(Vidéo) Sonia Backes, Secrétaire d’Etat: « Le gouvernement va organiser des « assises des dérives sectaires et du complotisme »
Sonia Backes, Secrétaire d’État en charge de la Citoyenneté auprès du Ministre de l’Intérieur et des Outre-mer était l’invitée de BFM TV pour évoquer la lutte contre » les dérives sectaires et le complotisme en mettant un plan d’action concret car nous avons des difficultés sur le signalement. Que fait-on lorsqu’on voit son collègue de travail, son voisin touché par ça. Comment on le signale ? Comment on agit ? »
Sonia Backes fait référence donc à deux choses qui semblent très distinctes. D’une part, l’emprise sectaire qui représente aujourd’hui, d’après la Secrétaire d’Etat, « un enjeu majeur de santé publique et de lutte contre le séparatisme« . D’autre part, il semble beaucoup plus difficile d’appréhender avec objectivité la notion de complotisme qui a été l’arme fatale du gouvernement, de certains grands médias et de sachants pour dénigrer de nombreux acteurs de la santé, de la société civile ainsi que certains médias indépendants, jugés complotistes pendant la crise sanitaire.
Et c’est en cela que le propos de Sonia Backes s’appuie sur ce rapport de la Miviludes ( ici en PDF) pour lancer cette idée des « Assises des dérives sectaires et du complotisme ». En préambule, la Miviludes observe les phénomènes sectaires en France « à travers ses agissements attentatoires aux droits de l’homme, aux libertés fondamentales et autres comportements répréhensibles« . Elle « coordonne l’action préventive et répressive des pouvoirs publics à l’encontre des dérives sectaires et contribue à la formation et l’information de ses agents« .
Il faut donc aller fouiller du côté de ce rapport et lire le mot du président de la Miviludes, Christian Gravel, pour mieux appréhender ce qu’il se cache derrière ce mot valise de « complotisme » : « La crise sanitaire a constitué un catalyseur à travers une prolifération de nouveaux acteurs, plus discrets, maîtrisant le web et ses codes, sachant contrôler les esprits, en exploitant les peurs, la perte de repères, la recherche de solutions simples face à des questionnements existentiels, par définition complexes. Les délinquants experts en manipulation savent, pertinemment, instrumentaliser les vicissitudes de nos concitoyens. Les narrations – souvent teintées de conspirationnisme – ainsi que les modes opératoires et les secteurs concernés s’adaptent aux évolutions du contexte, en exploitant systématiquement les angoisses ou les failles de trajectoires personnelles pouvant concerner chacun d’entre nous. Rappelons que ces phénomènes d’emprise à caractère sectaire touchent l’ensemble des catégories sociales et du territoire national. »
« La crise sanitaire a constitué un catalyseur à travers une prolifération de nouveaux acteurs, plus discrets, maîtrisant le web et ses codes, sachant contrôler les esprits, en exploitant les peurs, la perte de repères, la recherche de solutions simples face à des questionnements existentiels, par définition complexes. Les délinquants experts en manipulation savent, pertinemment, instrumentaliser les vicissitudes de nos concitoyens. »
Un peu plus loin, on peut lire dans ce rapport à la page 20 : « S’il est vrai qu’un grand nombre de victimes de ces dérives est parfaitement inséré dans la société et sans difficultés particulières, il est aussi indéniable que la crise engendrée par la COVID-19 a déstabilisé de nombreuses personnes en perte de repères dans une société complexe, interconnectée où l’information côtoie la désinformation. La MIVILUDES s’est retrouvée confrontée à des saisines, reflet d’une véritable crise sociale teintée d’isolement, de questionnements, de colères et de craintes« . Ainsi, apparaît l’opposition entre information et désinformation qui précise l’objectif de ce rapport à cerner ce qu’est le complotisme, terme abordé dans la seconde partie du rapport, et présenté comme « une notion voisine » du sectarisme. La première partie traite surtout de médecines non conventionnelles, d’initiatives associatives séparatistes, ou de situations de vulnérabilité dont profiteraient des « gourous » ou « coachs » en tout genre. Ce rapport pointe aussi directement les réseaux sociaux comme principaux accélérateurs de ces « dérives sectaires ».
