Gérard De Cortanze: « Louis XVI aujourd’hui aurait dialogué avec les Gilets Jaunes »

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« Louis XVI aujourd’hui serait aller dialoguer avec les gilets jaunes ! » Gérard de Cortanze réhabilite ce roi décapité à travers un voyage fascinant, lorsque ce roi lettré se rendit à Cherbourg le 21 juin 1786. Il y rencontra son peuple et se mit à rêver d’une société plus juste. Une épopée racontée avec talent et fort documentée qui nous fait découvrir un roi « révolutionnaire ».

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Celui qui décidé d’abolir l’esclavage, un roi humain, peu dépensier, prêt à une monarchie constitutionnelle. L’Histoire en a décidé autrement, mais il fallait le panache de Gérard de Cortanze pour rendre à Louis XVI, son honneur. Un roman brillant, passionnant, vivant, une plume qui s’apparente à celle d’Alexandre Dumas!

Comment vous est venue l’idée d’écrire un livre sur le voyage à Cherbourg de Louis XVI ?
De l’histoire de ce petit garçon – le futur Louis XVI – fasciné par les bateaux et la mer, et qui, montait chaque jour les terrasses de Versailles pour tenter d’apercevoir cette dernière. Il devra attendre trente-deux ans avant de voir son rêve se réaliser.

Pourquoi cet aspect méconnu de la vie de Louis XVI vous a-t-il passionné ?
Napoléon, prisonnier à Sainte-Hélène, ironisa sur ce qu’il appela « ce grand événement ». Madame de Campan, dans ses Mémoires, présente cette visite de louis XVI en Normandie comme la « démarche la plus marquante qu’il ait faite pendant son règne ». D’innombrables peintures, gravures, estampes et autres brochures attestent de l’indéniable triomphe de ce périple normand. Je reste persuadé que ce jeune roi qui, s’il avait vécu aussi vieux que Louis XVI, serait mort en 1831, aurait mis à profit les leçons de ce séjour et aurait réformé la France. Bouleversé par le spectacle de ces eaux tantôt calmes et tantôt déchaînées, par ce peuple qu’il avait enfin découvert, oui, je le répète, il s’était mis à rêver à une société plus juste, plus égalitaire – celle-là même qu’il évoque non seulement dans ses Maximes morales et politiques, mais surtout dans ses Réflexions, déjà citées, rédigées entre 1766 et 1769, alors qu’il avait entre 12 et 15 ans. Je le cite : « Tout ce que le père doit à ses enfants, le frère à ses frères, l’ami à son ami, le prince le doit à ses sujets, et toute action de la souveraineté doit être un bienfait pour l’humanité ».

 

« Bouleversé par le spectacle de ces eaux tantôt calmes et tantôt déchaînées, par ce peuple qu’il avait enfin découvert, il s’était mis à rêver à une société plus juste, plus égalitaire »

 

On connaît mal ce roi géographe et polyglotte, sa passion pour les cartes, les navires et les livres de Bougainville ou de Cook. Pourriez-vous nous en parler ?
C’est un fait, sous l’impulsion du comte de Maurepas, ancien secrétaire d’Etat à la Marine, le jeune prince avait étudié l’anatomie et la physique, mais surtout la géographie, une discipline dans laquelle il excelle. D’ailleurs, dans le portrait que l’abbé de Vemond dresse du dauphin en 1768, à l’intention de l’impératrice Marie-Thérèse, la mère de Marie-Antoinette, il note avec insistance : « La marine est son étude favorite », et ajoute : « il sait absolument tout de ce qu’on peut en savoir, mais sans la pratique. »
Voilà, nous y sommes : ce roi, qui est un cartographe hors pair, qui sait tout des navires et des monstres marins, qui a une parfaite connaissance des réalités nautiques, du régime des vents et des dernières découvertes scientifiques et techniques, n’a jamais embarqué sur un bateau ni vu la mer. Et, si l’on excepte le sacre de Reims en juin 1775, il n’a jamais effectué un seul déplacement en province.
Ses prédécesseurs, dans leur lutte contre l’Angleterre, ont certes fortifié les ports de la mer du Nord et de la Manche, mais Louis XVI a récupéré une Marine exsangue.
Voici quelques petits rappels. Le règne de Louis XIV, le Roi-Soleil, est assombri par la terrible défaite de Tourville face aux Anglais, à Saint-Vaast-La-Houghe, en 1692. Sans parler des crédits de la Marine qui sont rognés, jour après jour, à tel point qu’on assiste à l’inéluctable décadence du prestige maritime de la France. Le règne de Louis XV n’apporte aucune amélioration. Le maréchal de Villars, gouverneur de Provence écrit : « Je découvre avec douleur, les débris de notre flotte pourrissant dans les ports. » Lors de la guerre de Sept Ans – nous sommes en 1760 – l’Angleterre aligne plus de quatre cents vaisseaux, la France une soixantaine ! Trois ans plus tard, le 2 février 1763, le traité de Paris dépouille la France de l’Inde, du Canada, de l’Ohio, de la rive gauche du Mississipi, du Sénégal et de plusieurs îles des Antilles…
Il faut verser au crédit de Louis XVI ce prodige d’avoir su en quelques années faire de la marine française l’égale de la flotte anglaise. La Révolution se chargera de tout détruire…

