Patrick Leterme : « Dans Chantons, sous la pluie », Il nous paraissait important, face à un public francophone, de bénéficier de l’immédiateté du théâtre, dans la langue du public »

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Alors que les arts vivants sont à nouveau autorisés à se produire en France depuis quelques jours, un été culturel pourra s’offrir à vous. Aujourd’hui, Patrick Leterme directeur musical, compositeur, et pianiste évoque la direction musicale de la très célèbre comédie musicale « Chantons sous la pluie » qui va se produire à Montpellier fin juin. Un long entretien artistique, culturel et linguistique sur ce monument de Broadway.

propos recueillis par

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On vous imagine heureux de retrouver la scène avec Broadway ! Comment avez-vous vécu cette période sombre de crise sanitaire ?
A titre personnel, cette période m’a d’abord apporté subitement beaucoup de temps que je n’avais pas, et m’a permis de me consacrer à des projets de composition pour lesquels j’avais dû reporter mon investissement de façon répétée. Au niveau d’un projet collectif de production comme Chantons Sous La Pluie, les conséquences du confinement étaient évidemment beaucoup moins drôles… Celui-ci nous a surpris entre les deux tours du casting que nous avions organisé à Paris. Mais très rapidement, nous avons choisi de poursuivre le travail de création : nous n’avions aucune garantie de pouvoir jouer fin 2020, mais au moins, le spectacle pouvait se préparer à l’abri des regards et être prêt à sortir « le jour où »… Et effectivement, toutes nos dates de tournée 2020-2021 ont été annulées ou reportées les unes après les autres. Donc oui : on est contents de pouvoir enfin transformer l’essai dans la réalité.

 

« A titre personnel, cette période m’a d’abord apporté subitement beaucoup de temps que je n’avais pas, et m’a permis de me consacrer à des projets de composition pour lesquels j’avais dû reporter mon investissement de façon répétée »

 

« Chantons sous la pluie » un grand classique à voir et à revoir. Comment appréhendez-vous votre rôle à la direction musicale pour l’orchestration d’un tel monument ?
L’important était de constituer un orchestre avec les compétences et spécialités requises pour ce titre, car Singin’ In The Rain comporte beaucoup de « swing Broadway », c’est-à-dire pas vraiment du jazz, mais pas non plus de la musique de variété. Le casting au sein du Candide Orchestra est donc un peu différent que sur nos productions précédentes, car nous avons ici une section de saxophones, un batteur et un bassiste issus du milieu du jazz. Les saxophonistes passent également régulièrement à la clarinette ou à la flûte, mais nous voulions qu’ils aient avant tout une solide expérience du swing, raison pour laquelle nous n’avons pas engagé des profils inverses, qui seraient des « clarinettistes qui jouent un peu de saxophone ». Cette finesse de choix est très importante, car la Belgique et la France ne disposent pas du même vivier de musiciens spécifiquement formés à ce type de travail multi-tâches, contrairement à Londres ou Broadway.

(Pierre Bolle – Crédit Photo)

 

Les dialogues en français et les airs en anglais. Pour ce choix de la dualité ?
Il nous paraissait important, face à un public francophone, de bénéficier de l’immédiateté du théâtre, dans la langue du public. Ceci correspond d’ailleurs à l’attente majoritaire en France. Par contre, la pratique courante à Paris est d’absolument tout traduire en français. Et là, à l’inverse, je trouve souvent que la superposition bâtarde d’une musique et d’une langue dans laquelle elle n’a pas été conçue donne des résultats maladroits, voire gênants. Traduire des chansons en cherchant juste à retrouver le nombre de syllabes correspondant à la mélodie dans la partition, c’est ignorer que la musique est bien plus qu’un nombre de notes : elle suggère une pulsation, un rythme, un style, un univers. Dans le cas de notre production de Un Violon Sur Le Toit, j’avais traduit les chansons car nous pensions que la musique ne s’opposait pas à la sonorité de la langue française. Par contre, je pense que le swing de Singin’ In The Rain souffrirait de se voir plaqué d’une traduction « omelette au fromage ». Et comme nous alternons en permanence entre le vrai et le faux (entre plateau et écran), le surtitrage n’est pas un problème. Le passage à la langue de Hollywood correspond aux moments d’évasion de l’industrie du cinéma, et aux moments en musical théâtre où l’on interrompt l’action quelques minutes pour s’échapper dans un numéro musical avant de revenir à la réalité. Cela dit, il n’est pas exclu que nous travaillions à une version 100% anglaise si des perspectives de diffusion dans d’autres pays d’Europe se concrétisent.

 

« À l’inverse, je trouve souvent que la superposition bâtarde d’une musique et d’une langue dans laquelle elle n’a pas été conçue donne des résultats maladroits, voire gênants »

 

USA des années 1920 qu’on imagine en noir et blanc. Ce spectacle sera une nouvelle façon d’appréhender cet univers en couleur et en vidéo cette fois-ci ?
Le spectacle est bien sûr en couleurs. Mais les illustrations d’Alejandro Gil Carrasco, inspirées par les années 20, qui marquent différents changements de lieux dans la scénographie dans une atmosphère à mi-chemin entre réalité et fiction, sont basées effectivement sur des niveaux de gris. Le décor conçu par Mohamed Yamani est dans un esprit art déco, dominé par le doré et par le noir. La vidéo live, utilisée régulièrement, est elle-même dans un étalonnage légèrement désaturé. Quant à la vidéo, elle permet régulièrement d’enchaîner des choses en temps réel, ce que permet le montage cinématographique, mais qui est plus compliqué sur un plateau de théâtre. Mais elle permet aussi de jouer sur les niveaux de réalité et de rêve présents de bout en bout dans la dramaturgie de Singin’ In The Rain, où l’ambiguïté entre le vrai et le faux est la colonne vertébrale de tout le récit, que ce soit via les espoirs de succès de Kathy, via la fausse histoire d’amour entre Don et Lina, créée pour la presse people, ou via l’illusion du cinéma.

Gaël Bros crédit photo

 

Pourquoi ce choix de mettre l’orchestre en arrière-fond ?
C’était une proposition inhérente à la scénographie imaginée par Mohamed Yamani. Nous remarquons régulièrement que le public aime sentir la présence de l’orchestre, dont il peut rarement suivre le travail du coin de l’oeil dans les spectacles d’opéra. Or, dans le cas de Chantons Sous La Pluie, la présence visible de l’orchestre était particulièrement justifiée et pertinente lors des scènes publiques de premières de films ou lors de réceptions. Les orchestres étaient effectivement présents (et visibles !) dans ce type de situations à l’époque. Dans les scènes où l’orchestre doit se faire oublier, la présence d’un tulle devant lui et les lumières permettent facilement de le rendre beaucoup plus discret, donc ce n’est pas un boulet de 20 personnes qu’on se traîne deux heures durant.

 

Chantons sous la pluie
Folies Broadway
Domaine d’O
du 30 juin au 8 juillet 2021
la 15e édition des Folies d’O
Réservations et informations ici : www.folieslyriques.com

( Crédit Photo Patrick Leterme : ©Sandra Reyckers)

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