Elsa Bontempelli: « Le rapport de la danseuse à son corps est régit par l’obsession de l’apparence, de la maigreur, de la perfection face au diktat du reflet dans le miroir »

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« Les Vilaines » interroge la place de la femme dans la société, son rapport à son corps et à l’image imposée. Le spectacle dénonce les diktats esthétiques tout en célébrant la féminité et encourage la bienveillance et la sororité.

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Pouvez-vous nous expliquer comment vous avez conçu la mise en scène du spectacle « Les Vilaines » pour capturer à la fois le caractère, le verbe et l’émotion des artistes dans un cadre de music-hall ?

L’espace scénique est délimité en profondeur par deux espaces: l’avant-scène en tant que scène de Music-Hall et au lointain, les coulisses matérialisées par les coiffeuses de chaque artiste. Les comédiennes/chanteuses passent pendant le spectacle allègrement d’un espace à l’autre alternant conversations entre filles dans les loges et clinquants numéros de cabaret à l’avant-scène. Les loges sont bien sur un lieu d’échange qui permet de dessiner le caractère de chaque personnage à travers leurs particularités et leurs individualité. L’exposition en suspension et en lumière des costumes et des plumes contribue beaucoup à la beauté du décor et à plonger le spectateur dans le monde flamboyant et coloré des grandes revues parisiennes.

Comment avez-vous abordé la tâche de démentir les clichés du genre tout en les utilisant pour transmettre des messages à travers les chansons, les textes et les chorégraphies ?
Le genre du cabaret et des revues est peu à peu tombé en désuétude depuis les années 80. L’uniformité des corps des danseuses des grands spectacles de cabaret qui efface l’individualité de l’artiste pour privilégier l’effet de groupe en tant que corps de ballet, n’est plus à la mode. On privilégie la particularité, la personnalité, l’individualité de l’artiste. Le spectacle Les Vilaines propose de renouveler le genre en présentant trois de ces danseuses de revue, qui ne sont souvent dans ce genre de spectacles que des jambes, des silhouettes, des membres d’un ensemble muet, et de leur donner la parole pour dévoiler leurs personnalités et leurs particularités à travers le même écrin de strass et de plumes.

 

 

Pouvez-vous nous parler du choix de mêler légèreté et émotion dans un rythme de rupture, créant ainsi une forme particulière de revue théâtrale ? Quelle atmosphère cherchez-vous à créer avec chaque scène ?
J’ai toujours pensé que le bonheur se trouvait dans le contraste et la diversité des expériences. Une revue traditionnelle est un enchaînement de plusieurs tableaux de thèmes différents sans lien les uns avec les autres. Pour Les Vilaines, j’ai voulu garder cette tradition mais la relayer à un niveau émotionnel comme un tableau multicolore d’émotions diverses qui contrastent les unes avec les autres. L’expérience, malgré le faste des costumes demeure profondément humaine. Le spectacle nous invite dans le quotidien des danseuses de revue, jour à après jour, d’après ce que j’avais vécu moi même en tant que danseuse dans la ligne des Blue Bell Girls. Il n’y a pas de dramaturgie mais des alliances, des haines et des amitiés qui se nouent ou se dénouent au fil des jours passés ensemble dans un tronçon de vie commun vécu par trois personnages très différents. Comme dans une revue, les thèmes s’enchaînent et ne se ressemblent pas, comme un bouquet d’émotions vives qui contrastent les unes avec les autres.

 

 

Le spectacle semble explorer l’intimité des artistes, à la fois dans les loges et sur scène. Comment avez-vous géré cette mise en abyme et ce parallèle entre l’intimité du corps et celle de l’esprit ?
En loges, les artistes sont assises à leurs coiffeuses, comme face à un miroir invisible et face au public. Seul le contour d’ampoules des miroirs délimite et encadre le buste des artistes. C’est donc à travers leurs miroirs que le public découvre les danseuses. Trois personnages féminins prennent la parole après des numéros de plumes et s’autorisent d’être et de ne pas seulement paraître sur la scène du Music-Hall. Et c’est dans ce cadre que l’intimité des personnalités s’expose en même temps que l’intimité des loges. Dans un milieu où la nudité est partout, la véritable intimité se révèle être celle de l’esprit et des sentiments dévoilés à plusieurs reprises à travers des monologues de confidences prononcés par chaque artiste face à la solitude de leurs miroirs.

 

 

Le spectacle aborde également la question de la place de la femme et de son rapport au corps. Comment ces thématiques sont-elles explorées dans « Les Vilaines » et quel message souhaitez-vous transmettre au public à travers elles ?
L’évocation du quotidien des danseuses dans le milieu du Music-Hall est surtout une bonne excuse pour parler de féminité et de la culture de l’image que la société nous impose en tant que femme. Dans le spectacle, la réalité du métier de show girls et parfois l’absurdité de l’exigence de cette esthétique sont exposées sans filtre par les comédiennes. Le rapport de la danseuse à son corps est régit par l’obsession de l’apparence, de la maigreur, de la perfection face au diktat du reflet dans le miroir. Cette obsession est exacerbée dans le milieu de la Danse mais n’est étrangère à aucune femme d’aujourd’hui. Les Vilaines abordent la féminité par le regard si critique et destructeur que l’on peut poser sur soi-même. Cet enjeu questionne alors le rapport du corps de la femme à son droit à s’aimer, interroge l’être et le paraître de la femme dans le milieu artistique et au-delà. Il questionne d’où vient cette exigence. Une mère critique? Une amie maladroite? Un professeur de danse dictateur? Au delà du mal-être que ces jugements engendrent, le spectacle épilogue sur la dimension libératrice de l’acte d’être en scène et appelle à la bienveillance envers soi même et à la sororité entre toutes.

Les Vilaines
Du 11 octobre au 3 janvier 2024
Les mercredis à 19h
Théâtre de la Gaité Montparnasse
26 Rue de la Gaité, 75014 Paris
Réservation sur www.gaite.com/spectacles/les-vilaines/

 

( crédit photo : Bruno Gasperini)

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