étrange d’un monde qui est passé du conflit à la paix ; aujourd’hui il y a une petite plage publique à proximité du point où Napoléon a traversé ; c’est redevenu un endroit très paisible.
Mes photographies essayent de capturer ces moments. La nature, la ville, la vie. Toutes ces choses qui se présentent devant mon objectif. Partout d’ailleurs je me balade avec ma caméra. Mon appareil ne me quitte jamais. C’est cette attention perpétuelle qui est le cœur de ma recherche esthétique.
C’est sûrement en cela que mon travail peut paraître le contre-pied d’une image médiatique souvent hostile.

 

« Vous avez tout à fait raison de dire que ce pays est méconnu, mais c’est aussi parce que nous avons oublié l’histoire de l’Europe et de la France. Je suis persuadé que si vous demandez dans la rue où se situe la Berezina une bonne majorité des passant ne saura pas vous dire que c’est à l’est de Minsk, ni même au Bélarus »

En quoi votre exposition « Immersion Bélarus » casse-t-elle les stéréotypes courants associés à la Biélorussie, notamment en ce qui concerne la lumière et la nature ?
Je crois avoir vu dans un reportage de 2018 sur Canal+ que le Belarus y était associé à une image de ciel assez gris. Il faut dire que le journaliste par le titre de son émission ne voulait probablement pas voir ce qui est beau alors que c’est le cœur de ma démarche.

Au Bélarus, peut-être comme en Bretagne, il y a plusieurs journées dans la même journée. On peut trouver de superbes lumières le matin et le soir. Une petite pluie et très vite un grand soleil. Ces lumières ont un pastel unique, comme un filtre. Ce sont des instants qu’il faut chasser, savoir attendre et disparaissent parfois aussi vite. Il faut apprivoiser cette nature pour qu’elle offre aussi à la caméra ce qu’on espère et puis ne pas trop se poser de questions, se balader et regarder. Il faut faire confiance à son intuition dans ce domaine.

Pour moi cette lumière si spéciale est très importante parce qu’elle habille la nature avec beaucoup de féérie, dans les forêts de sapins ou sur les rives des immenses lacs, elles apportent une forme de romantisme. Je dirais même qu’elles confortent la force de cette nature préservée. J’ai été très impressionné par les lacs immenses qui ressemblent à des mers et par la forêt primaire où l’on peut voir les derniers bisons d’Europe. C’est un environnement paisible où j’aime rester.
« Immersion Belarus » s’attache à montrer ce qui est beau au Bélarus. Cela dénote peut-être dans le contexte actuel.

 

En tant que premier Français à être exposé au musée Art Palace de Minsk, comment percevez-vous le rôle de l’art dans le rapprochement des peuples et des cultures, surtout dans ces moments de grandes tensions internationales ?
Cela a été un grand honneur d’être exposé dans ce lieu je tiens à remercier encore le Art Palace pour sa confiance. C’est un très bel espace pour accueillir les gens et disposer plus de cinquante photos imprimées et une centaine accessible en réalité augmentée, c’est un mécanisme qui permet justement encore plus l’immersion du spectateur dans l’objectif de ma caméra.

La responsable du service culturel de l’Ambassade de France a d’ailleurs fait le déplacement pour cette occasion et a prononcé quelques mots. Je la remercie encore pour ce geste. C’est un message sympathique bien sûr et qui finalement n’est pas tant destiné à mon égard, mais qui montre qu’il existe sûrement un chemin vers le dialogue et des intérêts communs.

C’est justement là où l’art est une voie plus douce. Il permet de voir ce qui est beau, de parler des choses qu’on aime réciproquement et pas des choses qui fâchent. Ce sont sûrement des grains de sable mais qui ont leur importance. Il y a de la « photo-diplomatie » dans « Immersion Belarus » peut-être. Je ne saurais pas le dire. En tout cas l’Ambassade de France a fait aussi un article sur l’exposition et la télévision Bélarus est venu filmer l’événement. A la fois parce qu’un tel moment aujourd’hui est rare, mais aussi je crois pour montrer une envie de se retrouver. Ce qui était d’ailleurs le cas lors du vernissage.

Il me semble que pour le Art Palace il était important de donner une carte blanche à mon exposition pour montrer le regard d’un Français sur le pays. Ce projet montre qu’il est possible de saisir les mains tendues. C’est un petit exemple, mais un très bon exemple qui pourra peut-être en inspirer de plus grands pour revenir à un dialogue nécessaire avant que cette partie du monde qui nous aime tant ne se tourne malgré elle définitivement vers l’Asie. Ce qui semble hélas déjà chose faite en grande partie.

Quelle est la mission que vous espérez accomplir avec votre travail photographique, et comment aimeriez-vous que les spectateurs réagissent en découvrant vos photos de la Biélorussie ?
Je ne sais pas s’il y a une mission au sens propre, car ce projet s’est formé avec le temps comme une aventure sans objectif particulier. En tout cas il ne vous a pas échappé qu’il se joue actuellement des événements historiques dans les relations est-ouest dans la région et dans ce contexte il me paraît très important que mes photos racontent à tous les spectateurs que ce monde à l’Est, est beau et qu’il nous est proche par beaucoup d’aspect. A l’inverse j’espère que les spectateurs Bélarus aiment voir leur pays à travers mon regard. C’est le plus important pour moi. J’ai été très touché par les remarques des spectateurs qui reconnaissent et redécouvrent leur pays en même temps pendant l’exposition.

J’ai bien sûr conscience que quelque part mon travail participe peut-être à entretenir le dialogue à un niveau humain et artistique. Celui qui peut exister principalement aujourd’hui. Si mes photographies peuvent aider à renouer un dialogue à d’autres niveaux ou simplement à plaire au spectateur, c’est une très bonne chose.

 

( Crédit photo : Benoit VIallon)

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