Comment avez-vous analysé le discours d’Emmanuel Macron à Borne-Les-Mimosas ce 19 août qui a évoqué le fait de « payer le prix de la liberté » ? Le considérez-vous comme inquiétant ?
Sur le fond comme sur la forme, cette déclaration du Président Macron est pour l’Opinion publique inquiétante en ce que ; loin de baliser la rentrée, de faire Récit sur ce qui se passe et sur les principes qui animent le représentant de la Nation, elle accroît l’incertitude sur le moment actuel et les intentions présidentielles.
Le Président s’est adossé sur le passé pour parler du présent alors que les situations sont différentes. Il a saisi l’occasion de son discours rituel de commémoration du débarquement de Provence et de libération de Bormes les Mimosas qui jouxte le fort de Brégançon, pour tracer une continuité mémorielle entre l’esprit de sacrifice des Français et des peuples libres contre le nazisme, ceux qui au quotidien préservent aujourd’hui nos vies comme les soldats du feu ou les soignants, et enfin l’Europe et ses peuples face à l’impérialisme russe en Ukraine appelant notre peuple à « payer le prix de la liberté »
« Cette déclaration du Président Macron est pour l’Opinion publique inquiétante en ce que ; loin de baliser la rentrée, de faire Récit sur ce qui se passe et sur les principes qui animent le représentant de la Nation, elle accroît l’incertitude sur le moment actuel et les intentions présidentielles »
Le Président a parlé par ellipses. Les médias ont rapporté du discours quelques phrases, mais son entièreté ne dissipe pas le sentiment lunaire du propos.
Dans le moment que nous vivons, dans lequel, les dirigeants occidentaux s’agitent en gestionnaires somnambules alors que le cours des choses est animé par des forces telluriques qui remontent du fond de l’Histoire ; il faut bien tenter de rendre raison de la singularité de la période politique qui a peu à voir avec la seconde guerre mondiale.
Nous vivions un choc politique entre démocraties libérales et totalitarismes. Aujourd’hui c’est le politique, la démocratie, la souveraineté nationale qui se dilue au sein d’une Union européenne néolibérale au moment du choc de souveraineté de la jeune nation ukrainienne face l’empire qui a précédé la nation russe. Il faut remettre en perspective ce que vivent et perçoivent les Français reliés ensembles depuis des siècles par l’État et le politique.
« Dans le moment que nous vivons, dans lequel, les dirigeants occidentaux s’agitent en gestionnaires somnambules alors que le cours des choses est animé par des forces telluriques qui remontent du fond de l’Histoire »
Rappelons d’abord que la Présidentielle qui doit réactiver ce qui nous permet de nous réapproprier collectivement le réel, notre Imaginaire, au travers de d’une dispute politique commune, a été le fait, non de la nation, mais de circonstances extérieures inquiétantes ; la pandémie et de la guerre en Ukraine.
Le Président sortant a profité de cette situation. Il semblait le plus à même à faire face. En tout cas le pays n’allait pas rajouter aux peurs et incertitudes diverses et généralisées, l’incertitude politique.
Mais cette réélection s’est effectuée du fait des circonstances sans contrat politique construit entre le nouveau Président et la nation.
Cela explique qu’au moment des législatives où le Président doit demander aux Français la majorité nécessaire pour gouverner et mettre en place son projet, il s’est tenu coi laissant Jean-Luc Mélenchon occuper le terrain du verbe et Marine Le Pen continuer à progresser. Au total, les incertitudes et peurs ont permis au Président de l’emporter ; mais elles l’empêchent de gouverner de façon stable.
Emmanuel Macron excelle dans le mouvement, l’adaptation permanente que porte le néolibéralisme alors que le tragique, les guerres économiques et militaires appellent continuité, cohérence et stratégie indexés l’Imaginaires des peuples. Là réside la raison intime et inavouable du retour des guerres.
Le 14 juillet, le Président a voulu reprendre l’initiative en faisant comme si cette contradiction séminale de son second mandat n’avait pas éclaté au grand jour, comme si rien n’était advenu. Mais c’est advenu. Emmanuel Macron est non plus l’incarnation de la nation mais sa représentation dont la symbolique émoussée est dorénavant disputée par la nouvelle nature du Parlement au plan intérieur alors qu’à l’extérieur dans un moment où les marchandages et confrontations entre puissances étrangères, empires ou petites nations, dépendent de leurs forces indexées sur l’incarnation de leurs dirigeants, de leurs dépendances à leurs peuples, de leurs cohérences.
