Zemmour 2022 : une élection pour rien ?

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Tribune d’Henri Feng, Docteur en histoire de la philosophie

Sur un plan strictement sondagier, la candidature d’Éric Zemmour à la présidence de la République patine : entre 12 et 15% au premier tour. Pourtant, beaucoup continuent de voir en elle un espoir pour le pays. Dans ce cas, pourquoi, cela ne se traduit-il pas dans les enquêtes d’opinion, hormis le fait que l’abstention n’est toujours pas évaluée comme il se doit, abstention qui risque d’être massive le 10 avril prochain ? Car comment ne pas sentir la fin du pouvoir politique ? Une parole publique totalement démonétisée. En l’occurrence, comment ne pas être déçu après avoir lu Le Suicide français (2014) et Destins français (2018) ?

En effet, l’essayiste a désolé son entourage, le 14 janvier, à l’issue d’une réunion avec des enseignants, à Honnecourt-sur-Escaut (Nord), en disant : « Je pense que l’obsession de l’inclusion est une mauvaise manière faite aux autres enfants et à ces enfants-là, qui sont les pauvres, complètement dépassés par les autres enfants. Donc je pense qu’il faut des enseignants spécialisés qui s’en occupent ». Après quoi, ses équipes ont dû réaliser une opération de communication de 48 heures pour préciser ses propos, d’autant plus que ceux-ci touchaient majoritairement son propre électorat, des catholiques traditionnalistes attachés aux valeurs de bienveillance, d’empathie et de solidarité.

Voilà qui est tragique au moment où le tournant que Zemmour souhaitait est advenu : les ralliements de ses amis, Philippe de Villiers (ancien ministre, opposant à la Commission européenne) et Patrick Buisson (ancien conseiller, entre autres, du Président Sarkozy), puis ceux de Guillaume Peltier (député et ancien vice-président des Républicains), de Jérôme Rivière et de Gilbert Collard (eurodéputés Rassemblement National). D’autres, surtout des seconds couteaux et du RN et de LR, rejoindront nécessairement cette start-up électorale, en ayant en ligne de mire une carte à jouer à l’occasion des législatives. Des ralliements qui ne font que masquer partiellement les impasses idéologiques du candidat de « l’union des droites », malgré même sa vaillance contre la gauche sociétale, qui ne lui fera aucun cadeau, ni par voie de presse ni par la voie judiciaire. Une vive tension depuis son meeting du 5 décembre, à Villepinte, où il n’a pas démérité : une capacité nouvelle à discourir devant deux prompteurs – ceux que les Américains avaient conçus au temps de Bill Clinton, et qui avaient jalonné la campagne présidentielle de Jacques Chirac en 2002 –, qui plus est avec des lunettes pour se donner un air plus docte.

 

« Des ralliements qui ne font que masquer partiellement les impasses idéologiques du candidat de « l’union des droites », malgré même sa vaillance contre la gauche sociétale, qui ne lui fera aucun cadeau, ni par voie de presse ni par la voie judiciaire »

 

Certes, mais les maladresses et les erreurs se sont accumulées : au Salon Milipol (le 20 octobre), devant le Bataclan (le 13 novembre), à Marseille (le 27 novembre), etc. Puis une assignation pour « contrefaçon de droit d’auteur » (suite à l’annonce de sa candidature sur YouTube, le 30 novembre)… Par ailleurs, une non compréhension criante de la pandémie de Covid-19 : confinements pas confinements, QR Code pas QR Code… Sans compter sa déclaration de guerre (métapolitique) aux journalistes, le 10 janvier. Des approches managériales pour celui qui était, autrefois, si proche du « gaullisme social ». D’où sa sous-estimation du vote de classe. La stratégie du « gros rouge qui tâche », du « faire peuple », celle du Sarkozy de 2007, qui a vécu : les bonnets rouges, gilets jaunes et autres ne se feront plus avoir. Franchement, des couacs qui montrent plus une pompeuse ambition personnelle qu’une humble ambition nationale. Itinéraire d’un enfant de la télé depuis la publication du Premier sexe (2006). « Un pouvoir nommé désir » pour celui qui traitait volontiers le Président Sarkozy d’ « adolescent attardé », en se moquant de sa dépendance à Cécilia d’abord, puis à Carla ensuite. Ou quand le zemmourisme tend à être l’exact point symétrique du macronisme. La revendication d’une « part d’enfance », selon le candidat libéral-conservateur. Une contradiction chez celui qui passe pour être le grand admirateur de Napoléon Bonaparte, la synthèse entre Louis XIV et Robespierre.

