Stéphanie Janicot : « Les sorcières me fascinent depuis l’enfance »

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Journaliste à Bayard Presse, rédactrice en chef du magazine Muse, Stéphanie Janicot a publié une quinzaine de romans dont « La Mémoire du monde », Prix Renaudot du Livre de Poche. Co-fondatrice du Prix de la Closerie des Lilas, cette Bretonne s’intéresse depuis toujours aux sorcières. Son dernier roman commence par un accident de voiture qui provoque la mort de Diane, une guérisseuse et méduim. La narratrice s’interroge : elle avait anticipé cette fin funeste dans un roman.

propos recueillis par

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Au cœur de la forêt de Brocéliande, les deux filles de Diane cherchent à comprendre les secrets de leur mère, en compagnie de la romancière. A travers ce roman qui fait frissonner, vous découvrirez les légendes celtes, les pratiques de sorcellerie et le pouvoir des guérisseuses. Longtemps persécutées, les nouvelles sorcières ont changé ! La présence bienveillante de l’auteure dans ces pages donne à ce texte ardent et personnel une dimension humaine très touchante. Celle d’une conteuse sensible à la transmission, au lien mère fille et à cette part inconsciente qui guide nos vies.

D’où vient l’idée de ce roman ? Et pourquoi cet intérêt pour les sorcières ?

Les sorcières me fascinent depuis l’enfance. Probablement parce que j’ai grandi en Bretagne, en lisière de la forêt que l’on appelle aujourd’hui Brocéliande, une région où elles officient toujours. Elles apparaissent déjà dans plusieurs de mes romans, notamment « La mémoire du monde » dans lequel le personnage principal qui traverse les siècles est guérisseuse, sage-femme, et mère d’une longue lignée de femmes qui feront les frais de la chasse aux sorcières. Bien sûr, ce roman-ci est le premier dans lequel leur présence est aussi explicite.

Comment avez-vous travaillé pour le construire ? Y a-t-il eu plusieurs versions ?

Sans doute parce que le sujet était anxiogène, j’ai eu beaucoup de mal à cerner le roman. J’étais partie sur une trame policière classique, une mort suspecte, une enquête, une résolution. Hélas, au fur et à mesure que je me plongeais dans l’écriture, les scènes sombres du roman devenaient réalité. J’ai dû réécrire le texte plusieurs fois. A la troisième version, la trame policière est restée en toile de fond entrelacée avec le « making of » du roman, c’est à dire la vision de la romancière qui s’inquiète des catastrophes qu’elle provoque en écrivant.

Qui est Diane, cette descendante de Merlin l’enchanteur ? Amie de la romancière, est-elle inspirée par une femme aux pouvoirs magnétiques que vous avez connue ?

Diane est à la fois un personnage générique lorsqu’il est question de la profession qu’elle exerce, ses talents de guérisseuse, sa capacité d’écoute des problèmes de chacun, mais elle est aussi une véritable amie. Sur cet aspect-là, l’amitié, et la solitude qui suit la perte de l’amie, elle est réelle. Je l’ai parée de certaines caractéristiques d’une de mes amies défunte.

 

« Toutes ces nouvelles guérisseuses, énergéticiennes, médiums, voyantes, etc. sont héritières de la tradition des sorcières »

 

Existe-il encore des guérisseuses en Bretagne et dans la région voisine ?

En Bretagne, c’est certain. J’en connais ! Des personnes qui soignent avec les mains ou parfois même sans contact physique, juste avec des photos. Et puis il y a des magnétiseurs, des énergéticiens… Et aussi des médiums et des jeteurs de sorts.

Comme dans le roman qui anticipe la mort de Diane, pensez-vous que ce qu’écrit un romancier finit par se réaliser ?

C’est arrivé fréquemment en ce qui me concerne, hélas plus souvent à propos de scènes plus sombres que joyeuses. C’est pourquoi il m’est arrivé de placer artificiellement des scènes lumineuses dans mes romans afin d’influencer positivement le réel. Je sais que je ne suis pas seule à avoir cette capacité de visons (dans le sens de voyance) liée à l’écriture.

Vous-même êtes-vous comme la narratrice intéressée par les plantes médicinales, capable de lire dans les cartes des tarots Avez-vous un don magnétique ?

