Kenneth White ou le panache de déblayer le monde

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On connait l’adresse de Cioran aux fouineurs : « Il est incroyable que la perspective d’avoir un biographe n’ait fait renoncer personne à avoir une vie ». A quelqu’un lui demandant pourquoi il ne racontait pas l’histoire de sa vie, Franz Liszt répondit : « c’est bien assez de la vivre». Robert Charlebois s’amuse simplement à caresser les critiques, ces « ratés sympathiques ».

Kenneth White a choisi de se préserver des deux mondes en livrant une autobiographie foisonnante de 463 pages, itinéraire d’un circumnavigateur parti de Glasgow pour relâcher en des lieux fondateurs ou propices à la fermentation de singularités, de l’Ardèche ensauvagée au nord du Japon, de Munich à Paris, des terres gelées du Labrador aux archipels tropicaux ébouriffés par la rose des quatre vents.
La prose sinue allègrement, au gré d’anecdotes parfois pittoresques, tel cet hommage aux staliniennes, repéré sur un mur de la cathédrale de Bayonne. En fusion ambulante, la  pensée jalonne un cheminement « dense comme une pierre, limpide comme une source », résolument à l’écart d’un grand remplacement philosophique du style tardif Université de French Caen Caen. Se dessine un paysage mental, cartographie de ce monde blanc qui attirera disciples et chercheurs de bonne fortune. White harangue son époque, à l’image du quatrième Henri avant la bataille d’Ivry. Certes, il est parfois sujet à la tentation de Narcisse, mais elle est souriante et donc soluble dans la jalousie. Il serait vain de la chercher dans les amusements de la littérature monde ou parmi les actuelles illuminations stevensoniennes de la tribu des arpenteurs d’escarpements, que la rencontre d’une ânesse encourage à tutoyer le ciel. La clé de FA du grand œuvre est à trouver dans les précieuses « Lettres de Gourgounel », fleuron de toute bibliothèque respectable.

Récit d’un retrait magique dans la montagne ardéchoise des années soixante, regardé comme une anomalie et un anachronisme, ce livre qui parle à la lune et donne envie de dormir sous un murier, toise superbement les petits maîtres du 2.0. Rééditées et toujours disponibles, confondantes de dépouillement lustral, les Lettres défient le pragmatisme ambiant et composent un bouquet de fleurs à retardement, appelées à poser les bases du projet géopoétique d’une refondation de la civilisation et de la culture.
De quoi donner à Arielle Dombasle, notre nouvelle Pénélope, l’envie d’ aller cueillir quelques myrtilles, sous la statue du penseur d’anodin …

« Entre deux mondes – autobiographie », Kenneth White, Le mot et le reste, 27 €
« Lettres de Gourgounel », Kenneth White, Grasset/Les Cahiers Rouges. 7,80 €

 

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