 

 

« La stratégie du « gros rouge qui tâche », du « faire peuple », celle du Sarkozy de 2007, qui a vécu : les bonnets rouges, gilets jaunes et autres ne se feront plus avoir. Franchement, des couacs qui montrent plus une pompeuse ambition personnelle qu’une humble ambition nationale »

 

 

Au final, l’annihilation de la souveraineté au nom de l’identité, alors que il ne saurait y avoir une quelconque identité sans souveraineté. Et quid sur le rétablissement de l’autorité, essentiellement celle de l’école, sans la refondation radicale du baccalauréat ? Autre point : l’ « Opération ronces » que l’éditorialiste avait évoquée en 2016 serait-elle réalisée ? Et que penser de sa ligne idéologique, libérale-conservatrice, voire libérale-nationale ? Avec le nom du parti, « Reconquête », avec ce « R » très singulier, signifiant la « reconquista » d’antan, mais pour que la République conserve une place en Grand dans un certain Orient… Un « en même temps ». Sociologiquement, Zemmour ne fait que glaner des électeurs de François Fillon de 2017 et non les classes populaires, les victimes de la globalisation dont l’abstention risque d’être déterminante, et bien qu’une partie d’entre elles reste fidèle à Marine Le Pen, la candidate du RN. Car comment pourrait-il les attirer puisqu’il ne veut rompre ni avec l’Union européenne ni avec l’euro, ces deux chevaux de Troie de la mondialisation financière et marchande ? Clairement, l’ancienne plume du Figaro feint d’ignorer qu’il n’est pas une norme, une règle ou une loi qui ne regarde le pays voisin, notamment une de nos capitales fédérales que sont Bruxelles, Berlin ou Washington. Ce qui explique les limites de sa politique économique : stimuler tant la demande (Keynes) que l’offre (Ricardo), le tout signifiant la perpétuelle soumission aux banques centrales (contre Hayek).

 

« Comment Eric Zemmour pourrait-il attirer les classes populaires puisqu’il ne veut rompre ni avec l’Union européenne ni avec l’euro, ces deux chevaux de Troie de la mondialisation financière et marchande ? »

 

Des limites, autrement dit des faiblesses. D’ailleurs, des sympathisants de la cause nationale ont reçu un courrier rédigé par son staff, et dont le mot d’ordre est le suivant : « Si vous êtes angoissé, comme moi, de voir la France disparaître, faites entendre votre voix, répondez à ce courrier et créons ensemble une vague immense pour sauver notre patrie ! » Pour obtenir des réponses à un questionnaire, non sans redite de la « démocratie participative » de Ségolène Royal (2007) ; non sans macronité dans la méthode. A priori, Zemmour ne veut pas renverser la table, le politique devant finalement contredire, voire effacer, l’intellectuel, l’auteur de Mélancolie française (2010), surtout le lecteur de Fractures françaises, du géographe Christophe Guilluy. Un européisme nouveau pour celui qui était un authentique souverainiste. Il sait, donc, que le référendum qu’il propose contre l’immigration de masse se heurtera aux juridictions européennes ainsi qu’aux plus hautes instances internationales. Et il fait fi des lobbies qui font la pluie et le mauvais temps en France depuis des décennies : banques d’affaires, cabinets de conseil, agences de renseignement, chefs (nord-)africains… Concrètement, compte-t-il faire la guerre aux trafiquants de cannabis, les sujets d’un allié soi-disant incontournable dans la lutte contre le djihadisme ? En outre, qu’il ait accepté de se rendre à l’émission « Face à baba » de Cyril Hanouna a de quoi désarçonner. Précisément, on ne peut que déplorer que l’ex-journaliste ait cédé aux injonctions de ses financiers et de ses communicants, en particulier de sa compagne Sarah Knafo, le véritable maître d’œuvre de toute cette opération médiatico-politique. Pour parler vrai, la stratégie du couple bien connue en démocratie libérale : Hollande/Royale, Bill/Hillary (Clinton), Kouchner/Ockrent, etc. Avec un programme qui n’est pas en phase avec les aspirations profondes des Français : Trump dans la forme, Orbán dans le fond. Bien que de sincères nationalistes, tel le mégrétiste Jean-Yves Le Gallou, composent le bureau politique de Reconquête. Mais comment nier le fait que la course présidentielle ait perdu toute sa substance, celle-ci ne se réduisant plus qu’à une course de petits chevaux, dont chacun fait l’objet d’une spéculation quasi-boursière ; Emmanuel Macron soutenu par Xavier Niel et Bernard Arnault, Éric Zemmour soutenu par Vincent Bolloré ?

 

« Comment nier le fait que la course présidentielle ait perdu toute sa substance, celle-ci ne se réduisant plus qu’à une course de petits chevaux, dont chacun fait l’objet d’une spéculation quasi-boursière ; Emmanuel Macron soutenu par Xavier Niel et Bernard Arnault, Éric Zemmour soutenu par Vincent Bolloré ? »

 

Conclusion : en dépit de la bonne volonté de nos chers turfistes, cette élection sera la moins déterminante pour notre avenir. Puisqu’il n’y a plus aucun levier du pouvoir à l’Élysée. Enfin, il n’y a pas le remplacement d’une population par une autre, mais celle de populations par beaucoup d’autres. Non pas de la dépossession, mais aussi bien des désappropriations que des expropriations. Entre la peur de l’homme (virus compris) et celle du climat. Autant d’angoisses que la fin des illusions démocratiques ne fait qu’exacerber. Voilà pourquoi, il est impératif de s’extirper du clivage macronien (social-libéral) entre progressistes et conservateurs, de repenser les convergences idéologiques ; par exemple, entre Barrès et Proudhon. Ce clivage n’étant pas dépassé par le libéral-conservatisme, et ne ravivant nullement l’espérance de ceux qui n’ont plus aucun intérêt à défendre dans un bureau de vote. Durablement, il y a le suffrage de quelques-uns d’un côté, puis la démission de la démocratie de l’autre. Une sécession et des partitions… Il y a urgence !

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