Vous venez de déposer un recours contre la réforme de l’assurance chômage devant le Conseil d’Etat. Y-a-t-il eu une unanimité au sein de la profession à cette initiative ?
Dès que nous avons su que le gouvernement préparait un nouveau décret, le conseil d’administration de la fédération nationale des guides-interprètes et conférencier, FNGIC, a décidé de déposer un recours au conseil d’Etat contre cette réforme. A la lecture du décret du 30 mars sur la réforme de l’assurance chômage, nous avons interrogé un avocat pour savoir comment défendre nos intérêts.
Nous avons ensuite contacté les autres organisations de guides-conférenciers (GC) qui ont accepté de se joindre à nous pour cette requête. Et ensemble nous avons déposé ce recours au Conseil d’Etat.
En quoi cette réforme est-elle «injuste et inadaptée» selon vous ?
Elle est injuste car selon la répartition des jours de travail dans l’année, pour un même nombre de jours travaillés et un même salaire, le salaire journalier de référence (SJR ) qui sert à déterminer l’allocation journalière de Pôle Emploi, pourra être très différent d’une personne à l’autre (effet démontré par Mathieu Grégoire et l’UNEDIC).
Et elle est inadaptée pour deux raisons : tout d’abord le contexte actuel est on ne peut plus mal choisi car avec la crise sanitaire le tourisme est en berne depuis bientôt un an et demi.
Avec cette réforme, le calcul du salaire journalier de référence va intégrer les périodes d’inactivité. Or depuis le mois de mars 2020 les guides-conférenciers n’ont pas pu travailler durant les périodes de confinement, d’interdiction de rassemblement, de fermeture des musées et des frontières… Les périodes d’inactivité seront encore nombreuses car la crise n’est pas finie. La reprise du tourisme va être très progressive. Les touristes étrangers, qui représentent plus de 60% de la clientèle des guides-conférenciers, ne sont pas attendus avant de nombreux mois voire des années. D’autre part, la spécificité de nos emplois n’est pas prise en compte. Notre profession est caractérisée par des périodes de forte activité durant la haute saison touristique, avec des semaines de travail 7 jours sur 7 et avec des journées de plus de 7h. Nous cumulons souvent plusieurs services dans une même journée pour différents employeurs et parfois certains services demandent une disponibilité pouvant aller jusqu’à 15h. Ceci n’est pas pris en considération dans le régime général de l’assurance chômage qui se base sur une semaine de 5 jours et de 35 heures.
Nos emplois sont intermittents et il faudrait un régime d’intermittence pour notre profession comme il y avait avant 2014 avec l’annexe IV.
« Notre profession est caractérisée par des périodes de forte activité durant la haute saison touristique, avec des semaines de travail 7 jours sur 7 et avec des journées de plus de 7h. Nous cumulons souvent plusieurs services dans une même journée pour différents employeurs »
Vous mettez en avant la grande précarité de ce métier. Comment cela se traduit-elle ?
Le métier se caractérise par une grande précarité : 77% des missions des guides conférenciers salariés sont l’objet de contrats de travail de très courte durée (4h, 8h) auprès de multiples employeurs. 6% seulement des guides-conférenciers sont salariés en CDI. (*Enquête FNGIC avril 2020).
Lors d’événements politiques, crise des gilets jaunes par exemple, lors de grèves ou comme actuellement avec la crise sanitaire, l’activité touristique ralentit ou s’arrête et les guides conférenciers se retrouvent sans autre protection et revenu que les allocations chômage. Par exemple, lors de la crise COVID, les guides-conférenciers employés en CDDU ont très peu eu accès au chômage partiel car leurs missions sont attribuées la plupart du temps dans les deux semaines précédant leur réalisation. C’est pourquoi très rapidement les guides-conférenciers n’ont plus eu aucun contrat et donc plus d’aide gouvernementale.
« Lors d’événements politiques, crise des gilets jaunes par exemple, lors de grèves ou comme actuellement avec la crise sanitaire, l’activité touristique ralentit ou s’arrête et les guides conférenciers se retrouvent sans autre protection et revenu que les allocations chômage »
Vous déplorez aussi un tourisme en berne, notamment étranger suite à la crise sanitaire. Êtes-vous pessimiste pour les mois à venir concernant votre profession ?
La France entière a été affectée par la crise sanitaire et la tendance actuelle des activités touristiques est plutôt le retour à la nature. La seule clientèle des guides conférenciers actuellement est la clientèle française et elle n’est pas très nombreuse à faire appel à des guides conférenciers. Les touristes européens pourront peut-être venir en France à l’automne mais les frontières hors Europe sont fermées et les touristes asiatiques par exemple ne pourront pas venir avant fin 2022. Les variants qui apparaissent inquiètent. De nombreux guides travaillaient pour des agences réceptives qui n’ont pas encore de commandes de leurs clients et il va être difficile pour beaucoup de tenir jusqu’au retour des touristes. D’après notre enquête fait en novembre 2020, plus de la moitié des guides-conférenciers envisageaient de changer de métier. Avec l’évolution actuelle de la pandémie de plus en plus quittent le métier.
« Les touristes européens pourront peut-être venir en France à l’automne mais les frontières hors Europe sont fermées et les touristes asiatiques par exemple ne pourront pas venir avant fin 2022. Les variants qui apparaissent inquiètent »
Avez-vous un espoir que le Conseil d’Etat prête attention à ce recours de façon favorable ?
Les grandes organisations syndicales ont également déposé un recours au conseil d’Etat ce qui conforte le nôtre. Le Conseil d’Etat va analyser les recours ensemble et cela va apporter plus d’attention à notre requête. Nos demandes sont fondées et nous sommes assez confiants pour au moins de l’annulation de l’application du décret au 1er juillet.
Si celui-ci ne donnait pas la suite espérée par votre profession, comment anticipez-vous la suite ?
Le calendrier est tellement défavorable que nous espérons que cela sera pris en compte. De nombreux guides-conférenciers ont déjà quitté le métier et sans le soutien adapté de Pôle emploi, il sera difficile dans l’avenir de trouver des ambassadeurs du patrimoine car ils auront pour la plupart déserté le métier.