 

 

« Il faut verser au crédit de Louis XVI ce prodige d’avoir su en quelques années faire de la marine française l’égale de la flotte anglaise. La Révolution se chargera de tout détruire… »

 

Est-ce seulement pour officialiser les travaux d’une digue et de fonder une base navale ou que le roi a entrepris ce voyage?
On l’a bien compris, le jeune Roi avait été traumatisé par le désastre de la Hougue, par les raids permanents des Anglais en terre normande. Ses victoires acquises, il poursuit son objectif et décide de faire de Cherbourg une base navale capable de protéger et de ravitailler d’importantes escadres et donc, au prix de travaux gigantesques pour l’époque, d’y aménager une rade équipée d’une digue puissante, de forts et de batteries.
Envisager de construire une digue en pleine mer, sur un fond sablonneux de quinze mètres de profondeur sans enrochement, est un pari hasardeux. Louis XVI, féru de sciences et de marine, après les premiers projets de 1777, déjà évoqués, confie cette tâche, en 1782, à Louis-Alexandre de Cessart. L’homme qui a atteint l’âge respectable pour l’époque de 63 ans est ingénieur des ponts et chaussées et s’est bâti une solide réputation dans le domaine maritime. La technique proposée est audacieuse. Louis-Alexandre de Cessart, prévoit l’immersion, à une lieue au large, de 90 gigantesques caisses en bois de chêne lestées de moellons et de mortier. Entre les sommets de ces pains de sucre, on tendra des chaînes et des filets d’acier. Le 6 juin 1784, un premier cône est posé avec succès. En mai 1786, le plus jeune frère du roi, le comte d’Artois préside à la mise en place du huitième. Ne serait-ce pas maintenant au Roi en personne de venir constater de ses propres yeux l’avancée de son « grand œuvre » ?

 

 

L’occasion est trop belle pour ne pas la saisir. Pourquoi, sous couvert d’une vérification de l’avancée des travaux ne pas aller voir ces flots déchaînés, qu’on dit peuplé de monstres marins et qui le font tant rêver depuis l’enfance, lui qui ne cessait de monter sur les toits et les terrasses du château de Versailles, faussant compagnie à celles et ceux chargés de son éducation ou de sa surveillance, pour essayer d’apercevoir la mer ?
Bien entendu, ni le clergé ni la noblesse, ni ce qu’on appelle les gens de robes – magistrats, notaires, avocats, juges, qui seront à l’origine du fiasco que constitue la réunion du Tiers état en juin 1789 – ne l’encouragent nullement à effectuer ce périple. N’est-ce pas courir le risque de voir le Roi rencontrer ce peuple avec lequel il pourrait avoir un contact direct, lui qui a déjà aboli le servage dans les domaines royaux et interdit la torture dans les procès criminels ! Ses conseillers font tout ce qui est en leur pouvoir pour lui faire changer d’avis. Le peuple de Normandie est pauvre, malpropre, parle à peine le français. Ces terres ne se sont-elles pas jadis ouvertes au protestantisme ? Ce sont territoires hostiles, terre de Vikings et de sorcières. Les lieux ont pour noms : Cave du Diable, Cul de l’ange déchu, Chaire de Satan, et les chemins vicinaux sont « dégradés » …

 

 

« N’est-ce pas courir le risque de voir le Roi rencontrer ce peuple avec lequel il pourrait avoir un contact direct, lui qui a déjà aboli le servage dans les domaines royaux et interdit la torture dans les procès criminels ! Ses conseillers font tout ce qui est en leur pouvoir pour lui faire changer d’avis »

 

