Présidentielles, pourquoi les sondages d’opinion se trompent !
Tribune de Jean-Pierre Marongiu, fondateur et directeur général du G.R.E.S
Omniprésents, parfois omniscients, interprétés et disséqués jusqu’au désintérêt, les sondages d’opinion façonnent et déstabilisent la campagne présidentielle. 31% des Français sont indécis à une semaine du premier tour. Le taux d’abstention estimé à 28% sera l’élément déterminant de l’élection présidentielle.
«Il y a quelques siècles, un rebelle gaulois, Vercingétorix, infligea une défaite magistrale à Jules César… qui était pourtant le favori des sondages ! » François Fillon.
Comment fabrique-t-on un sondage ? Sont-ils fiables ? représentent-ils l’opinion ou l’influencent-ils ?
Le nombre de sondages est exponentiel, on sonde pour tout et pour rien : pour ou contre Poutine, la mondialisation ou le souverainisme, les pains au chocolat ou la chocolatine, Deschamps ou Zidane… Tout le monde veut son sondage et le véritable problème réside en cela. Les partis politiques sont friands de sondage démontrant le bien-fondé de leurs opinions et dénigrant ceux qui leur sont défavorables. Les actionnaires des organismes de sondage ont beau promettre la neutralité, il suffit de prêter attention à leur orientation politique pour connaitre le résultat de certaines enquêtes d’opinion.
« Omniprésents, parfois omniscients, interprétés et disséqués jusqu’au désintérêt, les sondages d’opinion façonnent et déstabilisent la campagne présidentielle »
1. Les biais des sondés… et des sondeurs
Qui sont les sondés ? La plupart des entreprises de sondage disposent d’accès panels. Il s’agit de listes, constituées en ligne, de volontaires certains de leur choix, des militants la plupart du temps. Cette inscription au volontariat exclut certaines catégories, comme les personnes âgées victimes de la fracture numérique, les indifférents à la politique qui ne feront jamais la démarche de s’inscrire à un sondage, les antisystèmes qui d’évidence rejettent toute forme de statistiques, les classes populaires, le monde rural…
De fait pour qu’un sondage soit représentatif, il est nécessaire de compenser voire de redresser les résultats. Les organismes sondeurs s’appuient sur un taux d’abstention estimé et sur les sondages précédents. Ces calculs de redressement ne sont jamais parfaits. Comment le pourraient-ils puisqu’il s’agit de corriger arbitrairement les données collectées ? Le processus de redressement fait partie de la magie interne des entreprises et de la satisfaction du donneur d’ordre.
Même réalisés avec objectivité, les calculs de redressement sont impossibles à quantifier quand surgit un nouveau parti, quand un taux d’abstention est trop important, quand le taux des indécis dépasse 10 % et quand l’actualité fluctue au quotidien.
Les biais évidents des méthodologies des instituts de sondage
1- Poser les mauvaises questions
2- Sonder les mauvaises personnes
3- Utiliser une méthode de collecte de données exclusive
4- Interprétation biaisée liée à la satisfaction du client.
Quant aux sondeurs eux-mêmes, ils ont leurs propres biais. Il existe un nombre restreint de personnes, 120 personnes pour les 10 principaux instituts français. Ces experts du sondage sont très majoritairement diplômés du supérieur avec 90 % d’entre eux à bac + 5 et un tiers qui sort d’une école de sciences politiques. C’est ce profil élitiste qui détermine les questions qu’ils se posent et la façon de les poser. Mais plus que cela, c’est leur idéologie qui est forgée dès l’université.
« C’est le profil élitiste des sondeurs qui détermine les questions qu’ils se posent et la façon de les poser. Mais plus que cela, c’est leur idéologie qui est forgée dès l’université »
L’incompréhension des classes populaires au jargon technocratique est source de confusion dans les réponses. Les résultats se bornent souvent à quelques punchlines sans évaluer les diverses sensibilités et les réponses paradoxales.
« Les sondages, c’est pour que les gens sachent ce qu’ils pensent » Coluche
Un exemple avec un sondage de l’IFOP : 52% des Français convaincus par certains arguments russes dans cette guerre en Ukraine
En réalité, 52% des sondés croient à l’une des thèses russes sur l’origine de la guerre en Ukraine. 28% pensent que l’intervention russe est soutenue par des Ukrainiens russophones souhaitant se libérer des persécutions qu’ils subissent. Et 10% disent croire que « l’Ukraine est gouvernée actuellement par une junte infiltrée par des mouvements néonazis ».
