Zemmour 2022 : comment tourner la page ?
Tribune d’Henri Feng, Docteur en histoire de la philosophie
Si elle est élue Présidente de la République française le 24 avril prochain, Marine Le Pen entend permettre l’organisation de référendums d’initiatives citoyennes, en plaidant également en faveur d’une dose de proportionnelle aux élections législatives sur la base d’un septennat unique (annonce du 12 avril). Non sans un sentiment de revanche face au Président Macron, celui-ci ayant fini en tête du scrutin du 10 avril (premier tour), avec plus de 27% des suffrages exprimés (plus de 26% d’abstention !). Pourtant, avec plus de 23%, la candidate du Rassemblement national est passée à deux doigts de l’élimination, Jean-luc Mélenchon ayant réalisé son meilleur score après trois tentatives en l’espèce : 22% ! La faute à Éric Zemmour d’abord (7,07%), et à Nicolas Dupont-Aignan dans une moindre mesure (plus de 2,06%). Bien que l’électorat de l’ancien journaliste du Figaro soit essentiellement conservateur, une sociologie souvent éloignée des classes populaires. De fait, Zemmour a coché toutes les cases de ce qu’il ne faut jamais faire dans une présidentielle, tant sur le fond que sur la forme.
En voulant doubler MLP sur sa droite, « le Z » (dixit ses fans) a rassemblé un camp libéral-national, peu hostile à la technostructure bruxello-berlinoise. Une stratégie basée uniquement sur le sociétal ou le culturel, le tout allant de pair avec la fin de la politique. Sur l’identité, contre la souveraineté, au point d’adopter même les méthodes du bloc libéral-sociétal. En effet, Zemmour a fini par trouver des vertus aux crypto-monnaies ! D’où, aussi, un surinvestissement sur la Toile, comme si la réalité virtuelle était la seule. Une campagne 2.0 dans laquelle « Z » n’a jamais pu se dépasser, incarner une transcendance, une verticalité. Ainsi, un total hors-sujet eu égard à la tiers-mondisation de notre pays (stagflation, précarisation, coupures de courant à venir, etc.). Tragiquement, il ne pouvait pas séduire la ménagère de moins de 50 ans, la fameuse « responsable des achats ».
Comment peut-on ne pas voir le retour de la lutte des classes, notamment depuis l’irruption des gilets jaunes ? Comment ne pas sentir le mépris des chefs d’entreprise, des cadres supérieurs et des retraités ? Des votants, et non pas des militants, de purs consommateurs qui provoquent une indéfinie volatilité des voix. Clairement, ce scrutin a rappelé la division de l’Hexagone en deux zones : celle des centres-villes, des villages de libéraux-libertaires, bobos-écolos, dégenrés, indigénistes, fréristes, puis celle des petites communes habitées par des citoyens enracinés, des âmes sociales-nationales. Forcément, des perdants face à la stratégie de l’offre, qui génère l’aliénation en rendant les masses dépendantes d’une valeur ou d’une marchandise, choses dont personne n’avait nullement besoin initialement (euro, internet, smartphone, PMA, etc.). L’innovation, qui fait la peau au travailleur-propriétaire. Le progrès contre les sciences humaines (philosophie, histoire, sociologie, entre autres), celles qui peuvent manifester la vérité de l’homme. Une politique quantique, qui passe, au gré des circonstances, de l’état liquide à l’état solide, tantôt vaporeuse tantôt tranchante. L’oligarchie qui provoque, directement ou indirectement, des crises multiples pour conserver son pouvoir. Une gouvernance mondiale. Alors, qui pourra répondre aux questions de sûreté numérique, de financiarisation des activités, d’abêtissement des esprits et de transhumanisation des mentalités ?