Le Président Macron convoque encore de temps en temps les mots de la France et de la République, réactive leurs mémoires qui parlent à la nation pour faire tendanciellement l’inverse au gré des logiques gestionnaires du sommet de l’État indexés sur Bruxelles et les intérêts des classes dirigeantes.
« Le Président Macron convoque encore de temps en temps les mots de la France et de la République, réactive leurs mémoires qui parlent à la nation pour faire tendanciellement l’inverse au gré des logiques gestionnaires du sommet de l’État indexés sur Bruxelles et les intérêts des classes dirigeantes »
Comment en est-on arrivé là ?
Le Président Macron qui avait déclaré durant le premier Congrès en 2017 « Le premier mandat que m’ont confié les Français est de restaurer la souveraineté de la nation » a échoué.
Il pensait essentiellement à la souveraineté populaire alors que le sujet est, selon moi, la souveraineté nationale qui en est la condition.
Il voulait pour remettre « en marche » la France en initiant une « révolution » contre « l’ancien monde » et le « système politique », l’« anachronique clivage Gauche/ Droite » …
Or la crise du système politique n’est pas la cause de notre malheur mais son effet. Notre malheur vient de ce que l’État dorénavant indexé sur le néolibéralisme de Bruxelles se retourne contre la nation en lui demandant de se soumettre à des règles économiques alors qu’elle se déploie en se projetant dans des visions politiques. C’est cette contradiction existentielle l’abandon de de la souveraineté nationale qui occasionne la crise du système politique. Ce dernier n’est que la variable d’ajustement entre l’État et la nation.
C’est que l’Imaginaire français est projectif dans l’espace et le temps, dans des projets et incarnations politiques, d’où notre universalisme de sorte que la souveraineté populaire est, chez nous, gagée sur la souveraineté nationale.
Or cette dernière est contournée par le néolibéralisme de l’Union européenne relayé par le sommet de l’État et les classes dirigeantes.
Le « en même temps » macronien : « souveraineté nationale » et « souveraineté européenne » aura achevé d’épuiser notre modèle et génie d’où notre dépression morale, nos régressions politique et notre déclin économique et social.
Notre pays est à genoux et les Français livrés à eux-mêmes au moment où le Président convoque lapidairement et laconiquement les Français pour leurs mobilisations et sacrifices suites aux effets énergétiques des sanctions économiques de l’Union européenne après l’invasion de l’Ukraine par la Russie de Poutine.
Dans ce contexte, après tant d’ambiguïtés et volte-face présidentielles, le fait que le Président Macron ne définisse ni ce qu’est selon lui la liberté ni son prix apparait comme une insoutenable légèreté, une esquive.
« Le « en même temps » macronien : « souveraineté nationale » et « souveraineté européenne » aura achevé d’épuiser notre modèle et génie d’où notre dépression morale, nos régressions politique et notre déclin économique et social »
Au vu de la solennité du ton et de la gravité du sujet, l’impression qu’Emmanuel Macron décide seul est plus que jamais éclatante alors même qu’il parle de souveraineté. Avons-nous atteint les limites de la démocratie pour Emmanuel Macron ? Si oui, comment l’expliquez-vous?
Les Français n’attendent pas du Président de ne pouvoir prévoir ce qui va advenir, ils lui reprochent de ne pas dire là où il souhaiterait que la France aille.
L’inquiétude c’est non qu’il tienne des choses secrètes mais que le roi soit nu.
Si la démocratie est le pouvoir du peuple, par le peuple, pour le peuple, ce dernier a le sentiment très majoritairement que ce n’est plus lui qui décide des grandes questions.
Depuis le milieu de années 1990 dans les études d’opinion, après la chute du mur de Berlin et avec le capitalisme financier, prévaut pour deux français sur trois que ce ne sont plus les politiques, mais les marchés et puissances économiques qui détiennent dorénavant le pouvoir.
La solitude du pouvoir, le fait de ne pas rendre des comptes est alors perçu non comme la marque d’une toute puissance des gouvernants sur le peuple mais comme leurs inféodations à des oligarchies économiques, aux marchés et intérêts transnationaux.
Selon vous, de quelle liberté parle Emmanuel Macron, qui semble si chère à ses yeux qu’il faudra que les « Français acceptent d’en payer le prix »?
Il fait référence au respect du droit international, au droit de la petite nation ukrainienne émergente depuis les évènements de Maïdan de pouvoir exister au sein de l’espace historique de l’empire russe.
