« Eric Zemmour, flingueur de la République ? »
Tribune d’Henri Feng, Docteur en histoire de la philosophie
La visite de la plume du Figaro Éric Zemmour au Salon Milipol Paris 2021 a de quoi surprendre : d’une part, parce qu’il s’agit de l’« Événement mondial de la sûreté et de la sécurité intérieure des États », où des armes à feu sont exposées, d’autre part, parce que le très probable candidat à la prochaine élection présidentielle s’offre déjà une campagne de véritable politique. Seulement, une faute de goût aurait été commise : l’éditorialiste a braqué malicieusement un fusil longue portée de sniper en direction des journalistes couvrant ses déplacements. Et la ministre (macronienne) déléguée à la Citoyenneté. Marlène Schiappa, s’est aussitôt fendue d’un tweet, en bonne militante professionnelle de la moraline : « Viser des journalistes avec une arme en leur disant ʺreculez !ʺ n’est pas drôle. C’est horrifiant. Surtout après avoir dit sérieusement vouloir ʺréduire le pouvoir des médiasʺ. Dans une démocratie, la liberté de la presse n’est pas une blague et ne doit jamais être menacée ».
La réaction de Zemmour s’ensuit aussitôt aux micros des mêmes reporters : « Marlène Schiappa est une imbécile ». Une tempête dans un verre d’eau. Pourtant, la dame a remis une pièce dans la machine : « Traiter Ruth Elkrief de ʺpauvre folleʺ en plateau. Dire à la journaliste de BFM qu’elle s’est ʺcouverte de ridiculeʺ après son fact-checking. Braquer un journaliste avec une arme ʺpour rireʺ. Insulter et menacer ceux qui réagissent. À quel moment on s’inquiète ? » Tels sont, en substance, le fond et la forme d’une société des images et des petites phrases. Un spectacle, somme toute, déplorable, dans lequel le « polémiste » entend se complaire tel Jonas dans la bête. D’ailleurs, les milieux anglo-saxons ne se trompent précisément pas en le baptisant « the french Trump », d’autant plus que la couverture de son dernier essai La France n’a pas dit son dernier mot s’inspire directement du livre-programme du magnat américain des affaires immobilières, Great again, publié en 2016.
En effet, de Sarah Knafo, ancienne magistrate à la Cour des comptes, à Olivier Ubéda, ancien conseiller en relations publiques et affaires politiques de Jean-Pierre Raffarin, entre autres, Zemmour se laisse entrainer clairement dans une communication américaine, ou « gallo-ricaine » (dixit l’intellectuel Régis Debray), où une jeunesse libérale-conservatrice est mise en avant sur fond de comptes numériques et de supports vidéo. Pourtant, quand on copie, on se nie. Ainsi, est-il permis de douter de cette stratégie ? Dans la mesure où « dire, c’est faire », d’après le philosophe Austin, comment peut-on faire de la politique en disant ce qu’on ne va pas faire ? Contre « le mariage pour tous », mais à titre personnel. Pour la peine de mort, mais à titre personnel encore, comme François Fillon qui s’opposait, seulement personnellement, à l’avortement. Enfin, contre l’euro et la technocratie bruxello-berlinoise, mais « à titre personnel », en se contentant de conditionner une sortie de la Cour européenne des droits de l’homme… En définitive, pouvons-nous nous demander si Zemmour, bien que n’étant certainement pas un tireur embusqué, n’est pas un flingueur sans balles dans le chargeur ? Donc, une déception à venir pour le camp national ? Car, de fait, tout cela n’aura pas été uniquement la faute à Voltaire ni à Rousseau, mais surtout à Marine Le Pen, qui n’a cessé de changer de ligne idéologique depuis sa défaite de 2017, in fine en ne voulant pas concilier le combat pour notre identité avec celui pour notre souveraineté.
( Capture d’écran sur Twitter)