Jeunes et banlieues : à l’écart du Grand Débat National

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Tribune de Bruno Pomart

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Le Premier Ministre Édouard Philippe a été le premier à le reconnaître et à le regretter : très peu de jeunes et de personnes issues des quartiers défavorisés se sont emparés du Grand Débat National.

La tranche des 16 à 30 ans a été jusqu’à présent sous-représentée lors des consultations locales. Pourtant, il serait faux de croire que celle-ci se désintéresse des questions politiques. Il suffit de tendre un micro aux jeunes, qu’ils soient ou non issus des quartiers, ou encore de lancer un forum qui leur est dédié sur Internet, à l’instar de The French Debat (une sorte de Grand Débat National des Jeunes), bref de renouveler les méthodes de consultation en allant vers eux, non en attendant qu’ils viennent à l’État, pour entendre leur parole se libérer.

Légitimité et prise au sérieux sont au centre de ce retrait volontaire, du moins hors des quartiers défavorisés : de tout temps, leur manque d’expérience, de vécu et leur soi-disant impulsivité ont été pointées du doigt pour les tenir éloignés des prises de décision, quand bien même leurs mobilisations au cours des dernières années ont fait plier plusieurs gouvernements.

Au sein des banlieues dites « sensibles », en revanche, les problématiques sont un peu différentes : une partie des jeunes a d’ores et déjà cédé à la résignation. Les gouvernements successifs ayant échoué à écouter leur mal-être, lié à des questions d’emploi, de logement, de cloisonnement, de discriminations, et à répondre à leurs appels à l’aide, ils ne voient pas en quoi le Grand Débat sera différent – opinion partagée par certains universitaires, qui trouvent que le principe-même du Grand Débat, qui devait être ouvert et transparent, a été biaisé dès le départ par l’interdiction de la présence des « gilets jaunes » aux réunions d’une part, et par les nombreuses zones de flou dans son déroulement et dans ses objectifs d’autre part.

Alors qu’il devrait être un formidable outil de démocratie participative, un simple observateur ne peut que constater les limites de la participation, cantonnée en majorité à certaines catégories de citoyens, mais aussi celles de l’expression démocratique, dans la mesure où seules sont autorisées les interventions porteuses de solutions et où les modérateurs ont tendance – par souci de simplification et de « condensation » sans doute – à faire des résumés abusifs de ces prises de parole. Comment se sentir comme un citoyen dont la voix compte, dans ces conditions ? Encore plus quand on est jeune, avec une expérience récente de la citoyenneté active ?

De plus, dans les quartiers défavorisés vivent des personnes bien souvent victimes du chômage, qui ne se sont donc pas senties concernées par les revendications sur l’emploi et le niveau de vie des « gilets jaunes », et cela se comprend : pour réclamer quelque chose au sujet de l’emploi, encore faut-il en avoir un !

Ces personnes sont trop en proie à leurs problématiques quotidiennes de survie pour avoir l’énergie ou les moyens de se joindre à cette lutte pour plus d’égalité. Égalité dont elles ont fait l’amer constat de l’absence, depuis bien plus longtemps, et de manière bien plus criante que la plupart des manifestants actuels.

À cela s’ajoutent des considérations historiques : les jeunes des quartiers, dont les parents ne se sont pas battus pour les acquis sociaux français, ne s’en sentent pas dépositaires. Ils ne veulent pas se battre « pour ça en plus », mais juste qu’on les laisse mener leur barque comme ils le peuvent.

L’information a également péché lors de l’organisation du Grand Débat, puisqu’elle supposait que les gens fassent la démarche de se tenir au courant des dates et des lieux de réunion : mais pour des populations désabusées, qui n’ont plus confiance dans les instances dirigeantes, en particulier depuis l’abandon du Plan Borloo, un tel effort était déjà de trop. C’est ainsi que de nombreuses personnes, tout particulièrement parmi les jeunes, n’ont même pas su qu’une consultation se tenait dans leur ville ou dans leur quartier !

Le Ministre de la Ville et du Logement, Julien Denormandie, a appelé les centres sociaux et les maires des communes abritant ces quartiers à se mobiliser pour inciter leurs habitants à s’engager dans le Grand Débat, mais peu d’entre eux sont optimistes sur l’issue de leurs efforts dans ce sens. Là aussi, c’est très compréhensible : pourquoi une population à qui ont été imposées des « solutions » au cours les quarante dernières années, sans jamais être consultée directement, voudrait-elle « faire le boulot à la place de ceux qui n’ont que ça à faire, qui ont été missionnés pour ça, et qui de toute façon appliqueront les mesures comme ça leur chante » ?

L’amertume et la rancune sont des sentiments tenaces. Même s’il est tout à fait concevable que le Grand Débat se perdrait dans les récriminations si les participants étaient autorisés à simplement exprimer leur ras-le-bol, il est regrettable qu’un véritable travail ne soit pas effectué en parallèle pour trouver des moyens de désamorcer la colère et restaurer la confiance de ces populations précaires, ceci d’autant plus que les semaines de confrontation successives ont échauffé les esprits et alimenté la violence au détriment du débat.

Cette reconnaissance et cette considération des sentiments des Français serait pourtant un préalable à la reconstruction démocratique voulue par le gouvernement, car sans ces fondations indispensables que sont la confiance et la foi en l’avenir, cette entreprise sera vouée à l’échec. Comme disait le poète turc Ataol Behramoglu : « On ne prépare la paix qu’en temps de paix. »

 

*Bruno Pomart
Ex-policier du Raid, Police Nationale
Maire sans étiquette de la commune de Belflou dans l’Aude,
Auteur du livre “Flic d’élite dans les cités” paru en mars 2009 aux éditions Anne Carrière
Président et fondateur de l’association Raid Aventure Organisation – www.raid-aventure.org

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