Jean-Pierre Guéno : « La République reste encore aujourd’hui la veuve du Général de Gaulle »

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L’écrivain Jean-Pierre Gueno propose un livre passionnant sur les plus beaux manuscrits du Général de Gaulle. Alors que nous allons fêter le 130ème anniversaire de sa naissance, les 80 ans de l’appel du 18 juin tout autant que le 50ème anniversaire de sa mort, Putsch est allé à la rencontre de Jean-Pierre Guéno. « Charles de Gaulle n’a jamais cessé de prendre des risques. Il n’a jamais hésité à renverser sa barque et à rendre le pouvoir qui lui avait été confié lorsqu’il pensait avoir perdu la confiance du peuple. Il n’a jamais été « hors sol ». Il s’est toujours comporté en fantassin » selon Jean-Pierre Guéno qui nous propose une immersion dans cette part de lumière du Général. Un entretien passionnant sur l’un des derniers grands hommes d’Etat.

propos recueillis par

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Quelle est la genèse de ce livre sur Charles De Gaulle, Jean-Pierre Guéno?
Après De Gaulle à Londres le souffle de la liberté en 2010, Les messages secrets du Général de Gaulle en 2011, Charles de Gaulle, une nouvelle République en 2012, De Gaulle et Marianne selon Jacques Faizant en 2014, Votons ! Ce que Jaurès, et De Gaulle et Saint-Exupéry ont encore à dire aux français déboussolés en 2017, Les plus beaux manuscrits de Charles de Gaulle constitue mon 6ème livre sur l’auteur de l’appel du 18 juin 1940. L’écriture manuscrite, c’est le sismographe de l’âme. J’ai voulu capter la vibration de l’âme de l’un des plus grands personnages de notre histoire.

 

« L’écriture manuscrite, c’est le sismographe de l’âme. J’ai voulu capter la vibration de l’âme de l’un des plus grands personnages de notre histoire »

 

Y-avait-il quelque part l’envie de révéler une part d’ombre du Général?
L’envie surtout de révéler sa part de lumière. Tous ceux qui touchent aux manuscrits du général de Gaulle touchent à l’intime. J’ai suivi le conseil que donne son fils dans ses mémoires : soulever la cuirasse, la carapace, sous la statue de l’homme d’Etat. Pour ce qui est de la part d’ombre, elle existe dès lors que l’on accepte d’assumer le redoutable sacerdoce du pouvoir : on ne peut faire autrement que de s’y salir les mains.

 

6 chapitres dans ce livre, autant de facettes du Général?
Avant tout, une cohérence. Cette structure thématique et chronologique illustre son exceptionnelle trajectoire. Le fils de la République devient un rebelle qui se transforme en libérateur. Le solitaire engendre le réformateur et laisse une empreinte indélébile. La solitude est un fil rouge ; celle du rebelle qui à l’automne 1940 n’est plus rien. Il a provisoirement tout perdu : son grade, ses droits civiques, son emploi, ses biens, sa nationalité et sa vie puisqu’il est condamné à mort. La solitude c’est encore celle de sa traversée du désert entre 1946 et 1958. C’est enfin celle de son départ, lui qui n’a jamais voulu s’accrocher au pouvoir dès lors qu’il se sentait en porte-à-faux avec l’opinion publique.

 

« La solitude c’est encore celle de sa traversée du désert entre 1946 et 1958. C’est enfin celle de son départ, lui qui n’a jamais voulu s’accrocher au pouvoir dès lors qu’il se sentait en porte-à-faux avec l’opinion publique. »

 

 

On imagine que la sélection des textes a dû être extrêmement drastique et difficile ? Comment avez-vous appréhendé cette sélection ? 
De la même manière que j’opère la sélection de mes « Paroles de » depuis « Paroles de poilus ». Les critères peuvent être ceux de la valeur documentaire ou ceux de l’émotion. Je suis un orpailleur. Je cherche derrière les mots ces pépites qui expriment la petite musique de l’âme de ceux qui prennent la plume. Derrière Les plus beaux manuscrits de Charles de Gaulle, on trouve les paroles de Charles de Gaulle. On a dit de Victor Hugo qu’il était L’homme Océan. Charles de Gaulle, c’est l’homme Souffle.

