Alexandra Koszelyk : « Dans mon roman, il est question des langues, de la littérature, car c’est bien là qu’une personne trouvera des réponses à ses questions identitaires »

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Tout commence en 1986 à Tchernobyl, lors de l’explosion de la centrale nucléaire. Lena et Ivan, les personnages principaux du livre, sont séparés l’un de l’autre et déracinés. Dans son premier roman Alexandra Koszelyk parle d’écologie, de racines et d’identité mais aussi de la capacité de certaines personnes à garder leur humanité même plongés dans des tragédies. Putsch l’a interviewée à l’occasion de la sortie du livre.

propos recueillis par

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D’où vient l’idée de développer votre narration en partant de la tragédie de Tchernobyl ?

J’ai toujours été fascinée par les ruines, qu’elles soient antiques ou contemporaines. Quand je regarde des photographies de la zone contaminée de Tchernobyl, j’y vois la démesure de l’Homme, mais aussi la carte postale d’une époque révolue. Comme je suis d’origine ukrainienne, cette catastrophe m’a sans doute plus interpellée que d’autres : voilà pourquoi j’ai eu envie de parler de cette tragédie et d’en faire le point d’ancrage de mon roman.

Pourquoi avez vous choisi de séparer les deux personnages principaux en faisant arriver l’un d’entre eux en France plutôt que dans un autre pays ?

Il m’importait de parler de la scission entre l’Est et l’Ouest, mais aussi d’une certaine « ostalgie ». Dans les années 80, on rêvait d’habiter à l’Ouest, mais pourquoi ne rêverait-on pas d’Est après 2000 ? La famille de Léna aurait pu s’arrêter en RFA (République Fédérale d’Allemande, ndlr) , mais j’ai voulu accentuer la déchirure, mener cette famille à l’extrême Ouest, tout en restant en Europe. La France s’est imposée d’elle-même, puis la région de Cherbourg en Normandie (je suis d’ailleurs née à Caen). Le père de Léna devait retrouver un travail équivalent en France : la deuxième unité de production de la centrale nucléaire de Flamanville a été mise en service en juillet 1986. La coïncidence était parfaite pour mon roman.

 

« Léna et Ivan comprennent qu’ils peuvent prendre en main leur vie, choisir, ne plus subir, et finalement retrouver leur humanité, leur liberté »

 

Peut-on dire que « A crier dans les ruines » est un roman qui met en valeur les « racines » ?

Tout à fait, la question de l’identité et des racines est très présente. Comment se construire quand on est un exilé dénué de son histoire, de sa langue, et même de son patrimoine culturel ? Par quel biais trouvera-t-on la résilience ? Dans le roman, il est question des langues, mais aussi de la littérature, car c’est bien là qu’une personne trouvera des réponses à ses questions identitaires. Les mythes sont aussi un puissant révélateur, car à travers leurs histoires les Anciens permettaient de mieux se comprendre, de mieux comprendre le monde qui les entourait. Et rien n’a changé.

 

« Dans le roman, il est question des langues, mais aussi de la littérature, car c’est bien là qu’une personne trouvera des réponses à ses questions identitaire »

 

Couverture « A crier dans les ruines » (© Ed. Aux forges de vulcain)

 

 

On a l’impression que les personnages du livre essaient  de retrouver leur humanité. Avez-vous voulu représenter une métaphore de nos jours ?

La catastrophe de Tchernobyl est l’élément perturbateur, de lui vient la cassure, plus rien ne sera comme avant. A une moindre échelle, l’Homme est confronté chaque jour à des choix, et certains peuvent changer sa vie. Dans le roman, l’exil s’est imposé aux personnages, ceux-ci grandissent donc dans une certaine contrainte. Et puis, un jour, Léna et Ivan comprennent qu’ils peuvent prendre en main leur vie, choisir, ne plus subir, et finalement retrouver leur humanité, leur liberté. Ces personnages symbolisent cette résilience, cette force que nous avons en chacun de nous.

 

« Contre toute attente, la zone contaminée est florissante. Les animaux qui dépendaient des déchets de l’Homme – comme le pigeon – ont disparu de la zone, mais de façon plus étonnante des espèces menacées (comme la cigogne noire, le pygargue à queue blanche, des ours, des lynx) y ont fait leur retour »

 

Votre œuvre contient aussi un message écologique ?

Quand on imagine Tchernobyl aujourd’hui, on s’attend à trouver une région en friche. Contre toute attente, la zone contaminée est florissante. Les animaux qui dépendaient des déchets de l’Homme – comme le pigeon – ont disparu de la zone, mais de façon plus étonnante des espèces menacées (comme la cigogne noire, le pygargue à queue blanche, des ours, des lynx) y ont fait leur retour. On a même réimplanté le cheval de Przewalski en voie d’extinction, et il s’y plait ! Une sorte de renaissance environnementale complètement paradoxale. En fait, les spécialistes ont observé une reconfiguration des écosystèmes en moins de cinq ans. Cette zone est donc une vision de ce que pourrait être la nature sans l’Homme. Attention, personne ne dit que la radioactivité est bonne pour la faune sauvage, mais force est de constater que les activités humaines comme l’agriculture intensive ou l’exploitation forestière sont encore plus visibles pour la faune que la radioactivité. Constant terrifiant, non ?

Que pensez-vous des politiques en matière environnementale, adoptée par les gouvernements ?

Je ne suis pas une spécialiste, toutefois il me semble complètement aberrant de ne pas écouter les scientifiques tirer la sonnette d’alarme, les gouvernements doivent agir rapidement, ainsi que chaque citoyen à son échelle.

Après « A crier dans les ruines » êtes vous en train d’écrire un nouveau livre ?

Oui, tout à fait, je m’y suis remise dès les corrections terminées ! J’ai beaucoup aimé le travail accompli avec mon éditeur David Meulemans, mais je fourmille de la nouvelle histoire qui germe en moi.

 


« A crier dans les ruines » d’Alexandra Koszelyk
Editions Aux forges de Vulcain (date de parution 23/08/2019)
240 pages – 19 euros


(crédit images. A la une : Alexandra Koszelyk © Patrice Normand)

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