 

Qu’est-ce qui vous a fasciné durant ce séjour à Cherbourg du roi ?
Ce voyage à Cherbourg, il souhaite l’effectuer presque « incognito », et cela contre l’avis de ses plus proches conseillers. Tous les arguments sont bons : la Normandie est une terre hostile sur laquelle plane le souvenir des invasions Vikings, une terre de sorcières qui accueillit le protestantisme, les Normands parlent à peine français, les chemins vicinaux sont dégradés ! En réalité, ils ne veulent pas qu’il aille au-devant de son peuple. Avec la mer, ce sera la grande révélation de ce voyage : le roi est populaire. Bouleversé par le spectacle de ces paysans, de ces ouvriers, de ces artisans, de ces marins, de ces femmes courageuses, il s’écrie, « je n’ai jamais mieux goûté le bonheur d’être roi que depuis que je suis à Cherbourg », et se met à conjecturer une société plus juste. Castries, son ministre de la Marine, note : « Le roi était ému de se sentir aimé ».

En quoi est-il un bouleversement à la fois des sens, mais aussi une découverte de la province, des petits métiers et du peuple pour le roi ?
Dès les premiers « villes, bourgs et villages » qu’il traverse les démonstrations de la ferveur populaire sont visibles. Louis XVI n’hésite pas à faire arrêter son convoi et à descendre de sa voiture. A Houdan, une femme lui enlace les genoux et fond en larmes. A Laigle, c’est une aubergiste qui l’embrasse. A Falaise, des jeunes filles couvrent son carrosse de fleurs. Et quand il arrive à Harcourt, alors que le jour est déjà sur son déclin, les arbres qui encadrent la route, sont couverts de grappes d’hommes et de femmes qui lancent des « Vive notre bon Roi ! » Lors du repas donné en son honneur, il gracie six déserteurs qui attendaient leur arrêt de mort dans la prison de Caen. A la fin de cette première journée, monsieur Letellier, maire d’Harfleur, conclut dans son Voyage de Louis XVI dans sa province de Normandie : « Son apparition excita la plus universelle sensation. Une foule immense accourue de tous les environs, lui faisant éprouver ces vives émotions que l’amour d’un peuple cause toujours si sûrement aux princes bien nés. »

On sait Louis XVI plus à l’aise avec les humbles qu’avec les courtisans qu’il déteste. Le lendemain, 22 juin, sur la route de Cherbourg, dédaignant le déjeuner royal prévu, pris du « plus piquant appétit », il fait arrêter tout le convoi dans une auberge, s’installe à la table commune et mange avec les paysans du pain de ménage, des œufs frais et du beurre sortie de la barate. Arrivé vers dix heures et demie du soir, le repos royal est de courte durée. Accueilli à l’abbaye de Chantereine, fondée par l’épouse de Guillaume Le Conquérant, mais désertée par les moines depuis 1775, il dîne frugalement et passe une nuit réparatrice mais très courte… Le lendemain, dès trois heures du matin, il entame une longue journée débutée par une messe. Vêtu d’un habit écarlate agrémenté de la broderie des lieutenants-généraux, entremêlée de lys de couleur d’or, il se rend sur le chantier des travaux, à bord d’un canot doré, manœuvré à la rame par une vingtaine de matelots vêtus de blanc et ceints d’une écharpe de laine rouge, tel que le montre la toile de beau format – 180 par 223 – peinte en 1817 par Louis-Philippe Crépin le célèbre peintre de marines. On raconte que tachant son habit de goudron, on lui propose d’en changer. « Non, dit-il, il ne me plaît que davantage. » Parlant à bâtons rompus avec les officiers et les hommes d’équipage, il répond à ceux-ci, surpris d’une telle familiarité : « Il faut bien que nous fassions connaissance ! »