 

Qu’avez-vous appris de fondamental sur De Gaulle, que vous ne saviez pas déjà, en travaillant sur ce livre ?
Ce que j’ai appris d’Antoine de Saint-Exupéry : notre vie ne commence à prendre un sens que lorsque nous nous tournons vers les autres. Il reste tout de même un mystère, un bug dans la trajectoire du Général : sa posture par rapport aux Harkis, ces algériens et ces français musulmans qui se sont battus du côté de la France pendant la Grande Guerre, pendant la seconde guerre mondiale et pendant la guerre d’Algérie. Ceux qui n’ont pas été rapatriés et qui ont été abandonnés par la France ont été massacrés en Algérie après le cessez-le-feu du 19 mars 1962. Je n’ai jamais trouvé la clef de l’abominable mystère de l’abandon des Harkis.

 

« Il reste tout de même un mystère, un bug dans la trajectoire du Général : sa posture par rapport aux Harkis, ces algériens et ces français musulmans qui se sont battus du côté de la France pendant la Grande Guerre, pendant la seconde guerre mondiale et pendant la guerre d’Algérie »

 

Selon vous, le Général de Gaulle était-il un grand écrivain ? Et quel livre vous paraît incontournable dans sa bibliographie?
Il est évident que Charles de Gaulle, « l’Homme Souffle », a largement mérité son entrée dans la Bibliothèque de la Pléiade qui est un peu l’Académie Française du papier. Ses mémoires sont incontournables. Qui voudrait s’en convaincre n’aurait qu’à y lire ou y relire ses entrées et ses clôtures de chapitre. Charles de Gaulle est un chevalier du verbe et de la langue française.

 

Que vous inspire aujourd’hui la classe politique qui se réclame sans arrêt du Gaullisme ? Pensez-vous que ce Gaullisme contemporain soit dévoyé ?
Charles de Gaulle doit se retourner dans sa tombe de Colombey les deux églises ; Nous vivons l’ère sans doute provisoire du « Tout à l’Ego », de l’hyper narcissisme. Trop de leaders sont en orbite autour de leur petit nombril. Charles de Gaulle n’a jamais cessé de prendre des risques. Il n’a jamais hésité à renverser sa barque et à rendre le pouvoir qui lui avait été confié lorsqu’il pensait avoir perdu la confiance du peuple. Il n’a jamais été « hors sol ». Il s’est toujours comporté en fantassin. Il a toujours eu le sens de l’éthique et n’a jamais confondu ses intérêts personnels avec l’intérêt général. Il a remboursé avec ses droits d’auteur le saccage de la Boisserie par les Nazis. Il payait ses factures de consommation électrique à l’Elysée. Personne n’a jamais acheté De Gaulle, même lorsque le pouvoir qui l’avait éconduit lui a proposé en 1946 de rajouter des étoiles sur son Képi de général. Il a refusé d’une phrase magnifique « La mort se chargera, un jour, d’aplanir la difficulté, si tant est qu’il y en ait une ».

 

« Charles de Gaulle doit se retourner dans sa tombe de Colombey les deux églises ; Nous vivons l’ère sans doute provisoire du « Tout à l’Ego», de l’hyper narcissisme »

 

Vous écrivez dans votre préface : «Malgré son calme et sa détermination, Charles de Gaulle était un tendre : et c’est cette tendresse qui faisait de lui un personnage à la fois attachant, fragile et donc vulnérable. » Quel est ce rapport entre De Gaulle et la tendresse ?
Il y a une fissure dans l’armure de Général de Gaulle. Celle de sa fille Anne, de l’enfant « différente » morte à 20 ans. Charles de Gaulle n’a jamais perdu le sens de la relativité des choses, de la fragilité de la vie et de son caractère éphémère. Lorsqu’ils ne vous brisent pas, les malheurs de l’existence vous donnent une posture existentielle, celle de l’homme lucide qui sait très bien qu’il n’est qu’une poussière à l’échelle de l’univers, mais qui refuse la passivité, l’esclavage ou la résignation, et qui ne perd jamais son pouvoir de rébellion. C’est parce que Charles de Gaulle aime l’humanité qu’il est un tendre. Les « durs » n’aiment pas l’humanité, souvent parce qu’ils ne s’aiment pas eux-mêmes.

En quoi De Gaulle était le fils de la République ?
Charles de Gaulle est sans doute l’homme le plus républicain que notre histoire ait connu. Il est à la fois le fils de la République, son père – en tous cas celui de la Vème République – et son amant. C’est ce qu’expriment très bien les dessins de Jacques Faizant lorsqu’ils évoquent ses relations avec Marianne, l’allégorie de la République. L’esprit de la République, c’est celui de la chose publique et de l’intérêt général. Au cours du XXème siècle, le plus grand ennemi de la République a sans doute été le Maréchal Pétain. Dans une République, le rôle d’un président élu est de rassembler, pas de diviser pour régner, pas de cliver, d’opposer des catégories de population à d’autres catégories de population. La République reste encore aujourd’hui la veuve du Général de Gaulle. Elle est cernée, comme Pénélope attendant Ulysse, par des prétendants vaniteux, avides ou autosatisfaits et qui ne sont souvent que des apprentis sorciers. Ce qui fait le caractère le plus républicain de Charles de Gaulle, c’est son opposition à l’ultralibéralisme et la conviction qu’il exprime dès novembre 1941 devant la communauté française réunie à Oxford : la suprématie de l’esprit sur la matière.