Sonia Backès (@SoniaBackes) annonce que le gouvernement va organiser des "assises des dérives sectaires et du complotisme" pic.twitter.com/JeAry36QNC
— BFMTV (@BFMTV) November 2, 2022
Dans ce rapport, la notion de complotisme est abordée en ces termes dans la seconde partie : « Le complotisme est un mode de pensée antisystème qui s’appuie sur des arguments non falsifiables, c’est-à-dire qu’ils ne peuvent être ni prouvés ni récusés, ou sur une vérité partielle, soumise à une interprétation rationnelle mais erronée (…) À ces biais cognitifs, une explication sociologique peut également être avancée. En effet, d’un point de vue sociopolitique, les théories complotistes constituent un discours de revanche contre les élites et contre le système socio-économique dans lequel l’individu vit. Plus celui-ci est indigné de sa situation, plus il trouvera un écho à sa colère dans le complotisme. Si le système est perçu comme injuste, la théorie venant le discréditer sera accueillie positivement. Plus généralement, le manque de confiance dans les élites dirigeantes et le sentiment d’une prétendue opacité de la vie publique ébranlent fortement la confiance de l’individu envers les institutions. Celles-ci sont alors considérées comme immorales et illégitimes« .
« D’un point de vue sociopolitique, les théories complotistes constituent un discours de revanche contre les élites et contre le système socio-économique dans lequel l’individu vit. Plus celui-ci est indigné de sa situation, plus il trouvera un écho à sa colère dans le complotisme »
Néanmoins, les auteurs de ce rapport se dépêchent de préciser que : « il convient tout de même de souligner que chacun peut déterminer lui-même le contenu de ses représentations intellectuelles et politiques. Tout individu a le droit de douter, de s’interroger, surtout en cette période de crise sanitaire doublée d’une crise sociale. Cela relève de la liberté de pensée garantie tout aussi bien par l’article 10 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen que par l’article 9 de la convention européenne des droits de l’homme. L’État se doit donc de respecter une neutralité pour permettre l’exercice de cette liberté, y compris lorsqu’il fait l’objet de critiques. »
Enfin, la MIVILUDES s’empresse de préciser que « l’adhésion aux thèses complotistes relève donc d’abord de la croyance. La MIVILUDES ne les juge aucunement et n’a pas compétence pour les valider ou les certifier » mais estime dans un second temps que « ce sont donc uniquement les conséquences préjudiciables sur les individus que ces croyances peuvent engendrer qui sont seules répréhensibles et sanctionnables en droit, et sur lesquelles la MIVILUDES a autorité pour révéler leur dangerosité. Ainsi, s’il est vrai que toutes les théories du complot ne sont pas dangereuses, certaines peuvent toutefois présenter des risques pour la
population. »
Poussant plus loin l’étude de ce rapport, on peut noter dans le tableau page 38 qui fait « état des principaux sujets d’inquiétude relevés dans les saisines traitées par la MIVILUDES en 2021 » apparaît la notion d’antivax qui auraient déclenché 148 saisines arrivant ainsi en 3ème position après la santé et le développement personnel.
En l’état, ,ce rapport entretient volontairement un flou sur les notions de dérives sectaires et de complotisme qu’il tente d’articuler pour accentuer l’urgence à agir, à légiférer, à réguler et en creux à permettre à la justice de saisir plus fermement « un enjeu majeur de santé publique et de lutte contre le séparatisme » pour lequel s’inquiète la Secrétaire d’Etat, Sonia Backes. Dans ce rapport, on notera aussi que le fait de critiquer la société dans laquelle on évolue, contester les décisions d’un gouvernement ou déplorer la situation économique du pays pourrait constituer une dérive vers le complotisme.
« Dans ce rapport, on notera aussi que le fait de critiquer la société dans laquelle on évolue, contester les décisions d’un gouvernement ou déplorer la situation économique du pays pourrait constituer une dérive vers le complotisme »
A la lecture de ce rapport, il n’apparaît clairement aucune frontière bien définie entre la liberté de pensée garantie tout aussi bien par l’article 10 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen que par l’article 9 de la convention européenne des droits de l’homme, et l’accusation de complotisme. Cet aspect n’est d’ailleurs pas abordé dans le cadre de la liberté d’informer. Si un média décide de publier un article sur un sujet sanitaire pour poser une série de questions : est-ce une volonté de complotisme pour « tromper ses lecteurs » ou tenter de fouiller un sujet pour comprendre et obliger l’Etat à se justifier sur les décisions prises et les actions engagées ? Dans ce rapport, cette réponse cruciale et fondamentale pour la liberté de pensée est absente et laisse une nouvelle fois la porte grande ouverte pour une foule de questions, dont les réponses peuvent générer légitimement des inquiétudes profondes.
https://twitter.com/SoniaBackes/status/1587882928473866240?s=20&t=GSkkJR-uIkCk3-jhP5y1oA