Bientôt le canot aborde à l’un des cônes et la manœuvre peut commencer. Au son de la symphonie du régiment de la Reine, et des salves combinées de l’artillerie des forts et de l’escadre, le roi assiste à l’immersion du 9ème cône. La caisse à immerger est remorquée au moyen de tonneaux vides qui lui sont attachés par de gros câbles. L’opération dure 28 minutes. Mais un drame survient. Pour la circonstance, on a voulu faire l’essai d’un nouveau cabestan. Quatre ouvriers sont blessés. Devant l’indifférence des courtisans qui l’accompagnent, devant les tentatives réitérées de son entourage de vouloir lui dissimuler la gravité des faits, le roi s’en prend à son capitaine des gardes, à son chirurgien et son médecin personnels. Il faut sur le champ interrompre l’ « ambigu » qu’on est en train de servir, c’est-à-dire un « repas où l’on sert en même temps la viande & le fruit, en sorte qu’on ne saurait dire si c’est un souper ou une collation. » Il faut secourir ces blessés, insiste-t-il, leur venir en aide. Et quand l’un des ouvriers succombe à ses blessures – un charpentier nommé Robert Pinabelle – il ordonne que des pensions soient versées à la famille de la victime.
Le déroulement de la journée reprend. Autour du cône où se tient sa majesté, près du canot sur lequel il se déplace, croise ce qu’un témoin appelle « une multitude infinie » de barques débordantes de curieux qui veulent voir leur souverain, certains n’hésitant pas à se jeter à l’eau pour s’en rapprocher le plus près possible.
Qui a dit que le roi de France n’était pas populaire, que ses sujets ne l’aimaient pas ? Une gravure sur bois, reproduit la scène. On dirait un ex-voto qui tout naturellement comporte sa légende : « Nombre de jeunes gens à la nage entourent le canot de sa Majesté en criant Vive le Roi ! »

Que représente la mer aux yeux de Louis XVI ?
Je me suis demandé comment ce roi que rien ne prédestinait à régner – même s’il y avait été beaucoup plus préparé qu’on ne le dit –, qui avait eu une enfance terrible marquée par tant de morts, il est orphelin à dix ans, avait pu supporter tous ces malheurs. La mer représente pour lui, une réalisation très concrète. Je le redis : il réussit ce prodige de faire en quelques années de la marine française l’égale de la flotte anglaise. Mais elle est aussi cette part de dépassement nécessaire à quiconque veut donner un sens à sa vie. Et comment ne pas voir dans cette mer qu’on dit d’huile, qui tout soudain peut se transformer en éléments déchaînés, la métaphore de ce monstre endormi qu’est la Révolution.

Comment expliquer le fossé qui s’est creusé jusqu’à la Révolution ? En deux mots, à votre avis comment aurait-il pu éviter ce drame ?
Comment n’a-t-il pu ne pas comprendre qu’il tenait là, comme le suggère Bernard Vincent, dans ce face à face avec un peuple qui continue de le respecter et de l’admirer « la clé du problème que lui posaient toutes les forces conspirant à sa perte » et qu’il possédait là un atout majeur capable de contrer toutes les intrigues du microcosme versaillais et parisien ?
Pourquoi n’a-t-il pas poursuivi les réformes qu’il avait entreprises ? Je n’hésite pas à en rappeler quelques-unes puisque l’histoire officielle s’est plu à les oublier : C’est lui qui inaugure la pratique de publier en détail les comptes publics. Ce qui signifie qu’à aucun moment il ne considère les impôts comme le trésor du roi.
Contrairement à ce qu’ont écrits tant d’historiens, Louis XVI a dépensé pour lui-même infiniment moins que ses prédécesseurs : il n’a fait construire aucun palais, mais une foule d’hôpitaux, d’écoles, d’établissements utiles ou charitables. Il opère des coupes sombres dans les Offices et les Places à la Cour.
Amoureux de la chasse il supprime pourtant la fauconnerie, le vautrait, la louveterie, le vol du Cabinet et réduit considérablement la vènerie.

Nous ne dirons jamais assez que grâce à lui la monarchie avait déjà pris le tournant égalitaire que la Révolution allait seule revendiquer. Emmanuel de Waresquiel le rappelle : « parmi les mesures initiées par le gouvernement du roi, il en existait beaucoup de franchement libérales, qui étaient autant d’avancées sociales, administratives et fiscales » :
La création d’assemblées provinciales élues chargées par abonnement de la répartition de l’impôt ; le doublement au sein de ces assemblées de la représentation du tiers état (qui annonce en fait ce qui se passera aux états généraux) ; l’abolition et le rachat de la corvée qui n’était qu’une réquisition gratuite des sujets du roi à l’entretien de ses routes ; une meilleure répartition de l’impôt, l’accès des protestants à l’état civil, la fin programmée des justices seigneuriales et des justices d’exception ; des procédures criminelles moins rigoureuses ; l’abolition de la torture ; des droits nouveaux donnés aux justiciables comme l’obligation inscrite dans la loi de les dédommage au cas où ils seraient innocents. J’arrête là. La question étant de savoir si ce roi, depuis le début de son règne, comme assis à cheval sur deux politiques – une solution monarchique, traditionnelle, absolutiste, issue de ses prédécesseurs ; une autre libérale et rationnelle, plus conforme aux aspirations de son temps – aurait fini par glisser lentement vers une monarchie constitutionnelle…

