Mélody Banquet : « Je suis féministe parce que je n’ai pas le choix »

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« Jouer avec les limites du vulgaire, de l’absurde, du trash. Je trouve cela intéressant car ça a un effet cathartique », la comédienne Melody Banquet vient de lancer plusieurs épisodes d’une mini-série auto-produite appelée Fille de Pub. A la convergence de l’humour, du trash (sans excès), de la caricature, Melody Banquet se plaît à reprendre les thèmes de société « qui mènent aux vices et aux dérives : le sexe évidemment, l’argent, le pouvoir, les positions sociales, les religions, la médiatisation… avec pour fond de commerce : avec une jolie fille ». Une interview assurément piquante !

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Melody, quelle est la genèse de cette mini-série «  Fille de Pub » ? 
La première idée que j’ai eu, c’est celle de ce qui est maintenant l’épisode 2 de Fille de Pub, Chagasse. Je travaillais à l’époque en tant que serveuse dans un très bel établissement parisien, qui, ne s’en cache pas, recrute au physique et demande à ses serveuses d’être habillées sexy. Les serveuses font donc partie du diner de ces personnes financièrement aisées. De là est né le « humm chagasse » parodie de la fameuse signature « humm Charal » et donc métaphore de la femme comme produit de consommation, comme « bout de viande ».
« La provocation dans la photographie de mode et l’image de la femme dans les représentation contemporaine » tel était mon sujet de mémoire à la fac.
« La photographie de mode, au début publicitaire, est aujourd’hui reconnue comme art ou en tout cas en passe de l’être. Il convient donc de s’interroger sur la place de femme dans ce nouvel art contemporain. (…) Entre art et publicité, la femme est-elle sublimée ou dévalorisée ? »

D’ailleurs pourquoi Fille de Pub ?
Fille de pub parce que nous avons été élevés par la publicité. Quand j’étais petite ma mère me disait toujours « Si tes cours de maths passait à la tv tu les retiendrais mieux ! » Je connaissais les slogans par cœur. Nous connaissons tous des dialogues ou slogans de publicités qui ont 10 ou 20 ans. Les publicités font aujourd’hui partie de notre culture.

« Les publicités font aujourd’hui partie de notre culture »

Donc Fille de pub parce que nous sommes tous des enfants de la pub. Le problème, c’est que dès notre plus jeune âge, on intègre des comportements, des façons de penser, dictés par ces images qui nous lavent le cerveau.
Mais ces images ne sont pas responsables de la situation, elles ne font que l’envenimer.
Qui a créé la publicité ? Nous. Nous sommes responsables de l’image que nous renvoyons, nous sommes responsable du racisme, du patriarcat, de l’aseptisation sociale et politique transmis par la publicité.

« Nous sommes responsables de l’image que nous renvoyons, nous sommes responsable du racisme, du patriarcat, de l’aseptisation sociale et politique transmis par la publicité »

Dans ce nom, Fille de pub, vous ne serez pas passé à côté de ce subtil jeu de mot avec Fils de P***, où finalement PUB prend la place de la P***. Qui est la vraie P*** dans l’histoire ?
Est ce que je dois oui ou non jouer au jeu de « qui sera la plus bonne pour être mangée ». Est ce que je dois accepter de m’habiller sexy quand on me le demande (et non pas quand je le décide) pour travailler dans cet établissement (à noter que les hommes sont en costumes, pas torse nus, comme dans une publicité Saint Laurent malheureusement) ?

Et pour finir, Fille de Pub, c’est aussi une référence à culture pub. Rare (Seule ?) émission sur la publicité. Des publicités drôles, extravagantes, originales, qui sortent du lot, qui font de la pub autre chose qu’une vague ineptie médiatique subordonnée à une politique d’abrutissement des masses.
Parce que la pub ça peut aussi être cela et c’est aussi pour cela qu’on l’aime ! La pub ça peut être drôle, subtil, beau, porteur de message…ça peut et ça doit servir aussi à cela. La publicité a, je pense aujourd’hui, une responsabilité sociale.

La publicité se situe au croisement de l’art et du commerce. Un rapport aujourd’hui essentiel pour construire une société en pleine remise en question. Ce lien entre art et commerce est nécessaire pour comprendre les évolutions sociales et démocratiques. L’artiste-publicitaire trouve dans cette diffusion de masse un moyen beaucoup plus efficace d’accéder au public et de proposer sa vision du monde.