Il met en exergue le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, de la souveraineté nationale au moment ou au sein de l’Union européenne elle est remise en cause. Le cas polonais est révélateur. Ses dirigeants voient leurs prérogatives nationales rognées par l’Union au moment où elle est en première ligne face à la Russie de Poutine. Enfin il faut le mentionner, si prix ii y a, et il risque d’être très lourd se pose la question immanquablement la question de son consentement qui dépend également de la question de l’efficace et juste répartition des efforts entre catégories sociales. Aujourd’hui nous sommes loin du compte.
Sur votre compte Facebook, vous avez réagi aux déclarations du chef de l’Etat par ces mots : « Quelle « liberté » ? Celles intermittentes définies selon les intérêts par Washington ? Bruxelles ? Berlin ? Moscou ? Les Gafam ? Davos ? Il ne peut y avoir de liberté sans maîtrise de son destin. » Vous semblez dire que la liberté des Français ne leur appartient plus. Dans quelles mesures?
La liberté c’est le droit d’un peuple de décider de son destin, c’est la souveraineté nationale. Or elle est au sein de l’Union européenne elle est niée et contournée.
Ainsi, pour ne prendre qu’un exemple, le traité de Lisbonne a repris les principales dispositions du Traité Constitutionnel européen largement repoussé par les Français lors du référendum en 2005.
Il fut repoussé car justement il semblait priver les peuples d’un contrôle démocratique sur le cours des choses. La directive Bolkestein qui vit le basculement très brutal des intentions de vote vers le NON -que dirigeant de l’Institut CSA je fus le premier à mesurer dans la stupeur du paris politico-médiatique – apparaissait comme la preuve que l’Union européenne élargie n’ était pas le gage d’une Europe puissance pesant dans la mondialisation, mais au contraire le « cheval de Troie » de la globalisation néolibérale et de ses instances de gouvernances transnationales et au sein de ses nations démocratiques solidifiant des rapports sociaux stables.
« La directive Bolkestein qui vit le basculement très brutal des intentions de vote vers le NON apparaissait comme la preuve que l’Union européenne élargie n’ était pas le gage d’une Europe puissance pesant dans la mondialisation, mais au contraire le « cheval de Troye » de la globalisation néolibérale »
Les Français et autres peuples européens ont-ils été sollicités d’une quelconque façon pour prévenir la guerre en Ukraine prévisible et prévue, d’abord par de hauts responsables américains ? Ont-ils été les acteurs ou sollicités à propos de la nature des aides à Kiev et sanctions contre Moscou ?
Non, les décisions ont été prises dans des antichambres à Washington, Kiev, Londres, Bruxelles, Berlin et Paris face à Poutine.
L’Europe n’est pas maitre de son destin car ses institutions ne sont pas adaptées au génie européen qui est, depuis « Mare Nostrum » de faire de la diversité culturelle de ses peuples du commun et non de l’unique, de l’uniforme technocratique qui se retourne contre les fondements de l’Europe ; ses peuples.
Cette gouvernance néolibérale a été instrumentalisée par les dirigeants européens pour s’irresponsabiliser économiquement et socialement face à leurs peuples, elle se retourne maintenant contre l’Europe elle-même.
L’Europe sort de l’Histoire. L’Union européenne a plus été un supplétif du conflit entre Washington et Moscou avec la Chine en arrière-plan, et non un acteur.
Les principes et valeurs démocratiques ont été mobilisées de façon intermittente par les grandes puissances occidentales et les Américains depuis la chute du mur de Berlin.
« Cette gouvernance néolibérale a été instrumentalisée par les dirigeants européens pour s’irresponsabiliser économiquement et socialement face à leurs peuples, elle se retourne maintenant contre l’Europe elle-même »
Il ne pourrait s’agir là que de morale politique. Il n’en est rien. En matière de conflits, de guerre économique ou militaire, en démocratie, la question des buts de guerre et cohérence entre les fins et moyens sont décisifs pour bénéficier de la mobilisation ou du consentement.
Les régimes autoritaires, ou les dictatures sont-eux indexés sur le seul caractère archaïque de leurs Imaginaires et sont prêts à payer le prix du sang dans une extrême servitude volontaire de leurs peuples.
En tout état de causes, un peuple est prêt à de grands sacrifices que lorsque sa souveraineté est en jeu.
Voici ce que nous apprend entre autres, la petite nation ukrainienne, l’attitude et l’invasion de l’empire russe dans son moment poutinien. Le Président Macron ne pourra se dérober à cet enjeu existentiel et à en dénouer les contradictions au risque de grands désordres.