 

 

« Bouleversé par le spectacle de ces eaux déchaînées et de ce peuple qu’il a enfin découverts, il se met à rêver à une société plus juste. On connaît la suite »

 

De retour de Cherbourg, le 29 juin au soir, les portes de Versailles, telles celles d’une prison, se referment sur lui. Bouleversé par le spectacle de ces eaux déchaînées et de ce peuple qu’il a enfin découverts, il se met à rêver à une société plus juste. On connaît la suite. Guillotiné le 21 janvier 1793, la nouvelle de sa mort arrive à Cherbourg dans la journée du 23. On rapporte, je cite, qu’elle froissa bien des cœurs et fit sur l’esprit public une triste et vive impression. Dans les rues de Cherbourg des jacobins, font peindre des attributs de la royauté et les brûlent en place publique. Sur les 90 cônes prévus seuls 18 avaient été coulés ; la Révolution met fin aux travaux. Quelques années plus tard, alors que les tempêtes ont détruit presque tous les cônes visités par Louis XVI, on les rase sauf un conservé pour servir de vigie et indiquer aux navigateurs l’ouverture de la passe orientale. Mais il succombe à son tour, le bois des cônes ne résistant pas aux tempêtes de la mer du Nord, sous le poids des flots le 12 février 1799. Ne reste que la mer, tantôt d’huile tantôt furieuse, confondant sa destinée et celle des choses et des humains.

Ne pensez-vous pas que l’Histoire a « idéalisé » la Révolution qui fut en réalité un massacre ?
Louis XVI est à mes yeux très avance sur son temps. Le véritable « révolutionnaire », c’est lui. Qui, en 1774, a, comme lui, l’idée d’abolir l’esclavage dans les colonies ? Il est humaniste, humanitaire, attentif à son peuple qu’il découvre un peu tard. Mais ne lui a-t-on pas volontairement empêché d’aller à sa rencontre ? Quand il meurt, il est d’une dignité exemplaire. C’est une mort christique. Il offre sa mort à son peuple, persuadé que ce sacrifice suprême va sauver la nation, lui qui depuis 1791 n’est plus « Roi de France » mais « Roi des Français ». Louis XVI est celui qui concentre sur lui ce qu’on appelle en psychanalyse, le « mauvais objet ». C’est-à-dire toute la noirceur, le rejet, l’ignominie d’une époque, d’un système inégalitaire. Dans ce livre je ne défends ni un monarque ni la monarchie mais un homme que j’essaie de montrer, pour la première fois, sous un jour nouveau, entièrement renouvelé. Oui, un Louis XVI comme on ne l’a jamais vu. Je suis romancier, je ne suis pas historien. Je me contente de terminer les phrases laissées en suspens par les historiens qui sont obligés de s’en tenir aux faits. J’applique à la lettre le conseil de Kipling : je me procure mes faits puis les déforme. Aux historiens, désormais, d’écrire le grand livre qui réhabilitera ce grand roi.

 

« Louis XVI est à mes yeux très avance sur son temps. Le véritable « révolutionnaire », c’est lui »

Avez-vous la nostalgie de la royauté ?
Je ne suis ni monarchiste, ni nostalgique de la royauté. Et ceci donne encore plus de poids à ma démarche. Parti pour écrire un texte poétique – ce qu’il reste, je l’espère, malgré tout – sur la découverte prodigieuse de la mer, sur la traversée de la Normandie, je finis par décrire un roi qui rencontre son peuple, et surtout par me lancer non dans réhabilitation de la monarchie ou d’un monarque mais d’un homme, dont je rappelle qu’il était tout sauf l’imbécile qu’on se plaît à décrire. Au nom d’un véritable mensonge d’Etat, commencé sous la Révolution et perpétré par la République.