« L’artiste-publicitaire trouve dans cette diffusion de masse un moyen beaucoup plus efficace d’accéder au public et de proposer sa vision du monde »

Quel regard portez-vous sur la place de la femme dans la publicité aujourd’hui ? Et qu’y dénoncez vous ?
Je ne cherche pas à dénoncer, sinon à débattre. C’est le débat qui m’intéresse. Je pose des questions, je n’apporte pas de réponse. D’ailleurs il n ‘y a pas de réponse, il y a débat. Débattons. Débattons nous. Cela me fait penser aux mots de Stéphane Hessel : « Indignez-vous ! ».
Le but de Fille de Pub n’est pas tellement de dénoncer sinon de constater et questionner l’absurdité de notre époque, de son besoin de représentation sociale, des vices résultant de la nécessité absurde de faire de nos vies des publicités mensongères.

 

A votre avis, quand cette utilisation de la femme dans les publicités a-t-elle commencé et pourquoi ?
Je ne suis pas une historienne de la publicité, loin de là, mais je dirais que cela a commencé au moment des 30 Glorieuses et de l’avènement de la société de consommation. Pour la simple est bonne raison qu’on a commencé à élaborer des produits pour améliorer le quotidien de la femme. Avant cette période, la réclame, car il s’agissait de réclame et non de publicité, c’était pour vendre des journaux, pour faire connaître des hommes politiques, des partis politiques. C’était très politisé, donc … pas féminin.

A partir du moment où on a mis des femmes sur des affiches pour vendre des machines à laver, on a commencé à se rendre compte de l’importance de cette image de la femme. C’est aussi à ce moment là que le processus d’identification à ces images a commencé. Ce qui est stupide en soit…on s’identifie à une putain de photo. C’est absurde, et pourtant… Et puis on s’est rendu compte que cela fonctionnait pour tous les produits. Une femme fatale en talons aiguilles qui boit du café ? Mais ce café doit être hyper intense ! J’adore, j’achète.
Puis l’engrenage s’est mis en place. On nous achète par les produits qu’on achète.

 

« Une femme fatale en talons aiguilles qui boit du café ? Mais ce café doit être hyper intense ! J’adore, j’achète »

 

Comment abordez-vous les thèmes de chaque épisode ? Est-ce qu’ils répondent à ces clichés distincts ?
Je savais ce que je voulais dès le début, faire de fausses publicités mais qui reprennent les codes de la publicité. Le rythme, l’esthétique, la musique, le ton, le jeu… et qui en jouent suffisamment pour être encore plus cliché que le cliché.
Jouer avec les limites du vulgaire, de l’absurde, du trash. Je trouve cela intéressant car ça a un effet cathartique. Et en le faisant je me questionne moi-même sur « l’esthétique de la vulgarité » ainsi que sur les limites à franchir ou non, et pourquoi, en art comme en humour.

 

« Jouer avec les limites du vulgaire, de l’absurde, du trash. Je trouve cela intéressant car ça a un effet cathartique »

 

Chaque épisode va donc aborder les thèmes de société qui mènent aux vices et aux dérives : le sexe évidemment, l’argent, le pouvoir, les positions sociales, les religions, la médiatisation…avec pour fond de commerce : avec une jolie fille, on peut vendre des lunettes à un aveugles.

Et puis j’ai voulu aborder le féminisme d’une autre façon. Le féminisme est souvent très premier degré, très castrateur. Du coup, des incompréhensions naissent et beaucoup d’hommes pensent que nous sommes anti-hommes. Ils pensent que woman empowerment signifie que les femmes doivent prendre le pouvoir aux hommes. Or c’est faux. Woman empowerment, c’est une reprise de confiance en nous, en qui nous sommes, en nos capacités. Et dont l’objectif est une société égalitaire.

 

Etes-vous féministe ? Si oui, comment le définiriez-vous ?
Bien sûr mais parce que je n’ai pas le choix. J’espère qu’un jour je n’aurais plus à l’être. Malheureusement, la mysoginie prend des formes très variées et peut détruire des vies. C’est essentiel, vital d’en parler.
Il n’y a pas qu’un seul féminisme et c’est pour cela que le débat et la libération de la parole sont essentiels. Pour mieux se comprendre les unes les autres. Et que les hommes aussi puissent mieux se rendre compte.
Je suis féministe parce qu’il le faut pour faire passer certains messages, pour essayer de comprendre une certaine lecture du monde et de l’histoire.
J’ai malheureusement été sexuellement agressée à l’âge de 7 ans. Et je crois qu’il s’est passé quelque chose en moi, ce jour là. Quelque chose qui était déjà là, sous-jacent. Je crois qu’une partie de moi s’est dit que toute ma vie j’allais devoir affronter cette domination masculine, me battre. Et aujourd’hui je crois que c’est cela que je cherche à travers mon féminisme. Je ne veux plus avoir l’impression de me débattre.
Mon féminisme, c’est celui qui prône la reconnaissance de l’individu en soi. Un féminisme reconnaissant l’Être avant la femme, l’esprit avant le sexe. « On ne nait pas femme on le devient ». On ne devient pas femme, on naît individualité.