 

« Dans une République, le rôle d’un président élu est de rassembler, pas de diviser pour régner, pas de cliver, d’opposer des catégories de population à d’autres catégories de population. La République reste encore aujourd’hui la veuve du Général de Gaulle »

 

Quel regard portait De Gaulle sur la presse libre et clandestine sous l’occupation? Etait-elle une alliée?
Les petits soldats de l’encre ont été déterminants dans la préservation de la liberté et dans la lutte contre la barbarie. Journalistes, imprimeurs, éditeurs, typographes, colporteurs de tracts et de journaux tous ces soldats de l’ombre et de la clandestinité auraient mérité de devenir compagnons de la libération. La résistance de l’esprit était beaucoup plus cruellement punie par les nazis que la résistance des armes. Nombre de petits soldats de l’encre ont fini décapités à la hache dans les prisons prussiennes. De Gaulle a été un lanceur d’alerte. Son appel du 18 juin est un appel de l’ombre, un appel clandestin ! Les lanceurs d’alerte sont indispensables. Aujourd’hui, que leur encre soit liquide ou virtuelle, qu’elle soit sonore ou filmée, qu’elle soit physique ou digitale, qu’elle utilise le papier, les ondes ou le Web, la vigilance la détermination et l’obstination des lanceurs d’alertes est vitale.

« Ceux-là même qui se réclament de Charles de Gaulle sont souvent les fossoyeurs de l’humanisme et les adorateurs de la loi de la jungle »

 

Pour finir, « Rendre la République forte et efficace ». Que reste-il aujourd’hui de la République Gaullienne ?
Contrairement à des idées trop faciles et chargées d’amnésie, la 5ème République n’a pas fini de remplir son contrat initial. Ses principes ont été élaborés par ceux qui luttaient contre la barbarie, et par le Conseil National de la Résistance. Ceux-là même qui se réclament de Charles de Gaulle sont souvent les fossoyeurs de l’humanisme et les adorateurs de la loi de la jungle. L’esprit du « Tout à l’Ego » met la république en danger. Notre devise pourrait aujourd’hui s’enrichir d’un quatrième mot « Liberté, Egalité, Fraternité, Diversité ». Ceux qui voudraient privatiser notre système de retraites ou notre système de santé, ceux qui financiarisent les relations humaines, ceux qui cultivent aujourd’hui les phobies sécuritaires ou migratoires mettent en danger la grande République du monde. Ils oublient que notre planète est une arche de Noé microscopique à l’échelle de l’univers. Debout collés serrés, les 8 milliards d’habitants qui résumeront bientôt la population humaine de la terre pourraient tenir sur une fois et demi l’île de Corse. Notre planète est fragile. Elle n’est pas physiquement surpeuplée. Elle semble l’être pour cause de refus du partage, lorsque dix individus accaparent 50% des richesses mondiales, et pour cause de gaspillage puisqu’un tiers de ce que nous produisons gave nos poubelles. La République Gaullienne, c’est une République sans exclus, où l’individu se met au service de la collectivité, et la collectivité au service de l’individu. Le fantasme d’une 6ème république hypertrophiant le mode de scrutin proportionnel est chargé d’amnésie ; la troisième et la quatrième république ont été ingouvernables. Celle ou celui quoi nous gouverne doit se voir confier un vrai pouvoir par les urnes. Mais il ou elle ne doit pas en abuser. Il faut méditer les derniers mots qui ont jailli de la plume du Général de Gaulle le matin de sa mort, le 9 novembre 1970,  alors qu’il poursuivait la rédaction de ses Mémoires d’espoir !  « Mais comment n’aurais-je pas appris que ce qui est salutaire à la nation ne va pas sans blâmes dans l’opinion, ni sans pertes dans l’élection ? »

Les plus beaux manuscrits du général De Gaulle de Jean-Pierre Guéno, Hugo Image, 221 p. 35 €.

 

(Photo Jean-Pierre Guéno ©Philippe Matzas Agence Opale )

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