 

« J’ai toujours été fasciné par le destin tragique de ce roi, présenté comme petit et grassouillet alors qu’il mesurait 1m90. On le dit inculte, mais il parlait couramment cinq langues ! »

J’ai toujours été fasciné par le destin tragique de ce roi, présenté comme petit et grassouillet alors qu’il mesurait 1m90. On le dit inculte, mais il parlait couramment cinq langues ! Outre l’art de gouverner, ses professeurs lui enseignèrent les mathématiques, la physique, l’écriture, le dessin, l’histoire, la danse, le violon. On prétendit qu’il s’adonnait à la boisson, qu’il battait sa femme, qu’il prenait plaisir à embrocher et faire rôtir des chats, bref que son inconsistance n’avait d’égale que sa nature basse et cruelle, alors qu’en réalité il était un grand humaniste et un réformateur visionnaire. Quand il écrit, « un bon roi ne doit avoir d’autre objet que de rendre son peuple heureux », il est le premier à passer un tel contrat avec ses sujets. Il est aussi le premier à parler de « justice sociale ». Souvenez-vous des Animaux malades de la peste. Louis XVI est le coupable tout trouvé, ce « pelé, de galeux dont viennent tous les maux », il est celui sur lequel les loups quelque peu clercs et la populace, et certains membres du clergé et de la noblesse, accusent de tous les malheurs. « A ces mots on cria haro sur le baudet », dit la fable, et on décide que seule « la mort n’est capable d’expier son forfait »…

 

 Comment vous êtes-vous documenté ?
Une partie de membres de la famille de mon épouse vient de Normandie. Certains sont nés et ont travaillé, et vécu à Cherbourg. Son grand-oncle était chanoine du couvent des bénédictines de Valognes. Cette Normandie, je l’ai parcourue, comme on dit, dans tous les sens. Elle m’habite, c’est un morceau de moi. Je voulais donc la décrire dans ce livre qui est aussi un chant à la Normandie de l’intérieure et à celle des côtes battues par les vents et la mer. Mais aussi, comme toujours, j’ai beaucoup lu, me suis beaucoup documenté. Un peu comme un détective qui mène son enquête, qui recoupe ses sources, qui attend, qui surveille, qui tire ses conclusions.

Existe-t-il des traces de ce voyage à Cherbourg ?
Assez peu. Mais significatives. Savez-vous que la seule rue Louis XVI, en France aujourd’hui, est à Cherbourg. Et que régulièrement, les mairies successives tentent de la débaptiser puis renoncent… Une belle pièce en rotonde, située dans l’hôtel de ville de Cherbourg a vu ses murs et ses plafonds, après le passage de Napoléon III, s’orner d’un décor en stuc. Parmi plusieurs scènes en toile marouflée, l’un d’entre-elles décrit la journée de juin 1786 durant laquelle le roi Louis XVI découvre le port de Cherbourg à bord d’une chaloupe. Enfin, comme je l’ai déjà dit, il existe un nombre non négligeable de tableaux, de toiles, de gravures, de dessins qui rendent compte de ce voyage inouï.

 

« Un journaliste belge m’a fait remarquer que Louis XVI aujourd’hui serait aller dialoguer avec les gilets jaunes. C’est un excellent parallèle »

 

Quel sont les liens entre cet épisode de l’Histoire et la France d’aujourd’hui ?
Ma famille appartient à la noblesse d’épée… On retrouve bien des comportements propres aux courtisans de Versailles chez nos contemporains. Quelle matière première pour un romancier ! Le courtisan est un homme immobile qui vit de prébendes, de compromis et de bassesses. Louis XVI déteste cette noblesse de Cour et ces membres du clergé qui accaparent et se partagent ses faveurs, les places et les fonctions lucratives, les grades à l’armée, les bénéfices ecclésiastiques, les honneurs. Ce sont ces mêmes courtisans, représentants d’une société d’ordres, de coutumes, de castes, de privilèges, d’exemptions – bientôt remplacés par la haute bourgeoisie qui les reprendra à son compte – qui font capoter son projet d’abolition de l’esclavage et l’empêchent à plusieurs reprises de prendre le tournant égalitaire qu’il souhaitait. Il est d’autres ponts possibles dans ce monarque qui dialogue avec son peuple. Un journaliste belge m’a fait remarquer que Louis XVI aujourd’hui serait aller dialoguer avec les gilets jaunes. C’est un excellent parallèle. Vous savez, et vous l’avez bien senti puisque vous me posez une telle question, je n’écris pas des romans historiques mais des romans qui utilisent un certain fonds d’Histoire pour me plonger d’autant plus dans notre Histoire contemporaine.

 

Le roi qui voulait voir la mer, de Gérard de Cotanze (Albin Michel)

( Crédit photo © Witi DE TERA / Opale / Leemage / Éditions Albin Michel

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