 

« Mon féminisme, c’est celui qui prône la reconnaissance de l’individu en soi. Un féminisme reconnaissant l’Être avant la femme, l’esprit avant le sexe »

 

Cette série est auto-produite avec une équipe de bénévoles. Est-ce un choix délibéré ou un choix subi de votre part ?
Un peu des deux. Je savais que si j’attendais de trouver un producteur avant de me lancer, le projet ne verrait pas le jour tout de suite, et que cela pouvait même être très long. J’avais besoin de le faire maintenant. Il fallait que ça sorte.
Et puis c’est toujours plus difficile de trouver un producteur quand on est pas connu, qu’on est jeune dans le métier et qu’on doit encore faire ses preuves.
J’ai donc opté pour une stratégie différente, tourner 5 premiers épisodes, qui font office de pilotes, puis trouver un producteur pour la suite.

Qu’est ce que vous aimeriez que les gens retiennent en visionnant Fille de Pub ?
Je souhaite avant tout créer du discours et du débat autour du féminisme. Que les gens réalisent que le féminisme ce n’est pas que ce que l’on pense. Il y a encore un féminisme à écrire et à explorer. Et c’est à nos générations de le définir. Et bien sûr… J’ai envie que les gens se marrent.

Pensez-vous que votre série puisse trouver sa place sur une chaîne? Si non pourquoi ?
C’est une série un peu osée, un peu trash, un humour sans doute difficile à vendre à une chaîne mais sur une chaîne type Canal Plus Création Décalée, avec une petite mention CSA, j’ai encore un peu d’espoir !
J’adorerai que cela se glisse dans un programme humoristique plus long, comme une fausse page de publicité. Dans une émission comme Crac-crac de Monsieur Poulpe par exemple, que j’aime beaucoup.

Quel regard portez-vous sur la Ligue du Lol ?
Je trouve cela très intéressant. C’est l’Acte 2 de #metoo et balance ton porc. Ca a touché un milieu, maintenant ça en touche un autre, … peut être que les entreprises vont sérieusement commencer à se poser des questions sur le machisme ordinaire au travail, sur le harcèlement, sur la parité … que font-elles pour endiguer cela ?
Le comportement de ces mecs est abjecte et lamentable.
Les mecs cools du lycée qui se moquent de la binoclarde pour faire tomber la pompom girl. Classique. Ces mecs n’ont rien inventé. Sauf que pas de bol, ils l’ont fait sur les réseaux sociaux. Jouet nouveau, dont on ne connaissait pas encore les méfaits. Et ce qui est très intéressant également c’est que cette histoire permet de mettre en exergue la misogynie ordinaire et intégrée dont souffrent les femmes dans cette société. Que l’on est 15, 20, 30 ou 50 ans, on subit un harcèlement moral quotidien et invisible. Parce que tous les jours il y a des dizaines de petites choses qui nous rappellent qu’on est pas assez jeunes, pas assez belles, pas assez femmes, trop femmes, … pas assez ? Trop ? Aux yeux de qui ?

 

« La ligue du Lol, c’est l’Acte 2 de #metoo et balance ton porc. Ca a touché un milieu, maintenant ça en touche un autre »

 

Les messages véhiculés par certaines mauvaises publicités et la ligue du LOL, c’est la même chose. Tout comme la publicité, des mecs qui ont des positions comme les leurs pourraient s’en servir émettre un message responsable, au lieu de juste essayer d’être cool.

 

Pour finir, vous maniez un ton sarcastique.  Est-ce que cela fait partie de votre identité ?
Oula, vaste sujet que celui de l’identité. Je ne suis pas encore assez loin dans ma thérapie pour répondre à cette question !
Je pense que ce ton sarcastique c’est un moyen d’exprimer ma colère. J’adore la satire sociale, et c’est ce que je fais avec ces fausses publicités. Il fait donc partie de l’identité de ce projet, oui.
Mais de ma propre identité ? Oui je crois que j’ai un humour assez sarcastique dans la vie de tous les jours, une forme d’insolence.

 

« J’adore la satire sociale, et c’est ce que je fais avec ces fausses publicités. Il fait donc partie de l’identité de ce projet, oui. »

 

J’étais très turbulente petite, hyperactive, voire même parfois un peu peste, mais jamais méchante. Puis au contraire, très sage à l’adolescence. Trop sage. J’étais terrorisée par l’autorité. Il fallait faire bien, être bonne à l’école, plaire à maman, faire de bonnes études, réussir socialement. Je crois que c’est ma manière de prendre gentiment ma revanche aujourd’hui, une façon d’être la petite cancre que je n’ai pas été au lycée et qui m’a manqué. Je retourne en enfance. C’est une sorte de jeu pour moi.

 

Fille de Pub, écrit et joué par Mélody Banquet – réalisation : Viktor Miletic

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Photographe : Tom Claisse
Styliste : Stéphanie Villeret

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