Je suis très intéressée par les ressources de la nature, les plantes, les pierres, les étoiles, et très intriguée par la divination, car elle implique des ouvertures dans l’espace et dans le temps ; elle bouscule notre perception cartésienne de ces deux dimensions. Il paraît que les gens, qui sont nés comme moi le jour de la Saint Augustin, ont un don pour faire passer certaines affections de la peau. Pour certains, il s’agit des brûlures, pour d’autres des verrues. Je ne connais personne qui ait pu m’initier vraiment aussi je ne fais pas vraiment usage de ce « don de naissance » (28 août).

Qui vous a inspiré les filles de Diane, Vivianne et Soann ?

Elles sont des personnages de fiction. Pour l’adolescente, Soann, je me suis servie de mon adolescence. Je lui ai donné un bon nombre de mes attributs. Ce qui rend son cheminement avec la romancière si particulier. Elles partagent une vision similaire à quarante ans de distance.

Pensez-vous que, comme la narratrice, les filles que nous “adoptons” finissent par devenir telles des mères ?

La relation mère-fille, quelle qu’elle soit, de sang ou de cœur, fonctionne dans les deux sens. L’amour ne fait pas que descendre, de la mère vers la fille, il remonte aussi. Jusqu’au point, parfois, où la fille peut devenir la mère de sa mère. En tout cas, les deux se protègent l’une l’autre tout au long de la vie.

 

« Il paraît que les gens, qui sont nés comme moi le jour de la Saint Augustin, ont un don pour faire passer certaines affections de la peau »

 

A la recherche des secrets de sa mère, Soanne va-t-elle devenir plus forte et garder « l’esprit de sa mère » ?

Soann a déjà perdu son père, assassiné lorsque sa mère était enceinte. Elle vit depuis toujours avec des points d’interrogation. Que s’est-il réellement passé à cette époque ? Elle sera forcément plus forte lorsque toutes les questions qu’elle se posait auront trouvé leurs réponses. J’ai été une enfant auquel les parents, sans vraiment mentir, ont beaucoup dissimulé. Ça a été une grande source de fragilité. Mais sans doute aussi d’imagination.

Que pensez-vous des rituels d’envoûtement auxquels s’adonnait la mère de Diane, une médium qui prétendait communiquer avec les morts ?

Tous ces rituels me font peur, même lorsqu’ils sont destinés à réaliser des désirs positifs. Je n’aime pas l’idée de détourner ce qui doit être.

Reprenant vos propos : le druidisme est-il une religion ?

Ce ne sont pas que mes propos, c’est la définition même du druidisme. Evidemment, aujourd’hui, le néo-druidisme ne jouit pas de la même organisation sociale ni de la même influence. Mais sa vocation est la même.

Comment expliquer la chasse aux sorcières dans l’histoire, ces femmes brûlées lors de l’Inquisition ? L’Église avait-elle peur de l’hérésie ? De la sexualité des femmes ?

Les guérisseuses, les « bonnes femmes » comme on les appelait s’intéressaient au corps des femmes (naissances, avortements… autant de sujets tabous) mais aussi, parce qu’elles étaient issues du peuple, elles soignaient les pauvres. Tuer les guérisseuses était une manière de maintenir l’ordre patriarcale, domination de l’homme sur la femme, domination du riche sur le pauvre. L’argument de l’église était que les guérisseuses se dressaient contre Dieu puisque lui seul avait pouvoir de vie ou de mort. Par extension, de nombreuses femmes sans hommes (veuves, jeunes filles…) ont pâti des chasses aux sorcières parce que leur indépendance n’était inenvisageable par les hommes.

Qui sont les nouvelles sorcières ?

De manière littérale, toutes ces nouvelles guérisseuses, énergéticiennes, médiums, voyantes, etc. sont héritières de la tradition des sorcières. Au sens figuré, je vois bien que vous voulez me faire pencher vers une définition féministe contemporaine de la sorcière. Pourquoi pas ? Dans ce sens, Toute femme qui voudrait vivre une vie totalement indépendante de l’homme, de son regard, de son approbation, de son attente, pourrait entrer dans cette catégorie. Mais si l’on s’en tient à cette définition, ces femmes sont très peu nombreuses, presque inexistantes, c’est pourquoi on retiendra plein d’autres définitions. Mais ce n’est pas propre à la femme. Remplacez le mot femme par homme et cela marche aussi ! Les hommes sont très dépendants des femmes.

 

 

« Le reveil des sorcières » de S. Janicot (©Albin Michel)

 


« Le réveil des sorcières »
de Stéphanie Janicot Albin Michel
336 pages – 19,90 euros (13,99 euros version ePub)

 


(crédit photo à la une : Stéphanie Janicot DR)

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