Croire en une des assertions de Vladimir Poutine et soutenir l’invasion de l’Ukraine sont deux positions diamétralement éloignées du raccourci de certains médias laissant croire, sans le dire que 52 % des Français seraient Pro-Poutine.
Qui a été sondé pour cette étude, qui l’a payée, qui la diffuse et quelle interprétation en a été faite ?
Autant de questions qui varient en fonction des opinions suggérées par les médias et leur ligne éditoriale.
Car le sondé, quand il existe (en effet rien n’empêche un sondeur d’inventer des données), se complait dans une volatilité de son opinion. La vérité d’aujourd’hui n’étant pas celle du lendemain. La priorisation d’un fait d’actualité par les médias plutôt qu’un autre oriente en temps réel l’opinion du sondé indécis.
Quid de la marge d’erreur ?
Comment intégrer la volatilité des votes qui ne représente qu’un instantané d’une opinion ?
Faut-il prendre en compte les réponses incertaines au même titre que les réponses certaines ? Des instituts comme IPSOS ou IFOP éliminent les réponses les plus incertaines ou extrêmes, ce qui conduit à une évaluation tronquée.
Combien coûte un sondage politique ?
En règle générale, la question d’opinion est vendue 1.000 euros.
L’optimisation des enquêtes omnibus dévoie le résultat des questions d’opinion. Typiquement, le sondage politique ne coûte que quelques milliers d’euros. Car les questions seront glissées dans un « omnibus », c’est-à-dire qu’elles feront partie d’une liste de questions sur des sujets variés posées à un même citoyen consommateur. Le sondé sera d’abord interrogé sur un service bancaire ou un yaourt, puis sur ses préférences politiques ! « C’est une mutualisation qui permet à beaucoup d’entreprises de bénéficier d’une étude de notoriété« , explique Gérard Lopez de BVA. Chez BVA, trois questions posées à 1.000 personnes coûteront entre 2.000 et 3.000 euros. Pour TNS SOFRES, la question est facturée 1.000 euros.
À contrario, une étude internationale et pluriannuelle dépasse allégrement le million d’euros. En 2004, TNS Sofres a ainsi décroché la réalisation de l’Eurobaromètre, commandé pour quatre ans par la Commission européenne pour mesurer l’opinion des Européens. Il est question de « plusieurs millions d’euros » pour « le plus gros contrat d’étude d’opinion du monde ».
La fréquence et la multiplicité des sondages suivent une courbe ascensionnelle effrayante. Les médias en raffolent, ils obsèdent les partis au point de créer l’opinion.
Nombre d’électeurs indécis votent en fonction des sondages pour faire partie des vainqueurs. Ce n’est pas le sondé qui fournit l’information, mais le résultat du sondage qui modèle son opinion. D’où la valse-hésitation qui se danse jusque devant les urnes ?
Le réservoir de votes cachés.
Les sondeurs consultés récemment déclarent en privé être totalement perdus pour cette élection sans nulle autre pareille. Le candidat Zemmour a totalement perturbé les systèmes de sondage, recordman de l’audience et des meetings d’une part, franchement clivant et détesté des médias de l’autre. D’abord largement surestimé à dessein pour minorer les scores de Marine Le Pen, puis lourdement diminué devant la dynamique populaire d’un candidat hors système. Il existe un réservoir de votes honteux, cachés ou non assumés difficile à évaluer.
« On est loin de l’objectivité et très proche de la manipulation d’opinion »
Le pronostic d’un duel de second tour Macron Le Pen ayant la faveur des médias qui martèlent depuis des mois cette hypothèse comme un commandement s’adressant aux indécis et aux abstentionnistes. On est loin de l’objectivité et très proche de la manipulation d’opinion.
Les sondages concernant cette élection présidentielle ne peuvent que se tromper : parce que 41 % des Français n’attendent pas grand-chose de cette élection, parce que 40% considèrent que les jeux sont faits, parce que 30% pensent que leur vote ne compte pas, parce que 29% ne trouvent pas dans l’offre politique un candidat qui les représente et parce que 6% des Français ne votent jamais.